soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 00:20 (il y a 3216 jours)

Je suis allée de Toulon à Toulouse en train. 5 heures de trajet, en première parce que ce n’était pas beaucoup plus cher et que je connais ce vieux TER hors d’âge. En plus en première on a normalement de quoi brancher sa tablette. J’avais demandé une place en duo face à face pour écrire sans être lue, une place dans le sens de la marche sinon je suis parfois malade (j’explique tout ça pour la suite).
A la montée dans le train, embrouille : une femme s’est trompée de place, doit partir. Finalement je me retrouve en face d’une jeune fille dépitée car son amoureux n’est pas en face d’elle (à ma place, donc), mais à côté d’elle, séparé par le couloir. Je dis que c’est ma place que je veux et m’assieds. Elle a un énorme sac rectangulaire qu’elle place volontairement devant mes pieds et quand je lui demande avec irritation de le placer ailleurs elle me dit « oui, mais alors c’est mes jambes que je ne sais pas où mettre » et elle les étale sans me laisser d’espace. De plus en plus irritée je lui dis alors que j’ai compris à quoi elle joue, qu’elle continuera jusqu’à ce que je laisse la place à son petit ami, et que le mieux est que je la lui laisse rapidement. Je prends alors la place du petit ami, dans un « carré », pousse un paquet de gâteaux qui traîne sur la table là où je dois poser mes affaires. Un autre occupant du carré, un jeune homme de 35 ans environs,visiblement beur comme les deux plus jeunes gens avec qui je viens d’avoir cet échange désagréable prend alors la parole : « dites, ce paquet de gâteaux n’est pas à vous, de quel droit vous le déplacez ? ». Je suis sidérée. « Il n’est pas à vous n’est-ce pas ? eh bien il faut demander, c’est ça la politesse ». Je suis toujours silencieuse, le regarde. Il me dit alors : « je sais exactement ce que vous pensez ».

Je crois que c’est cette phrase qui faisait toute la différence. M’installant, posant mes affaires, je sors le bouquin de Houellebecq que je suis en train de lire, « Soumission », et me plonge dans la lecture, tout en réfléchissant à l’humiliation publique, à la leçon de politesse inversée, tordue, à ce « je sais exactement ce que vous pensez » auquel je n’ai rien répondu (je manque de répartie dans les situations d’agressivité). Je me dis :
que j’ai été un peu trop vite agressive, sans rien expliquer des raisons de mes préférences tant je tenais à mon bon droit.
qu’il a réagi par identification au jeune couple (sa jeune femme est assise en face de lui).
que passé 50 ans quand on est une femme il faut toujours être gentille et maternelle, sinon on est vite une sorcière ou une bourgeoise méprisante.
que je ne suis pas si gentille que ça dans les situations de foule...(et pourquoi).
que la loi du plus fort n’a jamais cessé de régner.

A Marseille descend l’homme assis en face de moi et je prends ostensiblement sa place (pour être dans le sens de la marche).
J’espérais (je pensais) qu’ils allaient descendre à Marseille - conduite d’arrogance typiquement marseillaise - mais ils ne descendent pas. Au contraire arrive une femme de mon âge, cramoisie, qui demande s’il y a une place libre car son wagon n’a pas de clim et elle est avec des enfants. Mon compagnon de voyage est alors tout à fait gentil et prévenant, il enlève son sac du siège, elle va chercher les enfants qui l’accompagnent, mais finira par s’asseoir ailleurs, plus près des deux garçons.

La suite du voyage est sans histoire : à moment donné il s’assied en face de moi côté couloir car le soleil donne sur son bras gauche (comme il donne sur le bras droit du jeune homme qui a pris ma place de l’autre côté) et il fait très chaud, (ma place actuelle est tout à fait préférable). Il prend un très grand soin à ne pas me gêner avec ses grandes jambes, un soin visible. Il s’excuse soigneusement quand il doit me déranger, sa jeune femme voulant dormir sur deux sièges.
Moi je lis et je ris par moments devant la malice de Houëllebecq, la façon dont il amène le héros à ses redditions, et mon rire est aussi amer que le sien. La place des femmes, leur droit à faire des études supérieures, à travailler...combien de temps faudra-t-il pour que cela soit balayé si le monde bouge du mauvais côté ? Comment hommes et femmes peuvent-ils être heureux et égaux ?

Je pense à mon voisin de banquette, aux humiliations qu’on vit enfant quand on est beur, à l’école, à la télé, à travers sa famille, du fait de son origine. Qui domine au bout du compte : lui ou moi ? Moi bac+12 qui gagne probablement trois fois ce qu’il peut gagner honnêtement. Moi femme française aisée, mais vieillissante, à peu près exclue des rapports de séduction, et donc dévaluée, mais bien à sa place dans un wagon de première. Et lui homme au corps jeune et puissant, à l’agressivité rapide, membre d’un groupe social dont la place est incertaine, difficile.
Je pense à Houëllebecq, à la façon qu’il a en romancier de son temps d’interroger encore et encore les rapports de pouvoir, la guerre larvée qui mène nos sociétés, et la façon dont l’amour en est gangréné. La guerre des sexes aussi, l’amour et la haine qui se cachent derrière le désir.

soumission (place)

par Lectrice - 0 :)), mercredi 15 juillet 2015, 06:59 (il y a 3216 jours) @ Claire

Salut Claire :)


Comme tu es vieille :)) tu dois avoir des temps à consacrer aux oisivetés :))
Ai vu y'a pas un long temps lors de mes vadrouilles et dans un café théatre "sois parfaite et t'es toi" :)) Les comédiennes sont excellentes dans leurs rôles respectifs et y'a pas de temps mort durant toute la pièce :))Les réparties, trop top :)) La salle s'esclaffait :))
Précision: C'est une pièce sans aucune prise de tête :))

Je ne pense pas que tu sois très BD mais j'ai également beaucoup apprécié le travail du dessinateur de BD répondant au pseudo de Boulet. Ses dessins sont talentueux certes mais ni plus ni moins qu'un autre dessinateur talentueux de BD :))
En revanche, ce qui m'a le plus séduite dans son travail, c'est sa manière de procéder et ce qu'il en ressort :)) Une belle modernité :))

Ai vu dans mes pérégrinations de la grosse merde artistique dans un lieu "divin" aussi :)) :)) :))

Belle Journée Culturelle Claire :)

soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 08:09 (il y a 3216 jours) @ Lectrice - 0 :))

je ne suis pas encore assez vieille pour ne plus travailler, mais merci néanmoins pour les références :)

soumission (place)

par kelig, mercredi 15 juillet 2015, 10:33 (il y a 3216 jours) @ Claire

Pourquoi pas... C'est un témoignage, semble-t-il. C'est dense, il y aurait beaucoup à dire.
Si je n'accepte pas l'oeuvre houellebecquienne c'est que j'ai mes raisons, il me semble qu'elles tiennent la route.
Pour faire court, il y a bien des guerres larvées. Pour moi, ces guerres sont construites par les pouvoirs, médiatiques, contrôlés, financiers (cf Denis Robert), militaires par les guerres et la vente à tout-venant d'armes, idéologique (pubs, monde du travail soumis au "néomanagement") et une oligarchie qui se prétend toute puissante imposant notre système, à visée globale, mondiale. Ici entre autre, elles concernent la situation matérielles des individus (inégalités croissantes tout comme le chômage, croissance du nombre de pauvres chaque année, de SDF, croissance des richesses des riches et ultra-riches, au milieu ça va des "un peu plus riches que pauvres" aux classes moyennes aisées) autant que "l'intime". Il n'est plus question de "lutte des classes" ni de justice sociale, de possibilité de vivre ensemble, mais de séparation via la discrimination, la stigmatisation et la désignation de prétendus responsables, ces tensions sociales sont construites et instrumentalisées. Concernant l'Islam, par exemple, l'Histoire débute en Afghanistan lorsque la démocratie est renversée en 1978 par les US qui construisent Ben Laden. La suite est à l'avenant, l'occident un coup soutient, construit, s'allie à l'islamisme terroriste (Lybie, Irak, Syrie, Qatar, Arabie Saoudite etc.) un coup prétend le combattre. Bref...

soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 13:41 (il y a 3216 jours) @ kelig

oui, c'est un témoignage. J'ai essayé que le lire soit aussi dérangeant que ce que j'avais ressenti...de rendre compte de ce qui me passait par la tête, sans politiquement correct, sans tricher pour me donner le beau rôle.

soumission (place)

par julienb, mercredi 15 juillet 2015, 11:03 (il y a 3216 jours) @ Claire

En toile de fond, il y a "première classe". Si on voyage en première classe, c'est qu'on a des exigences quant à la qualité et à la tranquillité de son voyage ; une certaine prétention à cela. Un grain de sable aura plus de conséquences.

soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 13:44 (il y a 3216 jours) @ julienb

oui, tu as raison, c'est un signifiant important.

le charme discret de la bourgeoisie

par julienb, mercredi 15 juillet 2015, 13:55 (il y a 3216 jours) @ Claire

Dans les deux sens, je veux dire, pour toi comme pour eux (qui, étant en première classe, allaient peut-être encore moins se laisser emm... par ce qui peut représenter - pour eux - la première classe traditionnelle, ou étaient d'autant plus sur la défensive, ayant intériorisé et peut-être fantasmé le regard méprisant que tu étais censée poser sur eux...).
Difficile de sortir de la lutte des classes, contrairement à ce que dit notre rousseauiste ami Kelig ;)

le charme discret de la bourgeoisie

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 14:05 (il y a 3216 jours) @ julienb

oui, je n'aurais pas raconté l'histoire si elle ne s'était pas superposée à la lecture de Houellebecq ou si cet homme n'avais pas eu la phrase si frappante que j'ai citée.
il va de soi que je ne me ressens pas comme une bourgeoise - bien que j'en sois une objectivement - et ne cultive pas les signes extérieurs de richesse, au contraire :)

ça m'apprendra à aller en première pour avoir de la place pour mes pieds.

los olvidados

par julienb, mercredi 15 juillet 2015, 14:09 (il y a 3216 jours) @ Claire

Je n'en doute pas, excuse-moi, j'ai cédé à la tentation de placer un titre de film de Bunuel... Tu es surtout tombée sur des petits cons, c'est l'autre signifiant important !

los olvidados

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 14:20 (il y a 3216 jours) @ julienb

non, simplement c'est pour que tu te représentes la scène, sans foulard hermès.
on est toujours le con de l'autre, mais ce qui m'intéressait c'est tout ce qui était en arrière-plan dans ce rapport de force, et la courtoisie qui a régné très vite à nouveau. Comme si le signifiant première classe avait eu le dernier mot :)

le charme discret de la bourgeoisie

par kelig, mercredi 15 juillet 2015, 14:31 (il y a 3216 jours) @ julienb

La lutte des classes est criante je le pense aussi.
Mais il y a à présent une seule classe qui soit véritablement organisée qui fonctionne en réseaux savamment huilés et qui mène la danse : c'est celle des puissants, qui usent de machiavélisme au niveau politique.
Les "pauvres" ont tendance à se faire la guerre entre eux. On leur dénie parole et conscience politique.
Ou à s'attaquer à "plus faible", par frustration, comme le décrit Claire, ou le rapporte zéio. Ou à s'exprimer par émeutes comme les lors des émeutes des banlieues.
Ce n'est pas structuré, peu politisé, voué à se perdre et perdre.
Sans syndicats importants et non vendus, sans partis conséquents, pouvant porter des aspirations et proposer des oppositions crédible, sans organisation c'est pour ainsi dire, en l'état actuel du moins, plié.
Jusqu'à preuve du contraire.
Los olvidados, un grand film, poignant.

la SNCF nous souhaite un agréable voyage

par julienb, mercredi 15 juillet 2015, 11:07 (il y a 3216 jours) @ Claire

j'ai pris le train
j'ai pas compris où j'allais
par la fenêtre des paysages entraient
des villes défilaient
les gens à côté de moi
me parlaient mais j'écoutais pas
j'ai pas compris ce qu'on allait faire
ce qu'on allait voir
alors j'ai plus voulu faire le voyage
je suis descendu dès que j'ai pu
je crois même que j'ai sauté du train en marche

la ballade des échinodermes

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 14:35 (il y a 3216 jours) @ julienb

C'est la fin de ce monde-ci
Et de sa chair en dent de scie
Tout est profondément perdu
Sait-on ce que l'on a connu
Des singes ou des échinodermes
De cette faim sous notre derme
De cet épilogue frileux
Plus misérable que galeux
Plus misérable

