une suite pour ceux que ça n'intéresse pas

par vagabond vagabondant, dimanche 10 avril 2016, 23:30 (il y a 2946 jours) @ vagabond vagabondant

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S, elle se savait pas vraiment jolie, elle était jeune, elle se savait pas vraiment tout court. elle avait un corps, ça c'était sûr. elle existait, toute engourdie par... vous ne sauriez quoi dire. les sursauts passionnés, les réserves brutales, la pudeur, l'âme ouverte à toutes les choses qui avaient de l'épaisseur, une peau, une dureté, de la chaleur. ça arrivait. et quelques fois, elle sentait une terreur confuse jusqu'à la mort frissonner dans tout son corps. pas seulement ses membres, c'était en deçà, ça touchait loin. un vertige. l'appel de la fenêtre. la réalité la saisissait et l'anéantissait. alors elle imaginait son corps fondre dans les eaux salées, se dissoudre là-bas, loin de la ville. elle respirait mal, elle pleurait. si elle avait vu plus loin, plus profond, plus noir dans la noyade, peut-être que Dieu elle serait tombée dessus.

des souvenirs elle avait pas la science. pas nostalgique pour un sou. elle oubliait sans oublier. il valait peut-être mieux... sa vie elle pouvait pas dire que c'était pas un rêve. rien de sûr. ça, les événements lui glissaient dedans, miettes éparses de quelque chose. c'était des bribes de durée, des bouts du monde. ça stagnait et ça se désagrégeait. une violence disproportionnée qui enflait à tout moment. ça la ravissait parfois. plus souvent ça lui faisait mal. un mal fou. ils étaient tous un peu absurdes, ces moments. le jour rappelait la nuit, la nuit le vide des choses, l'absence de mouvement. ça lui fichait le bourdon. toute cette brutalité l'alourdissait. et les gens si bêtes... alors elle dormait, elle grignotait des trucs, elle allait, elle lisait, elle observait.


elle n'avait jamais tellement aimé. peut-être un béguin flou pour ce long-sur-pattes, tout pompeux, avec ses boucles presque si grandiloquentes que lui, qui faisait de grands discours pour des queues de cerises. un qui se plaisait aux comédies de tréteaux. son sérieux, elle l'aurait giflé. tout ça prêtait bien à rire. mais c'était ça aimer? car enfin, même lui, il roucoulait pour une autre, une Mathilde, une Fanette, une Marquise – qui ne l'aimait plus, le pauvre luron, et ça depuis bien avant leur rencontre. pour cette autre, il avait gros sur le coeur, ce qu'il avait c'était de la passion, de la pure. émouvant ce qu'il avait à donner. blessé comme un caniche abandonné, car cette autre, elle s'était mise à l'ignorer gentiment. ça l'avait touché, S. elle se disait qu'elle servait de compresse au malheureux. elle endormait un supplicié. elle observait tout cela, pas chagrine non. ça lui allait. elle s'accommodait. elle finit par se dire que c'était pas le garçon qu'elle aimait, mais l'amour qu'il avait pour l'autre fille, la jolie dame au nom de sainte, qui sentait d'ici le muguet. une fille un peu intimidante. elle se fit une fable. le garçon l'avait flairé. il refusait, il craignait. la compresse se décollait. elle tomberait bien dans l'amour pour l'autre, la sotte. mais le sot, lui, il a jamais vu qu'elle était si jolie, S. il l'a jamais vu. trop occupé à galoper ailleurs. trop occupé à rien. il la trouvait peut-être un peu sotte, un peu insignifiante. il savait pas...

S se mit à lui parler à cette toute-jolie, celle qu'aimait pompeusement le pompeux. elle se mit à l'aimer un peu, elle aussi. pas d'un style si sublime, si cavalier-servant que l'autre, mais c'était mieux comme ça. quand même, on savait pas mais y avait dans cette fragilité qu'on lui prêtait souvent à S, quelque chose d'immense, un monstre d'ardeur, une vigueur qui trouvait pas à se fixer. c'était sourd. ça se réveillerait peut-être pas. on peut bien mourir enfant.

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