rose électrique

par Écrire, dimanche 07 février 2016, 20:37 (il y a 3010 jours) @ marianne.b

Pour l'instant, l'ensemble donne ça. Bien sûr, je vais le retravailler.

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Vous la regardez et vous pensez « je rêve » ! Ou « c’est le rêve ». Ou encore "je n’aurais pu rêver mieux !". Quoiqu’il en soit, le rêve s’est accompli. Vous pouvez le toucher. Il résiste. Solide et souple. Troublant. Vous collez votre oreille sur sa poitrine et fermez les yeux. Des sons frémissants montent des profondeurs et viennent crever telles des bulles énigmatiques. Vous ne pensez surtout pas à l’instant qui s’effiloche, à la ponctualité du crépuscule, à la pochette en papier glacé qui contient le billet retour. Vous n'y pensez pas. Pourtant, vous êtes debout. Que cherchez vous dans la penderie ? D'où provient cette lourdeur soudaine du corps ?

Maintenant, vous marchez vers la gare. Votre valise vous suit. Malgré l'épaisseur du cuir, la fraîcheur traverse votre par-dessus. Ce soir là, le rêve ne vous accompagne pas. Vous ne souhaitiez pas qu'elle reprenne le chemin inverse dans la nuit, seule. L'obscurité urbaine demeure le monopole du prédateur. Son terrain de chasse privilégié. Ce soir, vous avez dissuadé la proie potentielle. Vous pressez le pas. Il a plut. Ici et là, le sol reflète des portions de lune mauve. Par jeu, vous posez le pied dessus. L'astre prend quelques rides.

Vous tenez une anecdote.

Tandis que vous slalomez sur le trottoir inégal et glissant, votre esprit part en voyage. Quand donc vous êtes-vous découvert "sentimental" ? Vous consultez vos archives. Il vous faut remonter jusqu’à l'émoi inaugural. Enfant, vous aviez éprouvé un trouble à la vue d'une fillette. Sa blondeur frêle, lumineuse et sautillante vous est restituée dans toute sa nouveauté. Surpris, vous aviez tenté de comparer cette sensation avec des précédents. Mais de passé, vous étiez peu pourvu. Vous ne connaissiez rien de comparable. La seconde fois qu'elle vous apparut, la créature provoqua un affolement similaire. Tout bien pesé, la surprise y occupait sans doute une place différente. Elle avait changé de nature. Car alors, vous disposiez d’un antécédent. Un repère. Une mince expérience. Certes, elle ne suffisait pas à vous qualifier de vétéran. Loin s’en fallu. Il n’en est pas moins vrai que vous aviez vécu. Cinq ans, has been.

La fillette était revenue à plusieurs reprises, sans que vous parveniez à établir dans quelle mesure elle s’était attachée aux jouets, à vous, aux tartines de grand-mère, ou aux charmes du jardin. De votre côté, il n'y avait aucun doute. Cette créature recelait un mystérieux potentiel qu’aucune distraction ludique, bucolique ou gustative n’aurait pu égaler. Vous auriez donné tout votre royaume en échange de sa main. C’est que vous aviez observé, petit malin, que le reste de son corps en était solidaire et indissociable. Sauf accident, bien sûr. Pour commencer, vous échangeriez volontiers une semaine de tartines beurrées et chocolatées contre l’autorisation de lécher l’une de ses ravissantes fosses poplitées.

Vous songiez à lui proposer ce marché lorsque vous vous avisâtes qu'il y avait peut-être un moyen moins coûteux d'accéder à ces convexités hypnotiques. Vous aviez relevé que ses yeux bleus d'un froid métallique contrastaient de façon saisissante avec ses joues presque toujours empourprées. Vous-vous en inquiétâtes auprès d'elle. Non pas de l'état de ses mirettes, mais de celui de ses pommettes. Vous lui expliquâtes qu’il serait bon que vous l'auscultassiez afin d’écarter toute ambiguïté sanitaire. Elle posa un doigt vertical en travers de sa bouche et réfléchit. A l'issue d'une pause qui vous parut longuette elle acquiesça, enfin. Rasséréné à demi et tout à fait excité, vous lui indiquâtes la direction de votre cabinet. Il s'agissait d’une modeste structure constituée d'un assemblage de tôle et de bois sis au fond de la cour, à la lisière du jardin. Aucune plaque renseignant sur vos noms et qualités n'ornait la porte comme il est d'usage dans la profession. Vous espériez que ce détail ne serait pas porté à votre discrédit. Il n'en fut rien. La petite n'était pas tatillonne.

