En suivant Rimbaud

par Ramm77 @, mardi 02 décembre 2014, 17:14 (il y a 3431 jours)

En suivant Rimbaud


Une femme flotte sur l’eau. Elle flotte lentement dans de longs voiles.
Je me lève. J’enfile un pantalon. Me brosse les dents. La figure, je me la lave plus longuement que l’habitude. Je ne regarde pas les arbres qu’ils ont coupés. Je prends un pistolet, je ne me rappelle pas pourquoi. Il fait beau. Le ciel n’a pas de considération pour ceux qui porte un pistolet. Je demande au chien de se taire et l’enferme dans le chenil.
Une femme flotte sur l’eau. Le hallali d’une chasse à cour résonne dans la forêt. Depuis longtemps, la femme triste, le soir ruminait sa folie.
C’est dans la campagne que je marche nerveusement. Un agriculteur est déjà au travail. La boue sur le chemin recouvre mes chaussures neuves. Dans ma poche, il y a une lourdeur qui me dérange. J’arrive au bistrot sur la place. Le monument aux morts représente des femmes qui pleurent. Le ciel est parfaitement bleu. Je me souviens autrefois lorsque j’entrais, le cœur tranquille, dans une salle du bistrot.
La femme qui flotte sur l’eau, le vent déploie des grands voiles sur ses seins.
Certains lisent le journal. La patron que je connais ne me dit pas bonjour. Une forte paysanne parfumée raconte des histoires. Sur les tables les cafés noirs et calva sont plus nombreux que les limonades. Quelqu’un a mal refermé la porte des vécés. Sur le journal, il y a des grands titres. Depuis peu je pense qu’un jour on parlera de moi. Un homme au nez pointu lit attentivement un article dans les pages intérieures. Je voudrais disparaître aux vécés, mais c’est occupé. De toutes manières je n’ai envie de rien.
Mollement dans l’eau elle flotte. Ses épaules s’accrochent aux saules.
L’après-midi commence. Je ne sais pas comment il est arrivé si vite. Je grignote une tranche de cervelas qui me reste dans mon sac. Beaucoup de passereaux émigrent dans le ciel. Des cars de ramassage sillonnent la campagne. Déjà. L’objet est toujours glacé dans la poche de mon pantalon. J’aimerais bien écrire une lettre mais je ne sais pas à qui l’adresser. Un chien se promène sur la route. Il ressemble au mien que j’ai enfermé avant de partir. Il y a des saules au bord de la rivière. Je prends une autre direction.
Autour de la femme, les feuilles de nénuphars se froissent.
Quand on se croisait dans la salle de bain, elle ne disait rien. Elle ne tirait pas le verrou, sauf une fois. Et puis ensuite de plus en plus, elle tirait le verrou. Les soins de sa toilette devenaient interminables. Le ciel est gris. Parfois le temps change. Elle me servait à table du gigot qu’elle ne mangeait pas. Dans le jardin je sors. Dans la remise je range méticuleusement mes outils. Si je reviens dans la maison, elle est ailleurs. Peut-être, dans le lit, elle me demandera de la masser.
Une femme flotte sur l’eau, dans de longs voiles. Parfois en flottant, elle réveille quelques nids dans un aune.
Je suis arrivé. Je sors mon pistolet. Une femme flotte sur l’eau. Ses grands yeux me fixent. Je tire deux coups. Elle ne flotte plus.
Ciel, amour, liberté ! Quel rêve, ô pauvre folle ! Le car, rempli d’écoliers, passe sur la route. Les enfants me font des gestes d’amitié. Trop de visions étranglent mes paroles. Je descends dans la rivière après avoir ôté mes chaussures neuves. Les voiles sur l’eau sont vides, comme des bateaux ivres.

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