Le branle du rocking chair

par Périscope @, vendredi 17 juillet 2020, 09:56 (il y a 1376 jours)

Le branle du rocking chair


Se balançant dans son rocking chair il affirme :
Les sentiments ont pour origine la naïveté et l’ignorance.
Le père demande à la petite fille d’aller offrir le bouquet de fleurs
en le tenant bien caché derrière son dos.
Le policier serre la main à tous les commençants qui déballent sur la place.
Le type sur le rocking chair pérore :
Il faut faire confiance aux jardiniers car ils sont les enjoliveurs du temps.
D’apparence jeune, le type a une voix de vieillard.
Quand le jour se lève et que les nuages descendent,
on est alors comme coincé entre l’enclume et le marteau,
déclame une dame en fourreau de cuir.
Moi je regarde à la télé le Christ qui danse et chante en la personne de Bob Marley.
C’est alors que le cercle parfait du soleil essaie de faire oublier les zigzags de l’orage.
Sur la place du marché un marchand vend des plantes naturelles
qui n’ont pas besoin d’eau pour grandir.
La grosse femme dépose son baiser fuchsia dégoulinant sur la joue rose de la petite fille.
Qui a dit que entre les effets et les causes il y a une place pour l’imagination ?
Ce n’est pas le policier.
Sous la verrière, les peignoirs blancs rendent les malades beaucoup plus gracieux.
Ces gens qui parlent avec conviction vous simplifient la vie.
Un sentiment froid est beaucoup moins savoureux qu’un thé glacé,
il stop alors aussitôt le balancement de son rocking chair.
Mais ce sont les horloges qui sont les ordonnatrices de nos émotions,
répète encore la femme en fourreau avec un timbre fêlé dans la voix.
Bon, je change de programme.
Dans les forêts on coupe les bras des arbres pour qu’ils repoussent,
ce n’est pas le cas pour les hommes, précise le malade en peignoir.
A présent on n’entend plus la pluie ni le chant lointain des oiseaux.
A l’entrée du chemin il y a une immense flaque d’eau. L’air est parfumé.
Un vrai bouquet de fleurs pourrait empêcher de voir les fleurs peintes sur mes tableaux,
réfléchit rapidement la grosse femme.
Non, c’est le policier qui dresse une contravention aux véhicules mal garés.
Moi, je pense que Dieu existe parce qu’il n’existe pas.
Bon, je change de programme.
Il fallait des doigts de fée pour construire les bombes et les cartouches en 1939.
Tien, tien !
La grosse femme ne pourra jamais porter un fourreau de cuir.
La difficulté partout est de marcher dans le réalité sans y avoir les deux pieds.
Dans leur chambre les malades qui lisent un livre retrouvent leur visage humain.
Le rocking chair se balance tout seul.
Puis une fumée noire dont on ne sait d’où commence à envahir le ciel bleu.
Quel est ce bruit de foule qui vient du village ? demande le type.
C’est le torrent ! répond la petite fille.
J’aime ce programme. Je m’approche. Les mouches ont disparu.
Le peignoir blanc s’adresse au fourreau de cuir. Le type regarde de travers.
Une fleur cueillie est moins blanche dans son eau trouble.
La grosse femme alors s’installe dans le rocking chair qui refuse de balancer.
Arrive soudain le policier. C’est le parrain de la petite fille.
La gomme du ciel efface village et forêt d’un coup de brume,
murmure celle au fourreau de cuir, très satisfaite. Le peignoir blanc tressaille.
Elle le regarde avec envie, voudrait le prendre dans sa main, le toucher,
sentir cette rondeur dure douce et râpeuse, et cette chose proéminente devant,
qui tombe un peu, comme une visière, la visière d’un képi de police,
posé là, sur le guéridon, et que la fillette mange des yeux.
Etes-vous sûr que c’est le torrent ce bruit au loin ? dit le type.
En montagne, le climat joue avec les creux et les bosses,
qui forment les péripéties d’une histoire, je réponds alors.
Ah ah ah rigole doucement l’assemblée.
La petite fille monte à cheval sur le genou du policier.
Le chapeau, le chapeau ! scande enfin tout le monde.
La petite fille coiffe le képi fièrement.
Le rocking chair gémit sous la lourdeur de tous les convives.
Le programme défile en boucle.

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