actu août 2014

par konsstrukt @, vendredi 01 août 2014, 11:20 (il y a 3549 jours)

(a. s. : désolé, je n'ai pas eu le temps de répondre à vos derniers commentaires à mes précédents post ; je promets de faire mieux la prochaine fois !)



Ce matin en allant pisser un moucheron s'est échappé de mes couilles ; je crois qu'il a passé la nuit là, dans mes poils, bien au chaud.

Bonjour à tous,

Il n'y a pas énormément d'activité à recenser pour ces quinze derniers jours. La vie réelle, quotidienne je veux dire, a nettement pris le pas sur le travail.

J'ai lu, pour la deuxième fois en dix ans, un bouquin de Philip Roth. C'est beau, c'est ennuyeux, c'est très intelligent, ça suscite des interrogations profondes et un émerveillement pour cette écriture à la fois simple et travaillée, et une fois que c'est terminé on lorgne sur Jim Thompson comme quelqu'un qui a été marié pendant quinze ans, vient de divorcer, sort dans la rue et découvre que les jeans sont moulants et les culs très jolis.

J'ai beaucoup pris le train. Comme d'habitude, il en a résulté une flopée de réflexions sur les manuscrits en cours (Une demi-vie, notamment, devrait prendre de sévères beignes lorsque ce sera son tour que je m'occupe de lui – pour l'instant, je suis surtout sur Descente mais l'envie revient de m'occuper de Rien à foutre ; les autres sont tapis dans un coin de ma tête et mûrissent tranquillement) et un bon tas de poèmes. D'ailleurs, ce constat m'a donné envie d'appeler ce recueil Poésie ferroviaire, ou bien Poèmes ferroviaires, ou encore Poème des trains qui partent et qui arrivent. J'aime bien le premier, qui rappelle Poésie portable, mais malheureusement ne veut pas dire grand chose, le deuxième a une construction moins bancale mais le rythme c'est pas trop ça, et le troisième me plaît bien, en ce moment je crois que j'aime bien les titres longs (la nouvelle que j'ai donnée à Jean-François Dalle pour le prochain numéro de la Revue Métèque s'appelle A mon enterrement je veux qu'il fasse beau – ça doit être le titre le plus long de toute a carrière), mon son petit côté Catherine Pancol me gène...

Bref, une vingtaine de nouveaux poèmes dans mon téléphone, que je vais devoir mettre au propre ces jours-ci – oui, c'est pour ça que mon premier recueil, chez Gros Textes, s'appelle Poésie portable, parce que j'en ai noté la moitié dans mon téléphone, je ne suis pas le genre d'écrivain qui se promène les poches bourrées de moleskine et de Mont-blanc, et en attendant, en voici un dizaine :

45

Ya des copains qui te traitent de con
Etça te renvoie vingt-cinq ans derrière
L'époqueoù pour toi le seul moyen de dire
Ates amis combien tu les aimais
C'étaitpiquer leur bouquin de Français
Écriredes conneries dedans

46

Serrerles dents
Vomir
Quand même

47

Ce qui fait qu'on tombe amoureuxc'est pas la beauté, pas l'intelligence, pas le charme ou le sexe,pas du tout, c'est pas ça, ce qui fait qu'un livre est bon c'est pasle style, pas l'histoire, pas les personnage ou quoi que se soitd'autre, non, la seule chose qui nous attire en l'autre c'est la vie,un livre plaît s'il est vivant, un être humain, on l'aime s'il estvivant, et tous ces cons qui recherchent chez l'autre la beauté, oula jeunesse, ou la maturité, ou l'intelligence, ou la capacité àbaiser trois heures sans débander, ou la capacité à sucer la queueet avaler le sperme, mais c'est pas ça, non, c'est pas ça du tout,nous sommes des vampires, ce qui chez l'autre attire c'est la vie,nous sommes des vampires, la vie nous éblouit, la vie nous rendheureux, la vie, c'est de la vie dont nous sommes amoureux, cetteétincelle pas croyable qu'ils ne sont pas nombreux à posséder,cette étincelle qui ne dépend d'aucune qualité, d'aucune autrequalité, ce pouvoir intrinsèque, ce trésor fabuleux, et malheur àcelui dont la flamme est éteinte.

48

Et il y a bien pire que lespunks de trente ans, pire que les punks à chiens ;
Oui il y a bien pire que lespunks de trente ans, c'est les punks de quarante ;
Les punks de quarante ans, lespunks à CDI, à Plan Épargne Logement ;
Oui il y a bien pire que tousles punks à chiens, c'est les punks à poussettes, pire que lespunks à chien, c'est les punks à enfants.

49

Il y a des séparations qui sontcomme des arbres foudroyés, comme des maisons qui flambent et dontle toit s'effondre et tue les habitants, il y a des séparationspleines de fracas, il y a des séparations qui sont comme descatastrophes, et il y a des séparations qui sont comme une dent uséedont la racine, invisible dans la gencive, s'érode, s'érode, commeune dent usée qui bouge, se détache progressivement, finit par netenir qu'à un bout de racine, qui un jour se détache sans qu'onpuisse bien savoir pourquoi c'est aujourd'hui et pourquoi pas hier,et pourquoi pas demain.

