un recueil de poésies

par loulou, vendredi 13 novembre 2020, 01:28 (il y a 1258 jours)

j'ai compilé quelques poèmes de avril-mai-juin dans un "recueil" dont je vous propose la lecture, bisous




ça s'appelle:




DEDANS, DEHORS







propos liminaires



courgettes, carottes, aubergines, résolutions -
je laisse tout à sa place avec l’huile
d'olive aux cheveux blonds foncés de la
fin de l’été - où l’on conçoit ces
sortes d'ambitions. aujourd’hui je
ne peux pas tout faire à la fois.
des céréales et du lait froid
pour la 4ème fois, dans l’appli « notes » une liste
de tout ce qui est mis en attente - obligations
administratives ou professionnelles - je sors et vais
dans la rue me promener
comme on cherche sa respiration
dans les sous-bois touffus du souffle
d’après-l'amour.

tout m’accompagne.

la rue se met à mon poignet, les voitures
simples barrettes à mes cheveux,
un immeuble quémande si j'ai du feu,
un réverbère fait office de briquet -
tout m’accompagne - je longe le muret
lent du cimetière, retrouve la place connue :
abricotiers sans abricots, cerisiers aux
cerises mortes-nées - petites et grappées
comme des oeufs de poisson - vertes-clair
à jamais - tout m’accompagne - les choses
se mettent à ma table, les bruits ambiants en
font autant, oh
et fixant le soleil sur l'écrou du ciel - le regardant -
je pense à fermer derrière moi, de ce paysage,
la porte


**


poésies


**


parfois je veux prendre un grand bain de prose. dans
la bibliothèque choisir le livre idoine, le goûter comme
avec sa main l’eau de la piscine. il y a des langages qui
nécessitent de s’acclimater, de passer le lexique à sa nuque,
à sa taille, - eau froide -, de persévérer avant de pouvoir
y nager sans efforts. d’autres vous accueillent sans manières,
comme l’ami longtemps quitté. on s’y sent, par miracle,
immédiatement bien chaussé. je ne sais pas à quoi c’est dû.
ce n’est pas seulement affaire de goût: parfois, ce qu’on aime
vous tient à distance, se refuse à vous. et lève
tout un pays de neige.
semblablement, le matin, il arrive qu'un clignement
d’yeux vers le ciel témoigne de notre parenté.
on projette son corps dans la journée sans la goûter
au préalable. alors tout est facile. l’air clair et transparent
est aussi celui des airs de famille. la lumière pénètre
les objets comme dans le beurre de l’esprit.
la profondeur de l’atmosphère égale celle des miroirs.
quelques mouvements de brasse vous emmènent
jusque dans l’après-midi. puis on étend son corps
sur les pinces-à-linge d’une somnolence où regarder
s’écouler tout ce qu’on a fait, tout ce qu’on a dit. ainsi je lis
elias canetti


**


on a en face de soi quelqu’un qui verse dans vous ce que vous même
ne trouvez pas. si ce sont choses plaisantes, flatteuses, on s'étonne
de ce miracle. momentanément on se sent un peu rehaussé,
le pas est plus léger, l’ennui même semble un siège pur. on s’assoit
sans fard face à la nuit, au jour. on regarde le soleil bien droit dans
les yeux, écarquillés comme l'éventail. on aime enfin comme on
voudrait s’aimer. puis on s’habitue. sans doute n’est-ce qu’un malentendu,
une erreur de  jugement, complaisance honteuse, facilités ? on ne sait pas.
on se regarde bien dans le miroir, pour vérifier, mais les traits ont changé,
c’est à dire qu’on est tel qu’en chaque jour: extérieurement on est le
même; mais intérieurement on est tout autre, un inconnu, presque évité
dans la rue, qui n’est plus nimbé de cette lumière favorable, étendue,
comme par un long solstice, dans une après-midi interminable, avec le tour
de france à la télé, la fraîcheur monotone du jardin, et l’odeur du jet d’eau
sur la peinture rouillée… on se rétracte. non, on n'est décidément pas
tel qu'on semble nous voir. on fait l’expérience quotidienne, irréfutable du contraire,
comme son reflet dans le miroir. et donc peut-être que cette personne, qui
nous trouvait ces qualités, non plus, ne les possède pas? peut-on faire confiance
à qui est si mauvais juge ? ne pas y penser. on scrute anxieusement dans
une parole, un propos, ces ombres levées, un jour après l’autre, dominos
du calendrier, cherchant ce qui reste de leur coeur de clarté. on se réveille,
un matin.


