Cyril Hanouna et Touche pas à mon poste

par casimir, mercredi 30 septembre 2015, 20:01 (il y a 3139 jours)

Cyril Hanouna est un phénomène. Ce n'est pas son grand patron, Vincent Bolloré, qui dira le contraire. Le grand magnat de la presse a en effet décidé de débourser 50 millions d'euros par an jusqu'en 2021 pour conserver l'animateur, ce qui est particulièrement significatif comme l'auteur tentera de l'expliquer plus bas. Mais l'animal fait poids: Hanouna, 41 ans, est aujourd'hui une figure phare du paysage du petit écran. Ce qui l'a propulsé à ce plan c'est sa célèbre émission sur D8 : Touche pas à mon poste, dont le succès ne peut être démenti puisqu'elle rassemble en moyenne 1 220 000 spectateurs. Dans cet article nous allons tenter de décrypter le fonctionnement de l'émission. Tout d'abord il faut noter que le venin de l'araignée errante brésilienne ou "araignée de banane" est aussi nocif pour le corps que Touche pas à mon poste l'est pour l'esprit. C'est pour cela que l'auteur de l'article, ne désirant pas basculer dans la folie la plus complète, a limité ses observations à de courts visionnages du programme mais suffisants pour en comprendre la teneur. Premier principe: TPMP produit un discours que l'on peut qualifier de méta télévision, c'est à dire une émission de télévision qui porte sur la télévision, un peu comme Arrêts sur Images a pu le pratiquer à une époque. Cependant le contenu subversif qu'on peut trouver dans Arrêts sur Images est complètement évacué. De quoi parle-t-on ? De pas grand chose, voire de rien du tout. On commente sur ce que les gens regardent ou ne regardent pas. On retrouve dans TPMP deux principes essentiels dans la culture médiatique contemporaine: le clash et le buzz. A mon sens, le clash se définit comme une déclaration polémique d'une personne envers une autre personne. Le buzz n'est en réalité qu'un coup médiatique relayé par l'ensemble des moyens de communication contemporains: comme par exemple les réseaux sociaux ou les organes de presse. Le buzz peut provoquer le clash comme le clash peut provoquer le buzz. De ces deux anglicismes (qui sont, de façon significative et profonde, d'une laideur totale) on peut déjà noter qu'ils dérivent directement de la pensée publicitaire. Ce sont donc tout naturellement des outils de propagande. Pour justifier la réduction évidente des débats intellectuels contemporains et leur diffusion auprès des citoyens on blâme l'immédiateté de l'information et donc le manque de recul de réflexion qu'elle provoque. On préfère également divertir plutôt que de proposer à penser. C'est ce, qu'involontairement ou non, fait TPMP. Mais plus que cela, la notion de divertissement elle-même est dévoyé, pour ne plus proposer qu'un repas mental d'esclave. Ce qui se passe et qui est atroce, c'est que le discours critique ou intellectuel est ringardisé. Je m'emporte peut-être mais c'est à mon avis, à mon humble avis, ici que s'est fait une rupture terrible dans la civilisation, dans la notion de prestige. C'est comme si une certaine partie de la population considérait le savoir comme quelque chose d'essentiel tout en provoquant sur une autre le désir de n'en posséder aucun, de le chercher dans une forme parodié ou de s'en débarrasser. C'est flagrant sur TPMP: lorsqu'une remarque a un semblant d'intelligence ou de complexité, Hanouna fait la moue et semblant de s'endormir. Sur le plateau ils évitent de discourir sur toutes les émissions à caractères intellectuelles. Il est par exemple notoire que Cyril Hanouna parle de l'émission de Taddeï, dernier mohican de la télé intelligente (qui a ses faiblesses je le reconnais), comme d'ennuyante et qui ne devrait pas continuer à être émise du fait de son faible audimat. Je ne pense pas au complot, je pense que Cyril Hanouna est honnête, c'est un esclave honnête, mais tout en haut de l'échelle des salaires. Cyril Hanouna a la tchatche, cela le rend sympathique aux yeux des hommes populaires, mais il n'en partage pas le quotidien et il est comme payé pour les pervertir. Bolloré le milliardaire agite sa petite poupée.
