Petit récit avec fissures

par Ramm77 @, samedi 20 septembre 2014, 18:25 (il y a 3505 jours)

Petit récit avec fissures

Irina Molvavski a endossé son plus chic manteau et coiffée son plus extravagant chapeau.
Oleg la tient par la main.
Le jour se lève à peine.
Irina et Oleg se dirigent vers la porte de l’enceinte fortifiée. Mais la porte est fermée.
Ils se précipitent alors vers une autre porte, hélas, elle aussi fermée.
Ils se disent dans un même souffle ; « Trop tard ! ».

Des silhouettes envahissent lentement l’intérieur de l’enceinte.
Le fille et le garçon encerclés par cette soudaine présence humaine, s’égarent, se perdent dans la foule muette.
Un homme, qui semble être le chef de la police, surgit d’une des maisons dans la ville fortifiée. Il est accompagné d’un personnage plus petit que lui, avec lequel il s’entretient longuement. Le personnage est le gouverneur du district. Il est vêtu d’un costume sombre élégamment coupé.

Quelques temps après, dans un immense lit, tout le monde se retrouve couché. Chacun est allongé sur le dos, serré contre son voisin. Oleg est couché au bord du lit.
Il semble que ce soit l’heure d’un rassemblement important, tous attendant l’allocution du gouverneur. Celui-ci est allongé près du chef de police
Le gouverneur commence ainsi son discours ;
« Il y a des traîtres parmi nous ! Ceux-là seront chassés de la ville. Ils n’auront plus de travail. Je les bannis car ils ont trompé notre confiance, notre amitié, et bafoué tous nos efforts qui ne souhaitaient que leur bien, en leur offrant une chance de s’épanouir et de se réaliser pleinement. Ceux-là sont des renégats qui n’ont pas su reconnaître notre générosité. Ils ont voulu profiter de la nuit pour s’échapper de la ville. Qu’ils partent donc, expropriés, démunis, sans bagage, et que leur avenir soit le plus noir des avenirs ! »

Le garçon entend tout cela.
Il tient par la main sa voisine, mais ce n’est plus Irina Molvavski, la fille au chic manteau et l’extravagant chapeau. C’est une inconnue dont il se demande si elle fait partie des traîtres et renégats. Non. Il comprend que c’est une fidèle au chef, elle tient cependant Oleg aussi très fermement par la main.
Le garçon, lui, se sait traître à son chef qui le considérait comme l’un de ses meilleurs amis.
Il ressent la main de sa voisine chaude et très douce mais toujours déterminée à ne pas le lâcher.

Puis le chef de police se dresse debout dans le lit.
Il enjambe les corps des habitants de la ville, tous alignés convenablement sous les draps.
Il s’arrête régulièrement sur les personnes qui méritent le terrible bannissement.
Il leur assène leur condamnation sans faiblesse.
Lorsqu’il arrive au garçon à l’extrémité du lit, le chef murmure une phrase à peine audible. Le garçon a l’affront de la lui faire répéter, ce que le chef fait avec un embarras qui laisserait entendre soudain que le dominant serait le garçon pourtant inéluctablement frappé d’exil. La phrase est incompréhensible, difficile à être résumée simplement, mais elle est décisive, rompant l’amitié entre les deux hommes, le chef et son subalterne.

Oleg fébrilement recherche ses chaussures.
Il est sortit du lit.
Il se tient près de la grande porte.
Il voudrait passer inaperçu, mais ses chaussures introuvables qu’il s’obstine à récupérer, le contraignent à s’exposer au regard de tous. Devoir fuir, pied nus, dans la taïga glacée, représente pour le garçon un terrible supplice. Le plus épouvantable des sévices qui pouvaient lui arriver. Un impossible devenu possible. La situation du fuyard, pieds nus, revêt brusquement tout le caractère inhumain de la décision du gouverneur.
Oleg en oublie la fille au chic manteau, Irina Molvavski.

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