Un texte

par zeio, jeudi 09 mars 2017, 00:39 (il y a 2612 jours)

Je suis à peu près sûr qu’elle tente en ce moment même de me dire quelque chose. Alors je tends l’oreille. D’abord une affaire de politesse. Une personne s’exprime, en retour il s’agit de tendre l’oreille. Peu importe si le cerveau est attardé quelque part entre la stratosphère et la ionosphère, ou si le vent qui se déplace dans la cour intérieure lève soudainement un amas de feuilles mortes. Il s’agit d’être poli, avant tout. Sans difficulté je suis en mesure d’éprouver cette sensation familière de vibration dans mes tympans : clairement, un événement sonore a lieu en ce moment même, à l’endroit où je me trouve, c’est un fait irréfutable. Et c’est cet événement, cette prise de parole, qui m’incombe de tendre l’oreille. Pour le reste, je dois bien admettre que je serais bien incapable de décrypter un traître mot de ce flot de paroles qui m’est adressé. La langue utilisée ne m’est pourtant pas étrangère, je serais prêt à parier qu’il s’agit là de ma langue natale. Au moment même où je suis prêt à me lancer à moi-même ce pari absurde, voilà que se produit une pause, le silence remonte à la surface, visiblement, on attend une réaction de ma part. Je décide alors de pincer mes lèvres, de relever mon front, tout en exerçant de la tête un mouvement de haut en bas. Il va de soi que j’ai voulu par là exprimer ma surprise face à une situation étrange. L’expression de la surprise est, somme toute, la réponse adaptée à toutes sortes de situations possibles, même les plus banales. Mon pincement de lèvres, mon relèvement du front et mon mouvement de tête ayant eu pour effet de relancer le flot de paroles, je peux, moi aussi, reprendre le cours de mes réflexions et mon analyse. Les mots entrent, se fraient un chemin en moi, et coulent sans que des mains intérieures secourables ne soient en mesure de les attraper au vol. Ils glissent. Je ne sais pas si ce sont les mots qu’elle exprime qui sont trop lisses, ou bien si les parois qui tapissent l’intérieur de mon corps manquent cruellement de cette aspérité capable d’accrocher ses mots. À la réflexion je devine que la perturbation n’est pas de mon ressort. Tandis que je ne m’y attends pas le moins du monde, voilà qu’elle se saisit de mes mains, les rapproche de ses lèvres. Je suis certainement condamné désormais à écouter coûte que coûte, il va de soi que ce qu’elle veut me dire est d’importance, je ne pourrai pas en faire l’impasse et d’ailleurs, je ne le souhaite pas vraiment. Après tout, je ne souhaite rien tant que les paroles ne cessent jamais. Dans une contraction involontaire de mon réseau nerveux je réalise que mes pieds ne touchaient pas véritablement terre, que je gardais les yeux fermés quand bien même j’étais persuadé du contraire, je n’étais, finalement, pas ici, mais où, le saurais-je jamais, j’oublie. C’est sans raison aucune que mon cœur bat avec frénésie, c’est sans raison aucune aussi que j’ouvre les yeux, ceci afin de l’observer comme si je l’observais pour la première fois. Ce sont les mêmes mots qu’elle chantonne depuis tout à l’heure, peut-être depuis plus longtemps, sans que je ne m’en sois jamais réellement aperçu. Ces deux mots, nous les connaissons bien, ce sont les plus courants et les plus rares de la galaxie. Elle les répète. À nouveau dans la cour intérieure, une bourrasque fait acte de présence.

Fil complet: