Variables liées

par Louis @, dimanche 04 septembre 2016, 01:21 (il y a 2790 jours)

Les choses ne savent pas ce qu'elles disent. Un objet se balbutie des qualités, une forme. Le ciel se compose un visage. Regarder autour de soi ressemble au lancer de dés : mêmes les lieux ordinaires sont des variations sur une trame d'habitude, mais il n'est pas certain que les objets ne présentent pas de nouveaux contours. Je ne me lasse pas laisser varier les formes autour de mon corps, mais dans le même temps, rien ne s'oublie de plus vite que l'idée d'un lieu. Je n'en ai en tout cas pas la mémoire. Rapidement c'est comme avoir toujours été à tel endroit. Je ne sais pas si cette amnésie est partagée, je la suppose condition de beaucoup de choses, qu'elle sous-tend la mécanique de l'agir ou plutôt qu'elle est son marchepied, qu'il faut pour s'y résoudre se hisser à ce socle d'habitude. Je m'endors dans mon lit comme au milieu des nuages. Les ciels se succèdent dans le même souffle aimable. Les jours et les nuits, une sorte de ponctuation.

Les nuits s'ouvrent une première fois lorsqu'elles tombent comme des lampes progressives : la lumière s'y conserve mais avec des contrastes variables. Un ameublement lumineux en émerge, peuple de l'ombre comme les rainures des boiseries. La nuit s'ouvre une deuxième fois vers 3, 4 ou 5 heures, lorsqu'on finit par oublier que le jour a pu exister et que les lumières humaines ou naturelles semblent adopter une forme définie. Elles retiennent leur souffle, à leur suite tout prend un état d'immobilité, puisque leur milieu ne change pas, ce que ne dément pas l'absence d'activités alentour. Si l'on s'y attarde suffisamment la nuit devient éternelle.

Je perds la mémoire des lieux aussi rapidement que j'en prends l'habitude, si je témoigne de tel dans des circonstances répétées et semblables. J'ai l'écoeurement de certains endroits, ceux par exemple où l'on travaille. D'autres indiffèrent. Histoire connue. De la même manière on peut s'ennuyer de sa pensée. On peut rendre visite à des idées devenues banales comme on faisait auparavant des salons des marquises. On aura beau faire, on tourne en rond. A chacun sa petite combinatoire définie, dénombrable, d'idées, de principes et d'humeurs possibles, à l'échelle d'une vie. Mais la réminiscence vient vraiment de l'oubli, elle n'est pas un pas de côté de la mémoire. C'est dans les coïncidences inédites entre les dispositions intérieures et extérieures qu'on trouvera un enthousiasmant exotisme.

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