L'instant d'après, vous étiez dans la place. Christine, car tel était son prénom, se livra d'abord à une rapide inspection des lieux avec un minimum d'implication motrice. C'est à dire qu'elle pivota sur les talons et s'offrit un panoramique sur les outils de jardinage et les toiles d'araignées. La tôle percée en plusieurs endroits autorisait l'intrusion de faisceaux lumineux aux seins desquels évoluaient une multitude de particules douteuses, chacune d'elle aéro portant des escadrons de bactéries pathogènes. La patiente ne s'en offusqua pas. Au contraire. Elle se mît à sautiller à travers les saletés en agitant les bras et en riant comme si elle voulait s'envoler et se joindre aux tourbillons. Vous l'imitâtes bientôt. Il est vrai que vous n'étiez pas très instruits en matière de pollution atmosphérique. Vous virevoltâtes ainsi, oublieux de votre motif initial, jusqu'à ce que les rires s'épuisent et que les rayons faiblissent. À ce moment, vous vous laissâtes choir d'un commun corps à corps sur le sol de terre battue. Allongés côtes à côtes, vous accordiez vos souffles aux rumeurs éparses de la campagne. Les noisetiers bruissaient, bercés par un zéphyr précautionneux. Il y avait trop d'oiseaux pour les nommer et de toutes façon, vous aviez d'autres chats à étudier.

Vous vous tournâtes vers votre intrigant voisinage. C'était une fille, vous le saviez. Cependant, votre science n'allait pas beaucoup plus loin. Comme vous, la mignonne se déplaçait sur deux jambes et manipulait les objets en usant de mains qui constituaient le prolongement naturel de ses avant-bras. Comme vous, elle affectionnait les aliments sucrés et boudait la soupe à l'ail, les endives quel qu'en soit l'accommodement et le petit salé aux lentilles. Ces quelques observations rudimentaires, mais néanmoins robustes, indiquaient qu'elle était soumise à des lois similaires à celles qui gouvernaient votre genre.

Sur quel indice fonder une différence dans cette billebaude ? Il y en avait trois, à commencer par le prénom. À moins de souhaiter expressément sa ruine, on n’en aurait jamais affublé un garçon. Ensuite, la tenue vestimentaire. Les filles mettaient des robes. Christine portait une robe, donc c'était une fille. Enfin la créature urinait à croupetons, soit au ras du sol, alors que vous conserviez pour ce faire la posture verticale.

Ces éléments ne suffisaient pourtant pas à trancher la question qui vous occupait, ni surtout à expliquer l'attrait que la petite exerçait sur vous et qui s’avérait bien supérieur à celui que suscitait les grenouilles, batraciens auxquels vous accordiez d’ordinaire la plus vive attention. Votre mission, et vous l'acceptiez d'autant plus volontiers qu'elle promettait d'être récréative, consistait à découvrir ce que cette appétence recouvrait au juste.

Christine ne vous intriguait pas seulement au titre de son cas personnel. Elle engendrait d'autres interrogations en chaîne. Ainsi à propos de votre maman. Avait-elle été une fille avant de rejoindre l'état maternel en plusieurs étapes ? C'était à voir. Et votre grand-mère ? Cela semblait encore plus improbable.

Les adultes prétendaient avoir été petits comme vous avant d'atteindre ces tailles considérables, ces corpulences prodigieuses, mais comment en être sûr ? N'était-ce pas un conte inventé de toutes pièces dans le seul but de vous convaincre d'avaler votre soupe ? Cette mixture à mi-chemin entre le liquide et le solide imitait la consistance du vomi. Un vomi, d'ordinaire, ça se contourne. Sauf que celui-là se retrouvait dans votre assiette et ceux qui l'avaient concocté vous assuraient que votre croissance dépendait de son ingestion !

