Milena

par Vagabond vagabondant, mardi 25 octobre 2016, 22:32 (il y a 2749 jours) @ cat

c'est toujours d'une délicatesse terrible (frisant l'insurmontable) que de revenir sur un poème qu'on a conclu avec le sentiment (fragile) de sa nécessité formelle.

pour moi qui ai écrit ce texte (disons cela: Milena n'est qu'un cas parmi d'autres), je sens bien les points de mon texte qui seront sujets à caution chez certains lecteurs : je vois plus ou moins ce que les uns attendent, je pressens plus ou moins ce que d'autres souhaitent "ne pas lire", et ainsi de suite (on se fait intuitivement, quand on écrit, sa propre typologie de lecteurs et l'ensemble constitue l'idée qu'on se fait de son lectorat). je sais, par exemple, que le adjectifs, épithètes, adverbes, etc. sont généralement perçus (et je crois à raison) avec suspicion et méfiance ; la question qu'on se pose spontanément quand on lit avec attention un texte fait pour être lu avec attention est 1. "cela est-il indispensable ?" et 2. "cela est-il efficace ?"

mais indispensable de quel point de vue ? et efficace pour quoi ?
réponse : pour la lisibilité du poème
pour l'impression qu'il contribuera à véhiculer...

or, si la forme de la première partie du diptyque me paraît irrévocable (elle peut bien ennuyer untel et tel autre, je me sais incapable d'opérer la moindre retouche sans la gâcher entièrement), je sens que la forme de la seconde partie est un peu plus fragile. j'ai fait des choix dont j'ai l'impression qu'ils sont poétiquement ou esthétiquement contestables :

exemple

"Toute gamine, danseuse, rieuse
Milena dansait, riait
toujours
rêvant la mort"

on pourrait me corriger pour préférer

Toute gamine,
Milena dansait, riait
toujours
rêvant la mort


on pourrait même aller plus loin dans la simplicité et préférer encore

Toute gamine,
Milena dansait
rêvant la mort

sautait
à la corde à sauter
de marche en marche
de bande piétonne en
bande piétonne

jamais renversée



on pourrait ensuite me reprocher mes deux répétitions du mot "heureuse" en me demandant si cette répétition est indispensable

et moi je pourrais répondre :

quand j'ai écrit ce texte, cette répétition me semblait indispensable, non pas sémantiquement mais euphoniquement, ou plus exactement tonalement : je m'entendais lire ce poème et l'inflexion de la voix mise sur le second "heureuse" était censée appuyer tout l'équivoque qu'un mot si plein pouvait receler)

mais un contradicteur persistant pourrait ruiner mon argument en m'opposant une idée parfaitement opposée à la mienne, et entièrement pertinente, soulignant l'inanité de ma justification.


on pourrait encore s'interroger sur la répétition brutale, à trois reprise, de "pareille à la mort". alors, on me demandera des comptes sur la valeur de l'image d'une fille qui "danse de nouveau, le ventre flétri, pareille à la mort" et sur sa signification. j'aurais beau hausser les épaules et me lancer dans une justification, je me serai compromis face à ce lecteur retors, j'aurais réduit mon texte à ma lecture et j'aurais même peut-être achevé de me convaincre moi-même, de la bêtise de ma justification.

je m'arrête là, mais je pourrais continuer mon autocritique jusqu'à la fin du poème. bien entendu, cette typologie des lecteurs représente la diversité (limitée) des approches que je suis capable de faire de mon texte (par anticipation et parce que je suis mon premier relecteur). évidemment, quand j'écris, je ne raisonne pas aussi explicitement, je ne disserte pas sur mes propres possibles, je n'anticipe même pas consciemment les critiques éventuelles.

tout ça, ce n'est qu'une rétrospective éclairée par l'incertitude.

en disant cela, je veux en venir au fait qu'il m'est infiniment (et intimement) difficile, une fois le poème écrit, une fois son idée fixée, déterminée, déduite d'un chaos initial (le désir d'écrire), de reconsidérer des parties de cette unité cristallisée. restructurer un poème, le repenser en termes de dominante, tout cela est PÉRILLEUX.

on ne sait jamais à quel lecteur on fait offense (et souvent, on se gâche).

souvent, par exemple, en épurant, en simplifiant drastiquement un poème "après coup", c'est son âme que j'ai le sentiment d'amputer. comme si ce qui faisait ma moelle, paradoxalement, se cachait dans ces imperfections et autres fautes de goût.

(je ne dis pas cela pour justifier quoique ce soit, je souligne le point névralgique de mon rapport aux critiques dites constructives)


pardon pour les longueurs.

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