Que sait-on de ce monde-ci
De quoi peut-il être transi
Sinon de notre opposition
A ce qui naît et nous contraint
Voici que continue le train
Où notre place était acquise
Et c'est ainsi que va l'effroi
Entre les banquettes exquises
Et les reliefs d'un buffet froid
Sur une table qui s'enlise

Que va-t-il arriver
Si notre faim va à l'encontre
De ce qui demeure et qui contre
Et du bijou et de l'écrin
Magnifique enfant de là-bas
Qui fus simulacre et combat
Que peux-tu provoquer de plus
Que le chaos, que le trépas
La mortitude et le méplat
Des garnisons de solitude

C'est la fin de ce monde-ci
De son amour en dents de scie
Tout est profondément perdu
Sait-on ce que l'on a connu
Des singes ou des échinodermes
De cet enfant sous notre derme
A qui l'on a touché la joue
Plus misérable que frileux
Plus molécule que galeux
Plus molécule

Nous sommes des échinodermes
A la muqueuse qui se ferme
Sur fond de monde perdu
Et nous nous battrons à mains nues

Nous sommes des échinodermes
Dont la carapace renferme
Un vin un venin douloureux
Et nous nous battrons d'autant mieux

C'est la fin de ce monde-ci.
On s'en ira en Italie
Où doit bien être notre lit,
Quelque part sous un pin marin,
Quelque part sous le romarin.
Le marbre est confident du monde
Et ce jour-là, sur notre tombe
Un oiseau des plus audacieux
Mangera la chair de nos yeux
Mangera la chair de nos yeux

Mangera la chair

Mangera la chair

Mangera la chair de nos yeux

soumission (place)

par zeio @, mercredi 15 juillet 2015, 13:39 (il y a 3216 jours) @ Claire

"Finalement je me retrouve en face d’une jeune fille dépitée"

Je dois avoir l'esprit tordu car j'ai lu "une jeune fille décapitée"

soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 13:42 (il y a 3216 jours) @ zeio

non, tu transforme un texte prosaïque en texte poétique. kelig en tire des réflexions politiques.

soumission (place)

par zeio @, mercredi 15 juillet 2015, 14:01 (il y a 3216 jours) @ Claire

Cela ressemble au train vers l'enfer. Quand bien même tu ne descendais pas à Marseille. C'est en raison de ce type d'individus agressifs, incultes, inélégants, arrogants et que je hais Marseille (et surtout pour d'autres raisons personnelles infiniment plus tragiques). L'autre fois, j'étais allé là-bas pour rendre visite à ma sœur qui était au plus mal à l'hôpital, dans une rue montante un petit merdeux tente de faire un croche-pied à ma mère, suivi d'un "faut vous excuser madame !". Horreur suprême. Du petit merdeux qui a déjà pris le pli avec les femmes. Ce commentaire est moins poétique, mais c'est tout ce que je pense de cette ville qui me donne la nausée chaque fois que j'y mets les pieds.

soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 14:15 (il y a 3216 jours) @ zeio

oui, ça a été ma première impression, exactement. Mais ensuite c'est devenu bien plus ambigu. Je crois qu'il était emmerdé, et moi j'ai trouvé que j'avais eu une bonne leçon, d'une certaine façon... en tout cas que ça m'avait obligée à réfléchir.

Je déteste aussi Marseille (désolée kelig), du moins ce que j'en vois quand j'y vais, la façon de conduire, la frime, l'arrogance, la dureté, la saleté. Mais j'aime énormément ce que fait Nevchehirlian et il aime beaucoup sa ville. C'est comme tout, il faudrait voir de l'intérieur.

soumission (place)

par zeio @, mercredi 15 juillet 2015, 14:57 (il y a 3216 jours) @ Claire

Désolé oui pour kelig. Il faut dire que j'ai une histoire personnelle particulière avec cette ville, que je hais, il ne peut pas en être autrement. J'aime par contre ses alentours, les calenques, la baie des singes...

Je crois, Claire, que tu es sujette à l'esprit de l'escalier.

soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 15:10 (il y a 3216 jours) @ zeio

on ne peut rien te cacher.
Mais je crois que c'est aussi parce que je me fais rarement insulter (ou alors par des petits patients et ça ne compte pas)...je manque d'entraînement.

Je me souviens avec quelle satisfaction j'avais appris à répliquer à l'école. Grosse patate pourrie.

soumission (place)

par kelig, mercredi 15 juillet 2015, 15:28 (il y a 3216 jours) @ zeio

Bah, je me suis fait insulter pour avoir refuser de filer une clope l'autre jour par des djeuns loub alors je comprends bien. Ceci dit ça m'arrive très rarement et je crois que je m'y fonds bien, on me laisse tranquille. Pour certaines filles c'est pas simple...
Je ne suis pas toujours heureux de vivre à Marseille, certains côté m'exaspèrent, certains jours j'aime, d'autre fois j'y suis bien, et j'y trouve de quoi m'intéresser.
Et il y a la mer aussi quand même, on peut s'y baigner l'été.
Moi c'est Paris et ses étendues qui m'a laissé amertume.

soumission (place)

par Ecrire, mercredi 15 juillet 2015, 14:17 (il y a 3216 jours) @ zeio

A l'occasion, en particulier dans les transports en communs, il m'arrive de sortir cette phrase préventive à teneur légèrement ironique : "Excusez moi de m'être laissé marcher sur les pieds !".

soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 14:22 (il y a 3216 jours) @ Ecrire

ah ça m'intéresserait bien que tu donnes ton avis sur le texte...tu es notre Premier Prosateur, après tout.

soumission (place)

par Ecrire, mercredi 15 juillet 2015, 16:53 (il y a 3215 jours) @ Claire

Ton texte est intéressant. Il illustre une situation assez répandue où les gens (de toutes générations et de toutes origines, mais avec des nuances importantes évidemment), se comportent de façon "autocentrée" et "privative".

En gros, je fais ce que je veux sans tenir compte de l'environnement, sauf si un élément de cet environnement empiète sur l'espace dont j'estime qu'il est mien du simple fait que je l'ai "marqué".

Ainsi de ce coin de table colonisé par mes soins. J'y ai déposé une propriété (paquet de gâteau)de ce fait, cette portion de table m'appartient. Celui qui pousse le paquet remet en cause mon territoire. C'est une agression, voire une déclaration de guerre. Ici, l'affaire ne va pas plus loin, car tu ne répliques pas.

soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 18:45 (il y a 3215 jours) @ Ecrire

Non, justement, je ne crois pas...il n'en avait rien à faire de son paquet de biscuits qui en outre se trouvait sur la portion de table qui me revenait. Je crois qu'il était soudain Tarzan, le défenseur des jeunes amoureux beurs qu'une méchante bourgeoise sépare par pure prétention à des droits territoriaux.

En fait, je crois qu'il faut que je revoie quelque chose, je ne vous aurais pas infligé le récit de cet incident miséreux qui m'amène à faire de moi-même un portrait peu flatteur s'il n'avait pas été accompagné, baigné, par la lecture de "soumission" de Houellebecq. Sans vouloir tout raconter c'est un récit faustien dont le héros, universitaire spécialiste de Huysmans revenu de tout, vend son âme à l'islam contre des avantages nombreux, le principal étant la promesse d'avoir plusieurs épouses convenablement élevées. La question de la croyance et du désir, des rapports homme/femme, de la force d'un monde musulman convaincu (et riche) face à un monde occidental en perte de vitesse et surtout de convictions

Disons que j'ai ressenti très fort en moi-même de quelle façon je cherchais à reprendre à mes propres yeux ma dignité, voire une supériorité , comment j'en appelais intérieurement à mon statut social, à mes revenus, à mes diplômes, à mon intelligence. Ce texte lui-même en vient certainement aussi.

La phrase "je sais exactement ce que vous pensez" était une tentative de prendre pouvoir sur moi dans ce registre de la pensée, mais elle était dangereuse pour lui parce qu'elle était une phrase d'identification. Et du coup, il a dû se montrer l'inverse de ce qu'il pensait que je pensais de lui : aimable avec les femmes mûres, gentil avec sa compagne, précautionneux de mon espace, très poli avec moi. Et en ce qui me concerne cette même phrase m'a donné l'impression de quelqu'un d'intelligent, et l'identification a fonctionné aussi, surtout que je reçois pas mal d'ados beurs qui ont à se dépêtrer de toutes ces questions..

Après, rien n'a été dit, ce ne sont que des impressions, mais j'ai souvent raison dans mes impressions. Le prolongement du bouquin de Houellebecq c'est aussi la question des identités et des pouvoirs : hommes/femmes ; riches/pauvres ; vieux/jeunes ; européens "de souche" /arabes ; coyants/incroyants. C'est aussi pour ça que le mot "place" revient sans cesse dans le texte.