Dans ce repas mental d'esclave donc un buzz chasse un clash. De plus, dans notre société spectaculaire, pour reprendre le mot de Debord, le buzz et le clash ont adopté un sens qui se veut inoffensif. C'est à dire qu'ils ne semblent pas chargés idéologiquement. La falsification se fait d'abord au niveau de l'information, c'est à dire qu'ils cherchent à donner de l'intérêt à ce qui n'en a aucun : procédé évident et littéralement sidérant de la téléréalité, qui fonctionne à proprement parler sur du vide mais qui curieusement fascine les adolescents (c'est peut-être le schéma "maison de poupées" qui les intéresse). La falsification peut ensuite se trouver au niveau de l'émotion: c'est à dire que l'émotion, qui peut-être parfaitement humaine et noble, arrive à en empêcher tout discours critique (la manipulation comme la propagande reposent toujours sur un niveau émotionnel), discours critique qui est par principe un discours de recul.
Dans l'esprit comme dans l'organisation du plateau on peut parler de cirque. Mais là où le cirque a une dimension poétique certaine, une propension à provoquer le rêve, nous sommes ici dans la vulgarité la plus totale. Je prends par exemple l'immonde familiarité d'Hanouna qui s'adresse au public en disant "mes chéris", son rire de hyène hystérique, sa "danse de l'épaule", le tube de son chroniqueur Cartman "Et quand il pète il troue son slip". L'humour développé dans l'émission à un côté tarte la crème qui pourrait plaîre mais qui devient à force très lourd à digérer et pourtant c'est ici que réside le côté "divertissant" du programme. Nous revenons ici à l'impossibilité contemporaine de la télévision à proposer un divertissement intelligent, à la faillite de la politique culturelle de Malraux (nous sommes en effet passés de Malraux à Jack Lang...). Les chroniqueurs sont totalement soumis et admiratifs envers Cyril Hanouna, si bien que l'on pourrait parler légitimement de "culte du chef" ou de fascisme. Cela fait largement regretter à l'auteur une époque qu'il n'a pas connu, celle d'une télévision libre et joyeusement bordelique, l'auteur fait ici référence aux débats de Michel Polac ou à l'admirable Apostrophes de Bernard Pivot. Bref, pour son chroniqueur, Cyril Hanouna est un véritable révolutionnaire de la télévision (je ne retrouve plus une citation d'Enora Malagré qui va dans ce sens). Stade avancée du capitalisme où la révolution ne se fait plus qu'à la télévision ou dans le marketing, ou Cyril Hanouna peut se faire comparer à Fidel Castro, lui qui n'est que l'héritier de Patrick Sébastien. On devine bien sur, caché dans la révérence des chroniqueurs, l'ambition personnelle de devenir un jour calife à la place du calife, la petitesse, la crainte du mauvais mot. C'est la mesquinerie la plus totale qui règne sur le plateau. Un des fonctionnements qui relève cette perversité est le comportement de Cyril Hanouna envers une autre participante: Isabelle Morini, le but étant de rire de ses idioties, une sorte de "dîner de cons". Après chacune de ses répliques, qui sont en grande majorité "à côté", la caméra fait un grand angle sur le visage d'Hanouna qui prend alors un air consterné. L'humiliation est donc une des mécaniques principales de l'émission. Encore une parodie, celle de la société de cour: il faut montrer de l'esprit pour éviter de subir la moquerie.
Il est particulièrement significatif que le grand magnat Vincent Bolloré ait fait prolonger Cyril Hanouna. L'impulsion qu'il veut donner à son groupe va bel et bien dans le sens de l'abrutissement le plus généralisé. Bolloré pense à l'américaine et à sa forme médiatique atroce qui ne peut qu'aller se développant: l'infotainment (qu'on retrouve dans "Le Petit Journal"). Il adopte ici un cynisme révoltant si on se pose la question à quoi sert vraiment TPMP, de quoi Hanouna est-il l'agent, qu'est ce que tout cela répercute sur le social, questions que j'ai espéré avoir abordé dans ce petit article.

Fil complet: