Exoplanète

par zeio, dimanche 19 octobre 2014, 01:07 (il y a 3448 jours) @ catrine

Tu as raison les deux sont intriqués. Mais à lire sa phrase on croirait que les écrits sont incorporels, tandis que la voix leur donne présence, corps et sexe. Ça pourrait être les deux faces d'une même médaille. A le lire on croirait aussi que la mise en musique est la finalité de l'écrit. Il ne parle pas simplement de lecture à voix haute il parle spécifiquement de musique et sa métaphore à trait à la musique. Je sais que j'ai énormément de plaisir à écouter certaines mises en musiques de textes que j'aime (Dode, baschung, ferré un peu moins, paul fargier...), c'est comme redécouvrir une œuvre familière à travers un prisme nouveau, pour autant, je ne considérerais jamais cela comme une finalité, le pivot central c'est l'écrit, le reste gravite. La lecture je pense est plus créatrice que la simple écoute. Écouter c'est plutôt recevoir, une voix, une sueur, un angle nouveau. L'écrit c'est sa propre voix intérieure qui raconte et crée le texte en temps réel au fur et à mesure de la lecture, et chaque lecture laisse émerger une nouvelle musicalité silencieuse. Il dépend aussi de la qualité du lecteur de s'abandonner et de laisser son imagination s'iriser au contact de l'écrit et de recréer toujours la sensation. La mise en musique secoue ce cheminement sans le briser. La musique est plus facile d'accès, elle place dans un certain état d'esprit et de réceptivité l'auditeur sans que celui-ci ait nécessairement besoin de se lancer dans un effort créatif conséquent. La musique effectue une plus grande partie du travail. Mais elle apporte une pierre à la cathédrale et non des moindres. Elle apporte aussi une chose que l'écrit est incapable de fournir : la multiplicité. Sauf si c'est l'auteur lui-même qui lit ses propres textes (et encore, peut-on dire qu'il s'agit du "même auteur" puisqu'il n'est plus dans le même état d'esprit ni au même point de son évolution que lorsqu'il a écrit le texte, il pose donc une double voix sur son travail) une mise en musique est toujours plurielle : l'archet et le violon pour reprendre sa métaphore, la voix du locuteur/chanteur et les mots de l'auteur. C'est la force de la musique, de déployer un écrit en imposant ses faisceaux multiples et sonores.
La lecture silencieuse se fait dans une certaine unicité, intrication du lecteur qui mêle son cheminement intérieur au texte, pour ne faire qu'un, c'est un tout qui se forme, tandis que la musique est formée de plusieurs strates bien distinctes. C'est l'écrit d'abord, qui verse, et la musique cristallise et tend le verre.
L'écrit est inscrit dans une certaine intemporalité, tandis que la voix et la musique font entrer l'écrit dans le temps, en le fixant par la voix et les instruments, ce qui donne la sensation de lui apporter corps et présence. Comme si le texte parlé ou mis en musique "venait au monde". Il y a certainement du vrai là-dedans, je le crois, un potentiel de beauté supplémentaire. Mais reste que par un effort d'imagination et d'écoute, on s'habitue aussi à deviner, à sentir une présence dans la voix sans langue (qui ne parle pas : l'écrit) du fond de notre époque où tout est bruit et image, travail salubre de l'imagination et d'imprégnation d'un mystère.

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