(bon, mes compagnons de voyage n'étaient pas musulmans convaincus, il ont mangé et bu pendant tout le voyage, en plein ramadan.)

soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 19:56 (il y a 3215 jours) @ Claire

et bien sûr on lit mieux Houellebecq quand on se souvient que d'après lui sa mère était une femme "libérée", diplômée, qui ne l'aimait pas, voire le haïssait et qui l'a à moitié abandonné.

soumission (place)

par kelig, jeudi 16 juillet 2015, 00:16 (il y a 3215 jours) @ Claire

Il existe une excellente BD sur "les places" dans le Train. Un film en a été tiré qui n'est pas trop mal mais pas super.

http://rue89.nouvelobs.com/rue89-culture/2013/09/28/bonne-etoile-transperceneige-bd-francaise-oubliee-246141

Et sinon, je connais des beurs qui ne sont pas musulmans, j'imagine qu'il y en a beaucoup.

soumission (place)

par little raven, jeudi 16 juillet 2015, 00:53 (il y a 3215 jours) @ kelig

pas mal raide par bout, ce film, mais je l'ai bien aimé, il est pas cuit en tout cas...
(les images sont terribles)

soumission (place)

par Lectrice - 0 :)), jeudi 16 juillet 2015, 06:05 (il y a 3215 jours) @ kelig

Salut Kelig :))

Je connais plein de chrétiens qui sont chrétiens quand ça les arrangent :))
La plupart se disent athées ou agnostiques de religion :))

soumission (place)

par kelig, jeudi 16 juillet 2015, 08:10 (il y a 3215 jours) @ Lectrice - 0 :))

salut Lectrice, bien entendu !

Si je disais cela c'est parce qu'un amalgame idéologique est construit sur la base : beur/arabe(/étranger/)musulman. Construit médiatiquement et politiquement.
Or, il me semble, beaucoup sont musulmans comme toi et moi sommes chrétiens hem. C'est-à-dire pas un iota.

soumission (place)

par Claire, jeudi 16 juillet 2015, 08:39 (il y a 3215 jours) @ kelig

oui, c'est une des choses compliquées pour certains ados.
Mais là, la question ne se posait même pas puisque tout a commencé autour d'un paquet de gâteaux en plein jeûne du ramadan.

soumission (place)

par kelig, jeudi 16 juillet 2015, 08:43 (il y a 3215 jours) @ Claire

oui mais pourquoi dis-tu qu'ils étaient musulmans (pas convaincus) ?
ils ne l'étaient pas du tout sans doute.
je discute avec pas mal qui ont totalement rejeté la religion de leurs parents.

soumission (place)

par Claire, jeudi 16 juillet 2015, 09:18 (il y a 3215 jours) @ kelig

On a un problème de logique là, je dis qu'ils ne sont pas musulmans convaincus ( puisqu'ils ne font pas la ramadan), je ne dis pas qu'ils sont musulmans pas convaincus.

soumission (place)

par kelig, jeudi 16 juillet 2015, 09:31 (il y a 3215 jours) @ Claire

ah, d'ac'.

soumission (place)

par Claire, jeudi 16 juillet 2015, 10:57 (il y a 3215 jours) @ kelig

Tu vois, je crois que ce sont tes idées, tes solidarités, tes positions qui ont faussé ta lecture. Si j'ai raconté cette histoire c'est parce qu'elle a heurté aussi mes idées, la représentation que j'ai de moi, et qu'elle s'accompagnait d'une lecture troublante.
Parce que je suis d'accord avec une certaine part de ce que dit le livre, parce que j'aime la façon qu'a Houellebecq de nous présenter les ambiguïtés et les misères de notre monde.

soumission (place)

par kelig, jeudi 16 juillet 2015, 11:01 (il y a 3215 jours) @ Claire

Ben non Claire... Moi je ne crois pas ça.
Je n'ai pas lu ce livre et je ne compte pas le lire, pas besoin ni envie.

