histoire medium (size M)

par Cerval @, mardi 08 septembre 2015, 01:12 (il y a 3164 jours)

"De quoi vous plaignez-vous ? de quoi pouvez-vous vous plaindre ? regardez vos mains : elles sont vides. Vous n'avez rien fait. Il est passé tout un temps qui s'est oublié dans les bâillements ou perdu dans les corps. Il ne vous reste que le souvenir de ce que vous avez fait et de cela que vous auriez pu faire. La vie n'est pas la mémoire, la mémoire n'est pas un roman. Vous vous comportiez comme si vous viviez au roman. Sitôt commis vous vous oubliiez. Vous laissiez votre pardessus à la virgule des portemanteaux qu'est une action dans la phrase des actions possibles comme on se dépêche de héler un taxi, puis plus rien. On ne vit pas sans demander de comptes non plus que sans en rendre. Vous vouliez vous échapper aux prescriptions. Vous n'avez pas fini de mesurer votre erreur. La vie ne vous sera plus jamais qu'imposée. Vous pouvez avoir l'illusion d'oublier, c'est un effet de la mémoire : non les faits eux-mêmes, mais la similarité de leurs conditions, parce que la mémoire reste justement encore trop attachée aux faits. Vous pouvez continuer à agir comme dans le roman. Cela ne sera pas toujours plaisant mais à quoi est-ce que l'on se plait ? Cela sera confortable. Vous ne cherchez rien d'autre que le confort. Mais vous vous tromperez immensément, comme un cri. Vous n'en verrez pas les conséquences tant que vous ne vous commettrez pas à une action, et tel que je vous décris ce n'est pas près d'arriver ; mais un jour, si par malheur un jour vous y êtes forcé - et vous le serez - vous verrez tout le tissu des pensées vous glisser des mains."


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Elle ne comprend pas. Je lui dis que j'ai déjà été amoureux une fois, il y a longtemps. C'est étrange, mais je suis fatigué. Il n'est pourtant plus l'heure de vieillir : les actions souhaitables sont passées ; le seul air que nous pouvons respirer est celui des conséquences, il faut les choisir en réduisant au mieux le hasard (le faire coïncider avec la volonté). Que dit-elle? "Vous ne vous rendez compte de rien. Vous fermez les yeux, vous pensez que le reste du monde est à l'éclipse. Vous baillez, vous dites : tout est dehors. Vous aimez, vous estimez votre vie justifiée. Vous parlez, vous êtes convaincu de bien parler. A vous exprimer maladroitement, vous vous excusez, l'idée réellement formulée devant bien se cacher quelque part. Vos excuses vous précèdent comme au sentiment de synthèse l'orage. Tout un monde se fait sans vous, qui le savez pourtant : parfois, vous êtes triste ; vous tâchez de l'oublier, il faut bien se divertir : puis vous êtes triste à nouveau, c'est sans fin. Charitable je ne dirais pas que la tristesse est votre état le plus commun, ce peut bien être la joie, ce ne change rien, vous n'existez nulle part ailleurs que dans ces balbutiements qui vous font aller d'un état l'autre, vous avez la pensée de paupières qu'on cligne. Marelle où vous croyez jouer mais les jeux doivent se quitter pour qu'on y gagne, oui. Si vous ne vous décidez en rien, un jour (dont chaque jour vous approche) vous ne pourrez plus jamais vous risquer à une action. Le voudriez-vous que ce serait inutile, toute chose aura fermé les yeux sur vous, approchant votre main en un détour, tout se sera en soi-même détourné, parce que vous ne saurez plus les atteindre sans simultanément les congédier les bafouer les salir... vous ne pourrez plus sentir sans vous reculer du sentir pour, prétendument, mieux sentir.

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