**


je suis très fatigué, mais l'air dehors dans la
petite cour est trop doux pour ne pas le mordre.
le jasmin à côté fait ses affaires de jasmin, il embaume,
on lui en est gré. les bruits environnants environnent.
je veux mordre l'air, la douceur, le soir, mais, lentement,
délicatement, parce que je ne suis pas une bête, simplement
comme les mots mordent ou le regard mord ou le réveil mord celui qui dort,
croyait dormir paisiblement, le soleil le gifle, mais une gifle paisible,
lente, profonde, continue, qui forme une plaie comme dans
la terre les fleuves. comme le sang qui coule dans sa propre bouche pour
continuer à fertiliser ce qui donnera le sang futur. mordre doucement,
je ne suis pas une bête. plutôt mordre l'air du soir comme si
on était dévoré de l'intérieur par cent millions de bêtes,
très doucement puisqu'elles nous constituent, ou comme
si on dévorait tout ce qu'il y a à l'intérieur de soi, très doucement
puisqu'il nous constitue, comme on peut, sans se souvenir,
être ivre pourtant de sa mémoire.

puis enfin on peut aller au lit - bonne nuit


**


j'avais dit que je monterai à la chambre pour travailler,
mais la cigarette et le café froid ne m'ont pas convaincu.
un peu de soleil comme une eau froide versée sur la nuque
des toits me fait prendre conscience de la gravité de la
situation, que ne dément pas la mélodie malévolente hésitée
par les doigts de v. la voilà qui dit: "j'arrête" et elle
s'arrête de jouer.
similairement à cette performativité, ne restent
que le vent, le bruit des travaux au loin, et là-dessus que le vent,
glissant sur lui-même comme le son des cordes arpégées,
et ce silence relatif, ce silence de comparaison, dénonce
sans subtilité la présence muette de tout ce qu'il faudrait
dorénavant faire - et le soleil sur les toits ressemble
de plus en plus à un jaune d'oeuf s'étalant paresseusement
dans la poêle des résolutions.


**


les lèvres divisées
entre la cigarette et l'air
du soir, inutiles pour la parole,
les draps froissés, et deux mouvements
contradictoires, figurativement,
l'un fait, => et l'autre fait: <=,
synchroniquement ou
diachroniquement,
etc.

je dois reprendre
ma respiration. il y a deux
mouvements contradictoires, ici : ' '
il ne faut pas penser à l'espace les séparant,
enflant, gonflant comme entre les dents qui se
déchaussent, il ne faut pas combler ce qui semble être
fait pour qu'on le comble, c'est un piège, comme tout ce qui
semble trop facile, est un piège en vérité. mieux vaut regarder ailleurs, regarder,
c'est lorsqu'on ne fait pas attention que viendront des occupations
de poche pour combler ces interstices. des soleils poussent ainsi
sur les vitres l'après midi lorsqu'on s'y retourne, happant son
reflet dans le miroir pour le vérifier comme un document
officiel. il y a deux mouvements contradictoires,
figurativement ici =>, et : <= ici, mais
successivement, on ne fait qu'aller
et venir autour du même point,
ça ne me dérange pas du tout.
rien ne me dérangera jamais


**


le temps a passé.
dans la petite cour, le jasmin a perdu presque
toutes ses fleurs, et dans la rue piétonne voisine
les glycines ont troqué leurs boucles d'oreille d'apparat
pour le vert indiscutable de l'éternité.
maintenant que les saints de glace
ont passé, ne reste de place que pour l'approche
de l'été, les mois de juillet et août fatigants et affamants,
où il fera sous les combles la nuit 30 degrés -
que je passerai peut-être ici, qui est devenu
le paragraphe d'exergue résumant l'univers
à qui ne veut le parcourir entier (mais j'irai dans le sud, par exemple, j'espère).
la lumière met ses mains sur mes avant-bras et
les serre un peu, comme enfant on veut rappeler
sa présence à sa maman, tous les objets ont éclot,
le monde est plein de volumes francs, pour
l'instant (ils se fatigueront bientôt). bientôt aussi j'irai
me promener ailleurs, découvrir
de nouveaux arrangements, emmener
mon corps dans les pâtisseries perceptives
des bois (puisque les jardins sont fermés) et les collages des
ruelles pavés (Belleville, Montmartre, par exemple, je ne sais pas).
mais pour le moment, dans la petite cour je
travaille comme si rien n'avait changé -
toujours le cendrier - le café - le vélo cassé -
le sceau rempli d'eau douce - les pavés contaminés
par la mousse - le soleil déposant le plat de sa lame
entre 14h15 et 17h30 approximativement, traçant
la définition ostensive de l'attention , tout pareil sauf
les fleurs du jasmin qui sont
en train de crever. s'il le faut
je déménagerai bientôt


**


malheureusement le sommeil qui m'a accompagné
tout le jour m'a quitté lorsque je me suis résolu
à aller dormir. il y a là le ferment d'une loi gé-
-nérale. on constate un besoin qui disparait
lorsqu'on y referme la main. je pense parfois que
tout ce qui m'arrivera, tout ce que je ferai, je
finirai par m'en lasser. c'est comme ça. il faut
alterner. on ne se lasse pas de la météo qui
met chaque jour un habit nouveau, ouvert à
toutes les suggestions comme les vitres d'un
local associatif. les nuages roulent sous les yeux
du dormeur et chutent dans le four à charbon
alimentant les ronflements. un coin de nature
se loge parfois à la commissure de la bouche.
on cherche une idée banale et on trouve inex-
-plicablement une scène propice au pique-nique :
jonquilles, jacinthes, sceaux de Salomon, la lumière
a ouvert la fenêtre et disperse le corps du pain chaud.
l'idée de repos est un quignon rompu distribué
aux moineaux. le corps fait office de figurant.
quels paysages nous renfermons, s'il le faut.
voilà toute la pensée qui descend sur moi des collines.
un être est un herbier renfermant l'idée suggestive
de ses formes véritables. puis voici quelqu'un
qui arrive soupesant la nature comme un
lange frais, suspendu aux pinces de bois d'une
intention égale. ses yeux se promènent
sur le monde avec nul autre besoin que
l'égrener. voilà quelqu'un qui vous fait prendre
conscience de sa présence, sans essayer de vous
la faire confondre avec celle du réel, et dont il faut
donc s'entourer. disperse-toi autour de moi comme
l'épandage, dispose-toi autour de ma gorge sans
m'étouffer, soleil. peut-être que dans cet héliotropisme
sentimental je jouerai plaisamment au sommeil


**


les chaleurs de ces derniers jours forment un été de poche
qui rappelle les étés passés. parce que c'est à jamais la
saison des vacances (même si on doit travailler), tous
les étés ont l'air de s'étendre sur la même scène,
nappe de pique-nique pour la même sueur et le
même soleil, habillant de leurs attentions un corps
qui grandit ou vieillit; tous les étés partagent un air
de famille, et les étés immortels de l'enfance (si longs
qu'on oublie que la vie peut être autre chose que
remplir les journées de sa seule imagination)
saisissent encore par une main d'habitude les étés
d'aujourd'hui. le temps successivement se dilate
ou se rétracte, comme un poumon brassant l'air
d'une époque qui remplit plus qu'aucune autre la
mémoire, y croissant comme une herbe adventice dans
le biotope propice, selon que l'on parte en vacances ou
que l'on reste chez soi; que l'on passe son temps dans
l'amour à le chercher; que l'on déguste la variété percep-
-tive des paysages inconnus ou celle cognitive des
paysages familiers. mais ça n'a pas d'importance. tous
les étés chaque année arrivent en me provoquant la
même surprise. ici en tout cas, à Paris, de pareilles chaleurs
semblent le reste de l'année impossibles. la chaleur rend
langoureux. le corps s'amaigrit. il y a toujours un ennui
confortable à loger dans l'ornière de ses plis. c'est donc
cela le véritable usage de soi-même, me dis-je. et s'agiter ou ne
pas s'agiter, rythmer ses journées ou les laisser se rythmer,
cela ne fait plus aucune différence. j'ai passé la plupart de
mes étés dans un ennui long, doux, égal, comme une traine
de glace à la vanille fondue sur le désert de la table


**


dans mon imagination je fais du vélo, un vélo
peugeot qui me scie le cul en deux avec une
selle trop rigide, mais cela n'empêche pas le
vent de souffler à ma venue comme les jappe-
-ments d'un chien reconnaissant son maitre, ça
ne m'empêche pas d'aimer m'étendre dans l'herbe
verte et grasse comme une plaie ouverte,
ça ne m'empêche pas de rompre le coeur du paysage,
d'en sucer la blessure, comme pour en aspirer le poison,
ça ne m'empêche pas de me laisser aller à des actes
de stupidité humiliants, que rien ne justifie, puis de les
appeler: spontanéité, ça ne m'empêche pas de savoir
que la vie est certaine, assurée, quoi que je fasse,
même si je voulais me salir, même si je voulais
la perdre. le monde est là avec une tranquillité
dégoutante, beau comme la mémoire et comme
elle sans un pli, ne remettant rien en question,
le sang de mes gencives a l'acidité du vin, les doigts
sont luisants et rebondis, grappes d'olives agrippant
la nausée, l'exaltation et l'angoisse se mêlent dans
le même creuset fertile, la margelle du corps dél-
----imite l'étiage du paysage, et
dans un grand sourire --- dans une
grande joie lasse, sans y réfléchir -
je le vomis.


**

prophétie


l'été arrivera et se déroulera comme la tapisserie de Bayeux
la peau aura le goût de l'huile d'olive et le soleil fleurira dans
le miroir de la salle de bain avec une insistance presque hystérique
j'ouvrirai l'été comme un journal froissé par mon attention distraite
j’allumerai la radio et il y aura des églises le vent entrera dans l’allée
serrer la main polie des cyprès la fraicheur se nichera contre mon sang
je changerai le papier-peint de ma peau pour des tons plus pénétrés
d'eux-mêmes on ouvrira pour aérer la pièce les volets de l’humeur
sentez-vous dans le four les pensées trop cuites  oh oh oh il fera beau
on se fondra dans le paysage comme une histoire drôle chaque
regard dans le vide y croisera les jambes l'été arrivera et se
déroulera par la  grâce d'un poignet énergique sur le rouleau
à pâtisserie imprimant le vecteur d’un mouvement convaincu
comme les joues du dormeur sur la presse de l'oreiller
linge laissé à sécher trop longtemps on fera des salades des
promenades et l'amour, on sera contents


**

conclusion


**

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