ni "je", ni "elle"

par Cerval @, mercredi 08 juillet 2015, 01:03 (il y a 3223 jours)

mille milliards de mauvais poèmes





m’étant détourné d’elle, je l’ai oubliée, et cette idée simple n’accompagne pas chaque pensée mais en est le centre, autour duquel les pensées tournent en ne la désignant pas, ne parlant pas d'elle mais lui devant leurs trajectoires, ainsi que des signes fixés par nul usage, consacrés tels parce que leur usage est impossible. une bibliothèque pour les aveugles, un alphabet de vent, les mains d’unev oix.
je suis dans la nuit, je suis monté au toit, il y avait du vent, tout a commencé comme ça, je ne dors plus depuis… cela n’a pas d’importance. j’ai du mal à dire « je » lorsqu’il est trop tard et je crois raconter ma mémoire comme le souvenir d'un mauvais livre...

elle renverse sa gorge, grappe d'étoiles , vin oublié, soleil négligeant, langage retenu, lumière enveloppée, fenêtre entrouvrable, et le paysage qui en est le reproche ne se touche pas, objet de nulle venue, d'ambiguïté possible afin d'être dissipée et qui en est la mémoire.

la nuit dispose les corps en son centre et les assiège pour qu'ils regardent alentour : ne dormant pas, ce n'est pas la nuit qui reflue vers eux mais eux vers elle, elle qui les refoule en offrant à leur peau une densité supplémentaire lorsque de voir se fondre les contours la peau s'oublie regardée par les choses pour regarder à son tour. tout autour de nous regarde entre nous, si bien que nous ne pouvons plus nous voir.

elle : cette relation qui est un oubli, je devrai la garder toujours. les pensées changent si rapidement et ne reviennent à leur manière ancienne que par accident, apparition faussée de suggérer autre chose que soi mais ne pouvant se concrétiser que par cette apparition, étant oubliée. la mémoire saisit son objet et tombe en lui pour y trouver la fin de la remémoration, qui est son repos mais, y plongeant, la mémoire la retourne, l'épuise, la déchire, elle en sort. elle dépasse son but lorsqu'elle sait qu'elle l'a manqué. son contenu et sa forme sont comme une nuit mobile, sur laquelle la vie passe comme l'habitude qu'on en a.

elle, ne peut avoir pour moi que du mépris, non du mépris mais une pensée, non une pensée mais son absence, non son absence mais son oubli... de cet oubli, je suis la mémoire; je me laisse le redire encore une fois.

elle, ne se pose aucune question. il n'en eut pu être autrement. depuis le départ toutes choses à son alentour ne sont pas par elle commentées, elle les prend dans sa main, et comme si ce devait être une métaphore de la pensée elle ne fait pas montre de référentialité plus égale à leur égard, les contenant dans le même lieu par simple manque d'attention à leur endroit. elle acceptait tout ce qu’elle trouvait, n'a jamais formulé une opinion, elle avait seulement des savoirs ou des goûts; tout ce qu'elle disait était justifié de s'y rapporter, et par une sorte de miracle de la matière c'était là sa douceur, que sa voix montrait encore en tombant sur les mots comme une étoffe. je me souviens qu'allumant ses cigarettes elle semblait leur demander pardon, que se promenant dehors, elle avait pour tout un geste d’excuse, et que ses injures étaient encore des excuses car elle devait perpétuellement se justifier.

l'oubli est une prescription écrasante puisqu'il faut en être dépositaire tout en ne la réalisant pas. je perds des goûts anciens mais ne perds aucun goût. j'en gagne d'autres. tout se remplace et je n'en ai plus la mémoire. tout ton corps a toujours déjà été dans la mémoire, comme s'il se désignait oubli avant de devoir s'y oublier.

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