négoce

par julien, dimanche 08 mai 2016, 09:58 (il y a 2917 jours)

L’autre jour, je croisai un aveugle ; à ses côtés, un chien au poil luisant, à la langue fraîche, à l’œil qui sonde l’âme – je flairai l’aubaine.

« Ton chien m’intéresse, lui dis-je, j’aime son air méditatif ; pour combien le cèdes-tu ?
- Ce chien, c’est mes yeux, répondit-il ; il n’a pas de prix pour moi. Ou alors il me faudrait tes yeux.
- Ok, je t’en donne un en échange de ton chien.
- Je suis sûr que tu me donnes le plus mauvais.
- C’est vrai qu’il est myope, mais l’autre est presbyte, tu sais.
- Ça ne me gêne pas, un œil presbyte, parce que je ne lis qu’avec les mains ; par contre, un œil myope ne me serait d’aucune utilité : j’aime voir venir les gens de loin.
- Va pour mon œil presbyte, alors. Donne-moi ton chien.
- Non, attends. Un seul œil ne suffit pas. Pour avoir le chien, qui m’est si précieux, tu dois aussi me donner un bras.
- Qu’est-ce que tu en ferais ? Tu n’es pas manchot !
- Ça m’en fera un d’avance. Je peux toujours le placer dans un coffre à la banque. Mais cela ne te regarde pas.
- C’est vrai, mais là, c’est un peu cher. A moins que tu ne me laisses tes cheveux en compensation, car je suis chauve.
- D’accord, mais comme je ne sais pas s’ils repousseront et que j’ai mis du temps à obtenir cette longueur, je te demande aussi un testicule.
- Que feras-tu avec trois couilles ?
- Non, une seule, car je suis eunuque aussi.
- Un testicule, c’est cher payé. Je veux deux doigts de ta main droite pour équilibrer.
- Alors je veux une jambe.
- Là, tu exagères ; tu essaies de m’arnaquer. Une jambe, c’est beaucoup trop cher, ou alors je garde mon testicule.
- En ce cas, tu n’auras pas tout le chien, car il vaut plus que ce que tu me proposes.
- Si tu veux : garde les pattes arrière et la queue.
- Marché conclu ! »

Nous procédâmes à la transaction. Le sang coula un peu. Je pris le taxi pour rentrer, mon chien sous le bras.

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