Claire

par vagabond vagabondant, dimanche 07 août 2016, 00:53 (il y a 2817 jours)

Claire, et son pas indolent des marcheuses d'Andorre, nourrissait pour la vie un appétit étrange. Son pied s'appliquait sur le béton comme on s'enroule au duvet molletonné. Nous traversâmes longuement le jour. La matière jaunie, irréelle des êtres sous forte chaleur, le ciel blanc, l'insouciance. Nous eûmes la courtoisie de ne pas effleurer notre tristesse et toutes les choses sublimes et nocturnes qui leur lâchent la main. Longtemps nous nous perdîmes dans ce labyrinthe. Nous avions aux lèvres un vin mutuel, cela suffisait au bonheur. Claire parlait peu, riait beaucoup, par vagues, aux yeux noirs et légers. Claire, son énigme et sa franchise. Claire et mon âme un peu mourante ; ma jeunesse, sa fêlure.



*



Cette nuit-là, sur les berges étoilées, à peine l'effleurais-je qu'elle devint courant de Seine. L'eau mouvante berce les mélodies lancinantes et les solitudes. En cet instant, un accordéoniste méridional, qui regrettait à coups de grands gestes comiques sa Bella, incline avec tendresse son front hâlé sur mon épaule - et son sanglot lyrique fut d'un étrange réconfort. Je continuais de m'offrir, comme de pierre, aux céphalées méditatives. Il fallait bien qu'à mon tour je pose ma joue contre le sein tiède du vent. Il fallait bien que je prenne ce pauvre homme dans mes bras. Claire flotte quelque part dans cette confusion des âmes.



*



Un soir, j'eus le vague sentiment du dos de Claire : longiligne et régulier, longé d'une robe que l'air bleu confondait. La présence fila sans se retourner dans cette vaste architecture de ruelles, aux façades angulaires, percées d'ombres et d'odeurs de pain chaud.

La ville l'avait inhalée.

Je finis par échouer sur les marches d'un opéra, aux pieds d'une saxophoniste. Elle cessa de jouer et me pris en tendresse, et nous rêvassâmes ensemble, tête contre tête, sans plus de mots. Elle était jolie, cette saxophoniste. Elle était jolie, plus encore que Claire.

Les sensations ne se démêlent plus des souvenirs et des projections. Je respire leur blême confusion. Impression de devenir muet. Ce mal étrange.

La grand-place jetée hors d'elle-même, j'avais le vague sentiment du dos de Claire. Nulle image bien nette, nulle sensation tout à fait arrêtée, aucun souvenir vivace - une ombre, un flou, un mouvement sourd, une forme quasi-fictive que des régions antérieures font affleurer.

J'ai quitté ce monde d'étincelles nocturnes.

Aujourd'hui, cela fourmille ci et là comme un alizé chargé de fables très anciennes.

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