Peintre peintre

par Sacha @, mercredi 04 décembre 2019, 16:27 (il y a 1599 jours)

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Il achète des armoires. Il les démonte. Il confectionne dessus des œuvres plastiques. Il demande à ses modèles, qu’il ne veut pas appeler ses modèles, de poser. Il dessine leur ombre portée à la mine de plomb. Il mélange la vie intime au réel. Il mélange la vie intime de ses modèles au réel de l’histoire. Le réel de l’histoire c’est aussi bien l’histoire ancienne que celle d’aujourd’hui. Il se documente beaucoup. Il accumule beaucoup de renseignements. Il s’adapte aux thèmes de ses commanditaires. Il travaille aussi bien sur les maoris, les vikings, le moyen âge, les dogons, les aborigènes, les inuits, ou les moines pleurants de l’abbaye d’Arthous. Il crée une série qu’il intitule Les Grandes Voyageuses. Par ce thème il voyage très loin sans jamais se déplacer. Son modèle est toujours originaire du pays qu’il travaille. Il dit qu’il n’est pas peintre.
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Il se veut passeur. Passeur du réel et de l’intime. Passeur de cultures et d’images. Il découpe des papiers peints. Il dessine des symboles sur le papier peint. Il crayonne des couleurs sur le papier peint. Il aime que ses œuvres soient pliables. Il dit que la charnière c’est aussi le passage vers quelque chose d’autre. Il existe des mots charnières. Il inclut des mots dans ses œuvres. L’œuvre est aussi un portrait complexe de ses modèles, qu’il n’appelle plus ses modèles. Il aime le partage. Il abandonne ses premières œuvres qui représentaient des visages dans des paysages. Elles étaient introverties. Elles étaient égoïstes. Elles n’étaient pas altruistes. Il préfère faire feu de tous bois maintenant. Il ne sait jamais ce que sera la finalité de l’œuvre quand il la commence. Il improvise.
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Il fonctionne avec les nombres. Il crée des séries autour d’un nombre. En ce moment il travaille sur le chiffre Cinq. Il a quarante cinq ans. Il est né le cinq du mois. Il affectionne la figure du cercle. Les disques vinyles lui servent de support. Mais surtout les microsillons lourds en carbone. Il crée sur la surface en carbone des microsillons. Le cercle parfait. Il s’arrête de parler. Il regarde l’assemblée. Il regarde chaque personne de cette assemblée. Il dit qu’il serait curieux de savoir ce qu’il pourrait créer à partir de chaque personne de l’assemblée. Il s’appelle Pascal Daudon. Il habite à Bordeaux. Il est l’invité du jour. Il dit qu’il est ravit de profiter de l’espace de parole qu’on offre à l’invité du jour.
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Il aime s’habiller en noir. Il porte une étoile en diamant à l’oreille gauche. Il dit qu’il aime les étoiles. Les étoiles du ciel comme celles au fond de la mer. Chacune de ces étoiles le relie de la terre au ciel. Sa voix monocorde est douce. Ses cheveux sont grisonnants et il ne bouge jamais les bras en parlant. Sauf quand il doit activer la télécommande. La télécommande télécharge l’image de ses œuvres sur un écran vidéo. Les images de ses œuvres n’obéissent pas à la télécommande. Pascal Daudon confie la télécommande au technicien de service. Mais les œuvres sur l’écran vidéo défilent dans un ordre aléatoire. Pascal Daudon est obligé d’adapter ses commentaires à l’ordre aléatoire de la projection de ses œuvres.
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Le technicien de service ne parvient pas à maîtriser la technique de la télécommande. Le technicien de service se retire. Quelqu’un d’autre dans l’assemblée s’empare de la télécommande. Ce Quelqu’un d’Autre parvient à maîtriser la télécommande. L’assemblée applaudit ce Quelqu’un d’Autre pour être parvenu à maîtriser la télécommande que le technicien de service ne parvenait pas à maîtriser. Ce Quelqu’un d’Autre est content. Il n’est pas mécontent de se faire applaudir. L’organisatrice demande à l’assemblée de poser des questions. Quelqu’un d’autre dans l’assemblée demande à Pascal Daudon « Qu’est qu’il veut dire en parlant du réel ? » Sa réponse est évidente pour une question imbécile.
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Pour subvenir aux défaillances de la vidéo, des catalogues circulent dans l’assemblée. Des catalogues où sont représenter les œuvres de Pascal Daudon. Des catalogues qu’on feuillette. Des catalogues brochés en papier glacé. Des catalogues qui voyagent de main en main. Des catalogues qui montrent en séries des œuvres des périodes diverses. Des catalogues qui permettent de regarder en détail les œuvres, mieux que sur la vidéo. Pascal Dondon continue de parler. Mais il est l’heure que je m’en aille et je dois pousser la lourde porte de verre. Sur le parc.

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