L'argument portait. Personne n'était assez fou pour négliger la possibilité de devenir un géant. Cette condition promettait tant d’avantages ! Et pour commencer, elle permettait de choper la confiture convoitée sans avoir à hasarder en catimini ses os débutants sur un échafaudage de fortune.

Inutile d'attendre

Christine avait peut-être un avis sur le sujet. Avec son année de plus, elle jouissait du privilège de l'ancienneté et des expériences qui fondent l'apanage de la durée. Vous chuchotâtes en la heurtant légèrement du coude. Les grands... Vous cherchiez les mots convenables. Quoi les grands, demanda-t-elle ? Tu crois qu'ils étaient petits avant, poursuivîtes-vous ? Elle pouffa. Christine pouffait presque à tout propos. Le reste du temps, elle criait. Ces comportements étaient-ils bien normaux ? Cette pensée vous ramena brusquement à vos responsabilités thérapeutiques. Vous posâtes une main sur son front. Il était chaud. Puis vous palpâtes ses genoux. Ils étaient ronds. Cette caractéristique les distinguaient ainsi des seins, qui n'étaient ni ronds ni chauds. En fait, ils n'étaient pas.

Certes, vous aviez jaugé à distance le déficit mammaire de votre camarade, mais cet aperçu visuel n'avait pas dissuadé tout espoir de relief. Las, vos paumes n'en rencontrèrent aucun...

Ce saut en arrière ne vous avait pas empêché d'aller de l'avant. Tandis que vous évoquiez vos premiers émois, la gare s'était rapprochée. Vous aperceviez sa façade séculaire sous la verrière bombée. De récente facture et d'un coût de 22 millions d'euros, la structure évoquait un empaquetage durable (d'où l'on pouvait déduire qu'il ne s'agissait pas d'art contemporain, mais d'architecture tendance) et conférait à son contenu le statut d'une conserve ou, plus noblement, l'allure d'une pièce de musée. L'édification de cette grosse moule hyaline avait propulsé le bâtiment en septième position des gares les plus "incroyables du monde". Cependant, il n'y avait pas à croire ou non en la chose. D'évidence, elle existait. Les sens n'avaient d'autre option que d'enregistrer sa présence.

Vous parveniez à proximité de l'entrée secondaire. Il restait une artère à franchir. Après quoi, il faudrait contourner une flopée de cycles. Ce n'était là qu'un modeste échantillon de la flotte célérifère locale. Les deux roues essaimaient dans tous les coins et recoins de la cité, royaume des petites reines. Leur bitume d'élection. Cette caractéristique ne lui avait cependant pas valu d'être décrétée derechef "mondialement incroyable". Il lui faudrait pour cela rivaliser, sinon avec l'Empire du Milieu, du moins avec la capitale. En attendant, l'eurométropole pouvait d'ores et déjà se prévaloir de supplanter Paris au plan des infrastructures cyclables. De fait, à ce petit jeu, Strasbourg se classait au quatrième rang planétaire derrière Copenhague, Amsterdam et Utrecht. Des dizaines de biclous s'entassaient dans des emplacements réservés qui peinaient à pacifier leur prolifération. Les excédents s'inventaient une place. Ainsi de nombreux poteaux en étaient-ils flanqués, mais aussi les barrières, grilles, clôtures, tuyaux... Bref, tout ce qui offrait une prise à un antivol était exploité.

Certains vélos se voyaient réduits à l'état d'élémentaires carcasses, plusieurs étaient équipés de roues bancroches aux pneus flasques et pourris, d'autres encore exposaient leurs cadres bistournés. Beaucoup suivaient un régime sans selle. Situation dont on pouvait tout aussi bien déduire la précaution du propriétaire que l'opportunisme d'un pillard. Quelques uns, garés depuis des lustres, rouillaient avec flegme. Leurs jantes recouvertes d'une maigre végétation urbaine attestaient d'un immobilisme têtu. Exposés aux intempéries comme à l'indifférence générale (à l'exception notable des citoyens Chinois en transit), ils rongeaient leurs freins en attendant rien. Leurs détenteurs étaient possiblement défunts. À moins qu'ils ne fussent amnésiques ou adeptes anonymes du "street art".