50

Sur France-Inter ils croient
Les bienheureux connards
Que l'argot des ados
Verlan, mots inventés
Ça leur sert à parler
Sans que les parents pigent
Ce serait supposer
Espèces d'hypocrites
Que les adultes écoutent
Ce que disent les jeunes

51

Moi en ce moment ce quim'intéresse au cinéma, dans les films de Bonitzer par exemple, oubien ceux avec Luchini, c'est de voir les actrices interpréter descruches, des potiches, des jolies gourdes, à la télé ce quim'intéresse, en ce moment, c'est de voir des pubs sexistes avec deséduisantes actrices, ça me fascine, je pourrais passer des heuresà regarder ça, je pourrais y passer des heures, à voir ça, à medemander à quoi pensent ces actrices quand elles jouent des connes,quand elles jouent des personnages qui sont tellement, tellement desfantasmes de vieux bourgeois de cinquante ans, à quoi pensent cesactrices quand elles incarnent les fantasmes de jeune femme charmanteet conne, discrète, soumise, cultivée, que les réalisateurs mâlesde cinquante ans mettent en scène sans vergogne, sans aucun sens duridicule, à quoi pensent ces femmes qui se prêtent à ce jeu, c'estça qui me fascine.

52

Ça c'est passé en cinq temps
Un
Nous avons oublié que nosenfants nous étaient en tous points supérieurs
Deux
Ils nous étaient soumis et nousles dominions
Trois
Mais nous avons voulu rétablirl'équilibre
Quatre
Nous avons découvert leursupériorité
D'abord avec surprise
Et puis ravissement
Maintenant nous flippons
Cinq
Oui nous avons peur d'eux

53

On est dans une civilisation quiméprise et craint l'adolescence. C'est significatif, je trouve. LesGrecs en train de crever méprisaient les Barbares. Les adultesdévorés par le cancer –et je parle pas de métastase qui grouille à travers la viande maisde cancer métaphysique, de cancer de l'âme –les adultes, qui érigent la rationalité, le compromis, la mesure,la tempérance en valeurs, tous ces synonymes de la mesquinerie,toutes ces nuances de la veulerie, raillent l'intransigeance, lanaïveté, l'enthousiasme des adolescents. Qu'importe. Les Grecs ontterminé dans les livres d'Histoire et les Barbares ont prospéré.Ce qui meurt méprise ce qui vit, c'est un mouvement naturel, tandisque ce qui vit ignore purement et simplement ce qui meurt, ce qui vitassassine ce qui meurt en toute impunité et en toute inconscience.

54

Les bourgeois blancs hétérosont fantasmé un monde ou les hommes n'auraient pas le devoir d'êtrebeaux mais riches à la place, ni d'être intelligents mais d'êtreéduqués, pas besoin d'être en vie, il y a l'art pour ça ;les bourgeois blancs hétéros ont fantasmé un monde où ilsseraient bourgeois et où ça suffirait, ils ont rêvé d'un monde oùdes filles très belles et très intelligentes se soumettraient àeux et nommeraient ça l'amour.
Ils l'ont construit ce monde.Oui, ils l'ont fabriqué. Vous ne sentez pas, dans les rues, dans lesbeaux quartiers des grandes villes, cette odeur de malaise ?

55

Faire les choses avec ténacité
Faire les choses avec compétence
Faire la preuve de son talent
Faire les choses bien
Faire en sorte d'être un bonartisan
Contempler son travail
Contempler ses progrès
Et être fier de soi

***

Faire les choses avec ténacité
Faire les choses avec compétence
Faire la preuve de quelque chosemais sans trop savoir quoi
Faire les choses tantôt bien,tantôt mal
Savoir ce qu'il faut faire, cequ'il ne faut pas faire
Savoir ce qu'on attend de soi etne jamais le faire, devenir écrivain
Contempler son travail
Contempler son échec
Se demander pourquoi ça ne veutpas marcher, refuser de voir la réponse alors qu'elle s'étale plusgrosse que l'échec

***

Ne pas jouer le jeu
S'étonner de ne pas le gagner
Se croire intelligent

56

Le délabrement
Est si progressif
Si lent
Qu'on ne le sent pas
Venir
La souffrance
Remplit
Par si petites touches
Jour après jour
Qu'on ne la sent pas
Venir
Et un beau jour
On est une ruine
Et un beau jour
On en est rempli
De cette douleur
Un beau jour
Ce corps
Ne marche plus
Du tout
Mais on n'a rien vu
Arriver
C'était si lent
Si progressif
On n'a rien vu
Venir
Et on ne souffre
Pas tant que ça
C'est exactement
Comme si on se noyait
En s'éloignant
Du bord
En pente
Si douce
Que pour avoir de l'eau
Jusqu'aux hanches
Il faut marcher
Deux bornes

Tant que j'y suis à mettre des textes, voici la nouvelle qui sera dans la Revue Métèque, que j'ai relue hier soir et que j'aime bien, finalement. Je suis content d'avoir réussi un truc sans pétage de plomb ni cadavre, je pensais pas y arriver sans devenir aussi chiant qu'un écrivain français ; vous me direz si j'ai perdu la niaque ou pas.

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