Un air de tropisme... (2ème couplet)

par Périscope @, mercredi 13 septembre 2017, 09:45 (il y a 2388 jours)

Un air de tropisme... (2ème couplet)

On n’a jamais entendu quelqu’un frapper ainsi à la porte d’un
astronef égaré dans l’espace. Et pourtant il frappe. Il vient de l’extérieur.
Il insiste. Ses coups insistant sont son seul langage. Sa voix n’est
pas perceptible. Mais ses coups demandent qu’on lui ouvre l’habitacle.

« Bonjour ». Les yeux sont effarés. « Bonjour » cela est venu
machinalement. « Bonjour ». Ils sont tout les deux à se lancer de concert
« Bonjour ». En face, mais l’un est dehors et l’autre est contenu dans
la coque. « Bonjour ». Une boule d’émotion englue le joli mot.

Les gens qui viennent de l’espace sont peu vêtus. L’habitant de
la coque s’en étonne. D’autres mots enfin s’alignent entre les lèvres
épaisses de l’arrivant. « je cherche quelqu’un ». Dans ses yeux
se lisent l’inquiétude et l’urgence. « il n’y a personne ici, je suis seul,

comment voulez-vous que je sois avec quelqu’un ici ? ». La main de
l’étranger est posé sur la clenche, décidé à ne pas céder. « je peux voir ? ».
Il parvient à rentrer. C’est une intrusion dans la sphère intime.
Il verrouille la porte derrière lui. Les deux individus se jaugent.

Celui habillé contre celui déshabillé où du moins vêtu sommairement.
« je connais bien l’endroit, je vous ai précédé ici, il est impossible qu’il
ne soit pas là ». Chercher dans une coque si petite est vite fait.
Mais c’est dans le regard que les choses se trouvent. « il m’appartient,

vous ne pouvez pas me le substituer ». « pourriez-vous
me le décrire ? » demande le personnage habillé. Un « ah »
de consternation étrangle l’autre. Une pâleur saisit son visage exsangue.
Son habit d’éponge découvre son torse pileux. « je ne vous connais

pas assez pour que je puisse vous le décrire, il me manque tout
simplement ». Leurs genoux se touchent dans la confrontation.
Un brin de salive s’évapore de leur mâchoire menaçante. Puis
soudain, la colère atteignant son acmé, celui en habit d’éponge

susurre sur un ton glacial « il est là ». En effet, plaqué contre la paroi,
c’est lui. On le désigne du doigt, c’est lui la cause, le responsable,
le moteur de toute l’histoire. Mais il ne dit toujours rien.
Il se laisse observer, loqueteux, minable, prosaïque. « je ne savais pas

qu’il faisait parti de vos intimes ». « vous avez eu un échange ? »
interroge celui au torse pileux. « si tu le connais, alors tu me connais,
est-ce que je ressemble à celui que tu t’imaginais ? » ajoute-t-il, avec
une légère ivresse dans ses paroles et ses yeux. « non, toi, tu es beaucoup

plus propre ». Et pour le prouver, il ouvre entièrement son peignoir en
éponge. Nu, parfumé, soyeux, un spectacle total de la propreté. « vous étiez donc
ami avec l’autre ? ». « inséparables nous sommes ! ». L’habitant de la coque
ne dissimule pas sa déception. Il passe la main sur le cœur du torse pileux.

Il bat avec une force et une régularité éblouissante. Quant à la
dentition solide, complète, elle est le signe d’une santé exemplaire.
Mais les appâts qui pendent, comment pourraient-ils s’accorder avec
ceux du minable qui se tasse dans un coin de l’habitacle ? Tout le

monde erre quelques minutes dans l’étroitesse du lieu. Chacun veut
s’emparer de l’autre. C’est une course minuscule. Il y a des
déchirements. Une valse sordide s’improvise entre l’homme
habillé et le salaud dégoutant. Jalousie du propre qui s’interpose

en criant « mais lui, c’est moi ! ». Il y a un barouf énorme du
trio qu’on pourrait entendre du dehors. Gémissement, gloussements,
reniflements, pétulance. Puis, c’est le monsieur propre qui
gagne la partie, saisissant son dégueulasse à bras le corps, il ressort

de la coque, réajustant son peignoir, il disparaît dans les longs couloirs.
Lui, abasourdi, referme la porte, défait sa cravate, ses vêtements qu’il dépose,
et dans un dépouillement pyrrhonien, il ouvre la douche pour rafraîchir le brasier
en lui.

(3ème et dernier couplet prochainement)

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