Parvenu à deux pas de la porte coulissante, vous fûtes dévié de vos considérations par la vision d'une ombre qui urinait dans un angle propice. Rien de tel qu'un événement trivial pour reposer l'esprit. L'homme semble se soulager du mystère qui le nimbe et l'obscurcit de part l'excrétion du besoin crûment exprimé. La motivation est transparente. La vie intérieure, révélée. Mais il ne s'agit que du versant physiologique de l'âme. Le signal faible de sa solitude. Seuls les corps peuvent se rencontrer.

L’évocation des corps rameuta l’image de Christine. Ingénue gamine. Sosie d’un premier rôle : le bouton d’or des « jeux interdits ». Même âge. Identique blondeur. Vous improvisiez innocemment un remake du "vert paradis des amours enfantines", mâtiné de « l’Empire de sens ».

Le plus piquant de l’affaire était à venir. A l'aide d'une fine branche de noisetier, vous confectionnâtes une honnête seringue. Avisant l'ustensile pointu, la petite anticipât son sort et pris un air effarouché. Vous émoussâtes ses craintes en avançant un argument anesthésique.

- Ça fait pas mal.
- Promis ?
- Craché juré !

Et vous mollardâtes un glaviot anti-sceptique sur la branchette hypodermique.

Plus que les mots, l'expectoration stérilisante rassura la patiente et annula ses réticences, si jamais il y en eut... Elle acquiesça à votre expertise. Sans doute avait elle déjà rencontré le corps médical, à tout le moins sa geste, car elle roula sur le ventre sans attendre vos instructions. Puis elle releva sa jupe d'un mouvement coulé, tout à fait synchrone à l'ondulation du bassin. Culottée... Vous songeâtes qu'elle ferait une infirmière potable. À défaut d'expérience probante, elle démontrait déjà de bons réflexes. Ça vous mettait à égalité. Enfin presque. Vous aviez quelques grenouilles ressuscitées d'avance, sans oublier des autopsies de lombrics et, bien qu'à un niveau de moindre réussite, des tentatives de lobotomies sur des colimaçons peu pensifs, il est vrai.

Vous haussâtes vos regard vers le panneau suspendu. Il fallait admettre la sagesse des concepteurs : un dispositif au sol aurait généré des bousculades concurrentielles, voire des échauffourées. Pour s'en prémunir, les hommes de l'art avaient pris de la hauteur. Ainsi le ciel de la bulle frémissait-il d'informations lumineuses. On y apprenait que le TGV à destination de Paris ne souffrait d'aucun décalage. C'était heureux. Après deux années de retards quasi hebdomadaires, les pontes de la compagnie avaient adoptés un train de mesures correctives en vue de restaurer la réputation de leur commerce. Il était temps. Les horaires digéraient mal d'être bafoués par une entreprise qui faisait métier d'exactitude depuis l'invention de la locomotion à vapeur.

Quelqu'un se défoulait les phalanges sur un piano Yamaha en accès libre. L'initiative, orchestrée par la Directrice Générale des "Gares et Connexions", consistait en un "copié collé" d'un dispositif imaginé quelques années auparavant par un artiste britannique. L'on projetait ainsi de terrasser le stress engendré par les maux du voyage tels que l'attente, le retard, la bousculade, les séparations traumatiques, les retrouvailles fiévreuses, les correspondances loupées, le plan vigipirate, les toilettes sans papier, les distributeurs hors service etc... et de les sublimer en "expérience de consommateur". La compagnie Railteam (appellation pompeuse et néanmoins pompée sur Skyteam), n'était pas seule à se préoccuper de bien être. De fait, le consommateur vivait un nombre croissant d'expériences époustouflantes autant que merveilleuses qui invitaient tous ses sens à la fête. Toutefois, l'acoustique médiocre offerte par la galerie mettait un bémol à ce tourbillon hédoniste. Le son s'y distordait à tel point qu'un musicolâtre n'aurait su distinguer entre le jeu du virtuose et celui d'un pingouin inspiré au crack.