soumission (place)

par kelig, jeudi 16 juillet 2015, 11:06 (il y a 3215 jours) @ Claire

Il y a des "musulmans", non pratiquant, qui ne font pas le ramadan, tout comme des "chrétiens" qui ne vont pas à l'Eglise.
D'où ma lecture, non pas illogique. Mais tu as ôté l'ambiguïté, d'où le "ah, d'ac'".
Pour ce qui est de Houellebecq et son oeuvre on ne sera pas d'accord de toute façon.
(en passant, le thème de ce livre, la trame de ce livre est "politiquement correct" justement, s'inscrit dans la fantasmagorie en vogue.)

soumission (place)

par Claire, jeudi 16 juillet 2015, 11:24 (il y a 3215 jours) @ kelig

j'ai dit que j'étais d'accord avec certaines choses du livre. Ma note sur les liens de Houellebecq avec sa mère devrait te convaincre de mon regard critique aussi. Et je te rappelle que je suis une femme, plutôt intellectuelle de surcroît.
mais ne lis pas le livre si tu sais déjà ce qu'il y a dedans. J'ai longtemps été révulsée par Houellebecq (jusqu'à ce que je me décide à le lire. Et que je sente son honnêteté intellectuelle, ses questions plus que ses réponses.)

soumission (place)

par kelig, jeudi 16 juillet 2015, 11:36 (il y a 3215 jours) @ Claire

...moi aussi j'ai été en partie abandonné pendant mon enfance et longtemps douté de l'amour de ma mère pour moi j'avais quelques raisons. il y a des similitudes. chacun son chemin pour tenter de se réparer faire le tri parmi le bon et les douleurs. faire le bilan de "68" est complexe.

soumission (place)

par Claire, jeudi 16 juillet 2015, 11:37 (il y a 3215 jours) @ kelig

sur ce point je suis complètement d'accord.

soumission (place)

par dh, mercredi 15 juillet 2015, 14:23 (il y a 3216 jours) @ zeio

il faut lire "le cauchemar d'insmouth" de hp lovecraft.

soumission (place)

par zeio @, mercredi 15 juillet 2015, 14:51 (il y a 3216 jours) @ dh

Tu m'en bouches un coin, je suis un grand amateur de lovecraft dont j'ai lu l'œuvre pratiquement en entier. Régulièrement je m'endors le soir en écoutant les livres audio ou pièces radio des écrits de Lovecraft. Hier j'ai écouté pour la énième fois le cauchemar d'Innsmouth.

soumission (place)

par Claire, mercredi 15 juillet 2015, 15:12 (il y a 3216 jours) @ zeio

!

Surtout que le lien avec Marseille n'est pas une évidence. Y'a du médium dans l'air...

soumission (place)

par zeio @, mercredi 15 juillet 2015, 15:55 (il y a 3215 jours) @ Claire

En effet il fallait y penser.

Le livre audio du cauchemar d'Innsmouth n'est pas mon préféré. Je trouve la voix monotone, sans aspérités. En particulier la voix du chef de gare, celui qui apprend au narrateur l'existence d'Innmouth, du rocher du diable et du bus qui mène à cette ville malsaine.

Le meilleur livre audio est "L'appel de Cthulhu" notamment le chapitre II et la scène de la cérémonie du culte.

Mais les meilleures expériences sont apportées par les pièces radio de france culture (qui sont des créations radiophoniques et non pas de simples lectures) en particulier "La couleur tombée du ciel" et, justement "Des ombres sur Innsmouth" (adaptation du cauchemar d'Innsmouth, mauvaise traduction du titre original "The Shadow over Innsmouth").


http://www.franceculture.fr/emission-fictions-droles-de-drames-12-13-la-couleur-tombee-du-ciel-2013-01-19
http://www.litteratureaudio.com/index.php?s=lovecraft&sbutt=Ok

soumission (place)

par Maristein, jeudi 16 juillet 2015, 12:52 (il y a 3215 jours) @ Claire

Il me semble que tu t'interroges également sur la nécessité (ou pas ) d'admettre "la loi du plus fort", (ici les plus forts sont les plus jeunes d'ailleurs, et je me demande si des "chibanis" se comporteraient de la même façon) comme si toute relation humaine, malgré l'intelligence, malgré toutes les précautions, toutes les réflexions et analyses les plus nuancées, reposait toujours sur une lutte pour la domination, toujours... même dans la discussion la plus raffinée, ce désir de convaincre l'autre et donc de le soumettre à son propre point de vue, toujours ce rapport de forces.

