Notre-Dame des mères indignes

par Pierre Anselmet, jeudi 18 avril 2019, 14:38 (il y a 1829 jours)

Elle nous voyait, là, nous tous deux dans le noir,
dévisageait ses enfants mus
en simulacres de miroir.
Ses cheveux étaient blancs, son souffle doux et fou,
lourd et blanc,
blanc ivoire.
Ses lèvres murmuraient
des plaintes sans espoir.
Et ses yeux noyaient les nôtres,
tant ils pleuvaient, tant elles s'époumonaient
ses pauvres pupilles pleines
d'un fatras animal.
Tant tout son corps faisait des râles,
s'ébrouait devant nous, à deux doigts de la haine.
S'ébrouait comme un cheval.
Là.
Face à ma sœur et face à moi.
Face à nous chus dans sa mémoire
qui déconnait.
Voici la mère que je connais.
Voici l'amour que j'ai connu.
Voici Marie-France la belle, la maladie, la mort blanche
comme un bouleau.
Vitiligo tâchant peau pâle.
Tout ce blanc perle dans le noir,
et voici l'or désargenté
d'un soleil fou à 17h déjà pété:
le beau-père,
dans cet appartement hanté
par bien des crises par bien des soirs
où la soupe où le pain où cette pauvre mère manquait.
Où mon cul même
jamais n'était torché.
Et toi, ô toi ma sœur, mon ange, ma compagne d'âpreté,
à toute heure tu te taisais.
Fallait-il que je parle à ta place,
que je te protège des géniteurs,
moi ton grand-frère, moi ton sauveur,
je ne savais guère gérer maman.
Quand ça gueulait dans la cuisine.
Quand le beau-père était en feu, brûlé par le whisky.
Quand ça chialait dans les esquisses.
Quand ça tremblait au fond du lit.
Doucement, doucement venait la nuit.
Et le ciel - encre de chine - écrivait Marie-France,
et elle, la mère indigne, Notre-Dame reine de France, peste incertaine,
pâle,
s'ébrouait devant nous, à deux doigts de la haine
d'un fatras animal
où luisait l'ire - le corps nu - la mort minable des âmes naines.
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