Vous quittâtes le phylactère pour gagner le bâtiment de style neo-renaissance attingent aux quais. Puis vous vous positionnâtes à proximité du panneau, de façon à distinguer la case présentement muette où apparaîtrait l'indication du quai. Soixante mille. C'était le nombre de personnes qui se comportaient peu ou prou d'identique façon au cours d'une journée. Vous aviez lu ça récemment. Cette pensée vous procurait un léger vertige. Vous vous abandonniez à l'empire statistique, rapetissant dans son nombre e perdant peu à peu votre éclat. Frêle escarbille de conscience flanquée d'une probable valise à roulettes.

La pensée de Christine vous ranima : première patiente, puis béguin et enfin épouse... Énoncé ainsi, cela évoque un parcours sans aléas doublé d'un hymne à la monogamie... Visions... La culotte était couleur chair. Les fesses, blanches. Vous auriez pu vous contenter de piquer la lingerie, plus vraie que nature, mais vous doutiez que l'effet curatif soit au niveau de l'illusion optique.

Christine n’avait pas poussé la collaboration jusqu’à se délester de sa parure postérieure. Cette réserve signalait-elle un zeste de pudeur ? Il ne semble pas. Son éducation balbutiait à la traine d’un vocabulaire déjà prospère en jurons. La première nature s'épanchait sans rencontrer de garde fou... Cette sauvageonne détraquait vos tensiomètres et multipliait les voltages dans vos circuits sensitifs. La fesse, vous commenciez à le pressentir, était inévitable. Elle possédait une force d'attraction astronomique. Son empire, à n'en pas douter, s'exerçait au delà des frontières du village. S'étendait-il plus loin que le monde connu ? C'était à vérifier. Quant à son influence sur la banlieue de l'univers, on ne pouvait que la supposer avec des pincettes. A ce stade de la science, la morphologie des extraterrestres vous échappait de la tête aux pieds, à supposer qu'ils eussent jamais joui de l'un ou l'autre. On ne pouvait que conjecturer ce qui se trouvait entre ses deux points d'interrogation.

Par chance, il existait des terrestres extra à portée d'investigation. L'une d'entre elles se trouvait justement là, le pétrousquin à l'air. Votre front s'embua. Pourtant, vous n'étiez pas fiévreux. Pas vraiment. Votre vue se brouilla. Des accidents de terrain auraient pu retarder, voire bloquer l'écoulement salé. Las, votre peau lisse n'assurait pas contre ce risque. Vos yeux picotèrent et vous dûtes battre plusieurs fois des paupières pour surmonter le désagrément. Tout à coup, vous comprîtes les rides de votre grand père. Leur astucieuse disposition. Leur utilité foncière. Elles lui permettaient de retourner la terre en plein soleil, pendant des heures, sans perdre la vue ! Rien moins que décoratifs, ces sillons témoignaient d'une adaptation parfaite à l'activité de jardinage. Hey ! Peu à peu, le monde dévoilait ses mystères.

Pragmatique, vous ciblâtes la plus proche miche. Christine grogna. Pour rire ? L'enjeu vous interdisait de céder à l'amusette et réclamait, au contraire, que vous vous focalisâtes sur l'ouvrage. Vous maintîntes la pression. Tant et si bien qu'un léger cratère se forma autour de la pointe obtuse. Puis, votre pouce actionna le piston. Le remède diffusa dans la section charnue. L'opération avait été rondement menée. Il est vrai que le relief s'y prêtait. N'empêche, vous n'aviez pas démérité. D'autant que vous ne disposiez pour éclairage que de la pédagogie d'un pâle médecin (de campagne, évidemment, attendu qu'un médecin des villes n'a guère avantage à se démonétiser dans les champs), en outre ignorant de son tutorat. Vous retirâtes la seringue. Une rougeur s'évanouissait, très vite, stigmate imperceptible l'instant d'après.

