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par konsstrukt @, vendredi 01 août 2014, 11:21 (il y a 3555 jours) @ konsstrukt

A MON ENTERREMENT JE VEUX QU'IL FASSE BEAU

— Tiens,c'est marrant, tu t'en rappelles, de ça ?
Jetenais à la main un cendrier en céramique bleue, avec écrit dessusl'hôtel où nous avions dormi pendant nos vacances en Espagne, jevenais juste de le retrouver au fond du tiroir. J'ai souri. Elle l'aregardé sans expression mais au bout d'un moment, comme j'avaistoujours mon sourire accroché à la figure, elle a souri aussi.
— Tute souviens ? Tu l'avais piqué à la réception.
Jebrandissais toujours l'objet, surjouant quelque chose mais sans biensavoir quoi.
— C'estmarrant, elle a dit, j'avais oublié qu'on l'avait encore, ce truc.Tu l'as trouvé où ? Dans le tiroir ?
— Oui,dans le tiroir. Au fond.
Jene souriais plus. C'était à cause du mot « tiroir ». Etpuis j'ai regardé la valise et remis le cendrier où je l'avaistrouvé, plus certain de grand-chose. J'ai enfilé mes chaussures etune veste, je me suis dirigé vers la porte, je n'ai rien dit.
— Tusors ?
— Cinqminutes, prendre un peu l'air.
J'airefermé sans bruit la porte derrière moi et descendu l'escalier.Dans la rue la lumière jaune et chaude était magnifique, le cielbleu sombre, nettoyé par l'orage, tout qui brillait d'humidité,c'est comme ça que j'aurais voulu que ce soit à mon enterrement.
J'aidéambulé et jeté un œil aux gens et à mon ombre qui parfoiss'étirait comme un Giacometti. A une terrasse j'ai commandé undemi, eu droit en plus à une coupelle de chips, toutes les tablesétaient occupées et tout le monde parlait fort en profitant dusoleil, j'ai savouré tout ça un moment, ça faisait du bien. Je neregardais rien en particulier et j'écoutais sans y faire attentiondes bouts de conversations et peut-être que ça me donnait l'aird'un type en train de réfléchir à des choses importantes maisc'était tout le contraire, j'étais vide de toute pensée, de toutephrase même, il ne me restait plus qu'une poignée de mot,« tiroir », « valise », qui me rendaienttriste, j'essayais de les éviter, et mes émotions étaient réduitesà rien, des petits bouts de peau se détachant tout seuls.
Quandje suis revenu à l'appart il faisait nuit, j'étais bourré et ellen'était plus là, la valise non plus. Le tiroir était refermé avecsans doute le cendrier dedans. Au lieu d'aller vérifier je suisdescendu à l'épicerie m'acheter une bouteille de vodka et unebrique de jus d'orange. C'est à mon retour que j'ai vu la lettre.Elle était posée sur la table, trois feuilles couvertes de sonécriture, je l'ai froissée sans la lire et jetée à la poubelle.
Jeme suis réveillé dans le canapé, il faisait jour depuis longtemps,la lumière plus belle encore que la veille, cendrée, d'une douceurhumide de printemps anglais, le ciel bleu tendre. J'ai regardé unmoment s'effilocher quelques nuages et puis je suis allé à lacuisine récupérer la lettre. Elle avait des tâches de gras et desauce tomate. Je l'ai lue.
Ensuitej'ai essayé d'avancer un peu dans mon travail mais ça ne donnaitrien de bon, alors j'ai fait le ménage et une fois le ménage finije suis retourné dans le canapé et j'ai somnolé devant la téléen m'efforçant de ne penser à rien, ce qui s'est avéré bien moinsdur que prévu. De temps en temps, à voix haute, je me posais laquestion :
— Est-ceque tu es triste ?
Oubien, avec cette variante :
— Est-ceque tu es triste, connard ?