Votre transport était annoncé sur le quai 3. Cette nouvelle vous combla d'aise. Le 3 était un bon numéro. D'ordinaire, le train qui empruntait cette voie était déjà sur place. Cela permettait de rejoindre son siège et de s'y poser au chaud au lieu de geler debout en escomptant que l'horizon accouche du bébé aérodynamique. De surcroît, il s'avérait peu occupé et... bonus éventuel, nettoyé. Vous traversâtes la coursive souterraine après avoir composté votre billet. La valise vous suivait gentiment en froufroutant des roulettes. L'escalier mécanique et républicain effectuait sa tâche avec constance en appliquant stricto sensu la devise égalitaire. Vous l'empruntâtes en compagnie d'un échantillon de langues étrangères, d'accents cocasses et de classes sociales métissées. Au débouché, vous croisâtes trois militaires qui progressaient, positionnés en V. Les canons de leurs fusils d'assaut demeuraient pointés vers le sol, comme si les armes étaient approvisionnées et chargées. Il n'est pas superflu de rappeler les caractéristiques de cet armement, dont la vision vous est désormais plus familière que celle de votre voisin de palier. La vitesse de tir pratique d'un Famas, se cantonne, si l'on peut s'exprimer ainsi, à cent coups minute. Le magasin contient 25 balles. Les projectiles sont dotés d'une vélocité initiale de 930 mètres seconde. Ils percent un casque à 300 mètres et tracent sur plus de 3 km avant de fatiguer. On préfèrerait ne pas imaginer les dégâts collatéraux que leur usage pourraient entraîner, sachant que les patrouilles s'effectuent plus volontiers dans les lieux à forte densité humaine plutôt qu'aux seins des églises à l'heure du culte. Trop tard. L'imagination, toujours approvisionnée et chargée, avait expédié une salve sans préavis. D'un autre côté, quelle utilité pourrait bien présenter une arme non approvisionnée et plombée ? Elle basculerait dans l'enfance du flingue. Un accessoire à peu près aussi fonctionnel qu'un clairon obturé. Vous stoppâtes et observâtes la soldatesque qui s'éloignait de sa démarche synchrone, lente et mesurée. Cette allure contrastait avec la précipitation désorganisée qui régnait alentours. Vous contempliez des mondes parallèles. Des histoires superposées. Il faudrait la déflagration d'un événement catalyseur pour que les sphères confluent et se fondent dans une dramaturgie minutée par l'épouvante. Une communauté catastrophique. L'ennemi mortel rend la vie terriblement précieuse. En quelques secondes, il déchire le voile. La ligne Maginot en sucre d'orge a fondu. Il n'y a plus de mots. Autant de bouches imprononçables. Autour de vous, le mouvement brownien continu atteste l'existence humaine dans sa pure motricité.

Christine ne bougeait plus. Mais elle respirait encore. Vous sentiez que vous ne pouviez en rester là. Un embryon de déontologie médicale vous incitait à remettre les bœufs de l'examen devant la charrue de l'intervention. Vous ignoriez jusqu'à l'existence du Conseil de L'ordre, mais vous supputiez qu'une carrière dans un métier phare de la santé ne pouvait débuter par un échec patent de l'art perpétré dans une cahute en tôle par un novice sous équipé. Aussi vous disposâtes vous à relever la température de la demoiselle. Mais comment procéder ? Vous observâtes la branche. En tant que seringue fictive, elle avait assuré. Toutefois, vous doutiez de son potentiel invasif pour de vrai comme de son aptitude à recueillir des données fiables.

Ensuite, les secours surgiraient, dressés sur des sirènes bleues. Ils jailliraient, tout de blanc sapés, avec l’aplomb performant des cellules agréées. Ils encercleraient les peines, les entendraient, les comprendraient. Ils désinfecteraient les âmes meurtries et penseraient les séquelles têtues. Les blessures somatiques seraient prises en charge par la chaîne médicale et réparties dans les services d’urgence ou du lendemain. Quant aux trépassés, ils gagneraient les entreprises aux funèbres pompes avantageusement concurrentielles par des moyens fatalement étrangers à leurs volontés, puisqu'ils n'en disposeraient plus. Toutes ces activités, sans parler des autres, contribueraient à la richesse nationale brute. Certes, les discours, les commentaires et les manifestations de soutien ne renverraient pas les balles dans les chargeurs. L'intelligence rétrospective ne remonterait pas jusqu'à la racine des maux et laisserait leurs causes indemnes. Mais le miracle économique opérerait la conversion du carnage, son recyclage et sa promotion. Transmutée en or, l'horreur nous sourirait depuis Bercy et adresserait un bras d'honneur pécunieux aux sanguinaires non diplomates.

Ce que vous saviez de source sûre, c’est que l'humeur de mère nature s'évaluait le doigt mouillé, pointé vers le ciel. Vous aviez vu plusieurs fois le principe mis en œuvre par votre grand père. Homme de ressource, décidément doté de multiples talents. La déduction s'en suivait. Pour une petite nature, ce devait être l’inverse : vers le bas. Direction logiquement appropriée s’agissant de prendre la mesure d'un micro climat blond.

Le soldat de l'apocalypse ne mégote pas sur les moyens. Il ambitionne un tabac. Mais, aussi meurtrier soit-il, sa nuisance n'égalera jamais celle des petits cylindres de papier bourrés de chimie additive engendrés par billions dans les manufactures de la mort profitable. Ils ont tué 100 millions de personnes au XXème siècle et causeront dix fois plus de victimes au cours du suivant. Fumer est une liberté, proclament les esclavagistes. Un droit inaliénable de l'individu autonome sous dépendance létale. Puis les rêves se dispersent en volutes pour revenir, quelques années plus tard, avec l'empressement gourmand des métastases.

Vous substituez au mot de Cambronne un autre terme, qui désigne votre horizon natif. Quelle monde, songez vous, en empruntant le sas automatique qui bée une invite à votre intention. Et quelle rage. Les distributeurs d'euphémismes ne manquent pas d'urgences à traiter. Ils peuvent toutefois compter sur l'apathie férine des multitudes et l'absence de tact des porno tueurs qui se déchaînent en de franches et fulgurantes horreurs, s'attribuant ainsi le monopole de la vraie, la seule méchanceté.

Toute différente est l'approche des pontes de la cibiche. En douceur, elle pénètre les esprits malléables, bien avant de s'attaquer aux bronches. C'est ainsi qu'enfant, vous apprîtes les gestes de l'addiction avec des tiges en chocolat imaginées par le génie publicitaire. A l'issue de votre formation, votre existence serait valorisée. Les industriels l'estimaient à 10.000 dollars. Le temps d'inhaler l'abîme.

Vous inspirâtes une longue goulée de cet air tiède et poussiéreux qui signait l'atmosphère du cabanon. Puis, vous suçâtes votre index conformément à la technique de l'ancêtre. L'heure était exotique et cotonneuse. Vous vous apprêtiez pour la prime fois à introduire un segment de votre individu dans une parcelle de féminité en gestation. Un geste futuriste, en quelque sorte. Christine pressentait charnellement les choses. Sa boussole épidermique lui révéla la direction des événements sans qu'elle éprouvât le besoin d'une confirmation visuelle. Elle éloigna lentement ses jambes l'une de l'autre, vous délivrant ainsi un explicite laissez-passer. Vous retroussâtes vos manches, du moins mentalement, car vous portiez une chemisette.

Dans un premier temps, vous n'entrâtes dans rien de concret. Au seuil de l'action vous demeurâtes. Interdit et tenté, vous observiez. Certes, il y avait un orifice, bel et bien inoccupé. Une ouverture toute prête, apparemment accessible quoique repliée sur elle même, introvertie. Méditation de la chair ou pli soucieux d'anonymat, ce n'était pas gagné. L'oignon n'a pas été conçu pour réceptionner un allochtone mais, tout au contraire, pour éjecter les indésirables qui cheminent jusqu'à lui par des méandres invisibles à l'œil seul. Cette rude fonction suffirait à expliquer qu'il affiche de prime abord une mine de terminaison patibulaire. Videur têtu, impulsif et monotâche, le fignard refoule rondement. D'où cet air chiffonné. Quand on passe son temps à expulser, ça laisse nécessairement des traces dans la physionomie. Les huissiers apprécieront.