Maisje n'avais pas de réponse. Plus tard mon téléphone a sonné,c'était elle, je ne voulais pas lui parler, j'ai laissé sonner.Trente minutes ont passé. La télé rendait sans significationl'écoulement du temps. La clé a tourné dans la serrure.
— Tiens,elle a dit, tu as fait le ménage.
— Unpeu, j'ai répondu.
— Tuas bien fait. Ça sent bon. Tu as trouvé ma lettre ?
— Oui.
— J'aioublié de prendre des trucs, je suis désolée, je ne voulais pasdébarquer à l'improviste. Mais tu as fait le ménage. C'estmarrant.
— Tues chez toi.
— J'aitéléphoné avant, pour prévenir, tu n'as pas répondu.
— Tues chez toi.
J'aiattrapé la télécommande et baissé le son pendant qu'elle allaitdans la chambre. Je l'ai entendue farfouiller. Je me suis dit que jen'avais même pas cherché à savoir ce qu'elle avait pris la veille,ce qu'elle avait laissé, ou peut-être que je l'avais fait cettenuit mais que je ne m'en souvenais plus.
— Jene trouve plus mon écharpe, tu ne sais pas où elle est ?
J'airépondu non mais c'était inaudible, alors je me suis levé, j'aitraversé le salon et j'ai à nouveau répondu non. Ma voix n'avaitpas beaucoup de vigueur.
Ensuite,je ne sais pas trop comment ça c'est enchaîné, nous avons faitl'amour, et puis j'ai fait du café et elle a fini par descendreacheter du vin à l'épicerie, puis ça a été mon tour, et ainsi desuite. La journée s'est passée de cette manière, nous avonsdiscuté, la glace était rompue, c'était comme un premierrendez-vous mais pour la deuxième fois. J'ai pensé à Fitzgerald.
Aun moment j'ai voulu savoir où elle dormait. Elle m'a répondu àl'hôtel pour quelques jours et puis ensuite chez Sonia. Vers neufheures du soir, nous avions bien bu, elle m'a demandé de lareconduire et j'ai accepté et au bar de l'hôtel nous en avonscommandé un dernier, ça n'était pas mal, nous étions dans desfauteuils en cuir sous une lumière cosy, et nous avons refaitl'amour dans la chambre propre et impersonnelle. Avant de partir,pendant qu'elle prenait une douche, j'ai regardé un moment dehors.C'était bizarre d'observer depuis un point de vue totalement inéditcette rue que je connaissais par cœur, d'être un touriste dans mapropre ville. Quand elle est sortie de la douche elle sentait bonmais c'était l'odeur de l'hôtel, elle sentait bon d'une odeur queje ne lui connaissais pas. A ce moment-là, si j'avais prononcé lesbonnes phrases j'aurais pu rester avec elle, ou bien nous serionsrentrés ensemble, mais je n'avais plus de force, je n'ai rien dit àpart « je vais y aller ». Je lui ai promis qu'ons'appellerait bientôt, je lui ai promis de répondre si elle metéléphonait, et puis nous sommes restés sur le seuil comme unepaire d'idiots sans plus savoir quoi faire. Nous nous sommesfinalement roulés des pelles en nous serrant dans nos bras et deretour à la maison j'ai achevé tout seul la murge que nous avionscommencée ensemble.
Aumilieu de la nuit elle a appelé, aussi bourrée que moi. Nous avonsparlé jusqu'à ce que le soleil se lève, nous l'avons regardé selever, à un moment un avion a passé dans son ciel, devant safenêtre, nous avons compté jusqu'à huit et je l'ai vu aussi. Unefois dans mon lit j'ai trouvé que c'était gros comme une maison, lasuite de tout ça, mais quelques heures plus tard, au réveil, dansune lumière saine et dure de désert californien, ça n'était plusaussi évident.
Jel'ai imaginée s'étirer dans son lit et descendre boire un café encompagnie des touristes. Je me suis demandé quelle serait sa journée.

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