Tout à coup, la voix de mémé tonitrua : Goûteeeeeer ! À l'énoncé cette alléchante invite, la patiente frémit des orteils à la nuque. Tartines beurrées ! Chocolat en poudre à volonté ! Confitureeeeees maison au choix ! L'énumération engendra une réaction décisive. Christine verrouilla ses abattis, réajusta sa culotte en un éclair immaculé et bondit sur ses pieds avec la vivacité d'une gymnaste est allemande. L'occasion était passée... Vous consultâtes la montre en plastique qui habillait votre étroit poignet. Elle n'avait rien perdu de son caractère factice. Nul tic tac ne vibrait dans ce truc en toc. Pour mener votre affaire, il vous fallait une mécanique de précision, car qui prendrait au sérieux un toubib incapable de diagnostiquer l'heure ? Déjà, Christine détalait vers les douceurs. A votre tour, vous évacuâtes l'appentis, l'esprit délesté de votre plan de carrière, toutes papilles tendues vers la poudreuse chocolatée.

Vous casâtes votre valise avant de rejoindre la place isolée acquise à un tarif avantageux et néanmoins excessif. Le système qui contrôlait l'inclinaison du dossier dysfonctionnait quelque peu. Le fait était coutumier. De deux choses l'une : ou vous disposiez d'un don pour tirer le mauvais numéro, ou le matériel de "première classe" nécessitait un sérieux renouvellement. Du moins votre siège était-il propre. Vous soulevâtes le couvercle de la poubelle. Une peau se banane y achevait sa mutation vers l'ordure. Un sachet en matière plastique lui tenait compagnie. Vous refermâtes la boîte sur les défaillances de l'équipe d'entretien sous traitante. La suite de l'opération consistait à installer votre appareil audio, ajuster votre casque et envoyer la musique avant que ne débute le sempiternel brouet mi sécuritaire mi publicitaire que composait le message énoncé par le "chef de bord". Vous eûtes le temps d'apprendre que ce dernier se prénommait "Georges". Donnée précieuse qui personnalisait la relation et transformerait le moment du contrôle en une formidable expérience de convivialité. Encore une brillante idée du service marketing. Vous expédiâtes un message à la jeune femme dont vous pensiez alors partager l'existence pour le restant de votre séjour au monde. Elle y répondit dans la minute, avec cette fantaisie qui nappait ses propos d'une saveur sans comparaison. A vos yeux, l'humour outrepassait toutes les qualités. Elle en jouait avec l'adresse d'une jongleuse qui enchaîne d'improbables figures, infligeant un permanent défi aux lois de la pesanteur.

Après le goûter, vous souhaitiez reprendre l'examen médico para légal. Mais Christine demeura hermétique à cette perspective. Ses centres d'intérêt, à moins qu'il ne s'agisse de son humeur, avaient évolués à la faveur de l'intermède culinaire. Tandis que vous penchiez toujours pour une partie de : "sens tu ce que je tâte ?", elle optait dorénavant pour un tournoi de : "vois tu ce que je mate ?". Vous insistâtes en faveur de votre formule. Elle campa sur la sienne. Vous formulâtes un compromis : "tu mates, je tâte". Synthèse supposée des opposés. Elle vous regarda. Loucha. Tira la langue. Vissa les pouces dans ses oreilles et agita les mains. Vous n'étiez pas sûr de la réponse.

Vous commenciez à éprouver des doutes. Cette carrière représentait-elle le meilleur parti ? Si les patients se comportaient à l'instar de cette chipie, votre commerce ne tarderait pas à péricliter. Les malheurs des souffrants ne vous permettraient pas de vous établir dans le bonheur d'une résidence secondaire avec piscine en front de mer, le tout bâti sur un terrain non constructible par la grâce de vos accointances avec des édiles vénaux de la Riviera. Vous sombreriez dans l'indigence, puis dans la maladie. Désormais grabataire et impécunieux, vous refuseriez de vous soigner vous même. Question de principe. La solitude vous visiterait dans une robe de barbelés rose électrique. Elle insisterait pour danser. Cette destinée ne vous souriait guère. Comprenne qui pourra.