D'après toi Claire:

- la loi domination/soumission est-elle nécessaire? obligée? inhérente à notre condition?


Et une autre question que soulève aussi ton récit:

- ne doit-on se soumettre au minimum aux règles de la "politesse", qui est la courtoisie du vivre ensemble et du respect?
Il n’est pas à vous n’est-ce pas ? eh bien il faut demander, c’est ça la politesse

soumission (place)

par Claire, vendredi 17 juillet 2015, 11:28 (il y a 3214 jours) @ Maristein

Oui, tu poses des questions très intéressantes.
Je pense que nous sommes (en profondeur) des primates pour lesquels la question de la dominance est naturelle, organise la vie sociale de façon innée et implicite. Mais nous ne sommes pas que des primates, nous sommes aussi des humains et nous avons élaboré une grande quantité de lois, de pratiques, de théories, de pensées qui interfèrent avec cette loi instinctive et naturelle, la modulent.
Je navigue habituellement dans un monde où cette loi de la dominance est très atténuée. Ou pour dire les choses autrement, où je peux me vivre inconsciemment le plus souvent assez dominante, au point de ne plus avoir besoin d'en faire la preuve et donc de pouvoir oublier ces dérangeantes questions. Avancer en âge remet en cause néanmoins cette dominance (les vieux ne sont pas très admirés dans notre monde).

Après, la télévision ne cesse de nous mettre sous les yeux la souffrance terrible des gens qui sont écrasés par la loi du plus fort, qui est un variante de la pulsion de la dominance, une pulsion qui a échappé aux garde-fous des modulateurs instinctuels animaux, de la loi, de la culture, de la pensée, de l'identification, et se donne libre-cours dans toute sa cruauté et sa perversion, sa folie. Nous sommes terrifiés et révulsés, à juste titre, par elle. Nous sommes envahis d'identification impuissante et nous essayons de nous en protéger, bien entendu.

Mon jeune interlocuteur vit dans un monde où il ne peut pas (inconsciemment) se sentir comme dominant "naturel". Il a certainement souvent eu affaire à la loi du plus fort, et certainement eu à faire la preuve de sa dominance. Mais là, il ajoute quand même quelque chose, une phrase qui sous-entend : "je sais que vous me méprisez".

Il s'était invité dans le monde des dominants (la première classe) et sa dominance il m'en administre la preuve en faisant appel à la loi du plus fort (dans les faits : il m'intimide), mais il en appelle aussi de façon extrêmement maladroite aux règles du monde des dominants : la politesse avec les dames. C'est "faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais". Puis il fait tous ses efforts pour montrer qu'il est quand même capable d'y obéir.

Il y avait un côté La Fontaine, "le loup et l'agneau", le paquet de gâteaux jouant le rôle du ruisseau trouble, dans la plus parfaite mauvaise foi. C'est ce qui explique ma réflexion sur "la loi du plus fort".
Mais j'ai essayé de rendre compte de toute la superposition des pensées qui m'ont traversé l'esprit, et ce n'en est qu'une parmi d'autres.
Ce qui est intéressant c'est que personne des gens de la première classe n'est intervenu pour me défendre (et heureusement...il n'y avait pas de quoi en faire un pugilat).

Si j'étais la femme que je rêverais d'être, j'aurais, au bout d'une heure ou deux, tenté d'ouvrir avec lui la discussion autour de cette phrase qu'il m'avait dite et ça aurait peut-être été bien intéressant. Mais je suis assez lâche en milieu inconnu.
Ceci dit, au cours du voyage, du fait de sa longueur, je crois que quelque chose est passé entre nous de toute cette complexité.

soumission (place)

par Amateur, jeudi 16 juillet 2015, 18:27 (il y a 3214 jours) @ Claire

("sa jeune femme voulant dormir sur deux sièges", j'ai lu "voulant vomir sur deux sièges".)

Ton témoignage a réveillé des souvenirs douloureux endormis.
J'ai vécu la soumission inverse : beur/français, beur/beur c'est un peu différent.
Face au français, je souris au mépris, aux insultes subtiles du regard comme un idiot, je ne prends pas la défense d'une femme voilée insultée dans le bus 38, je préfère calmer le jeu, écouter les "rentrez chez vous" "vous êtes laide" chialer plus tard ..; mais face au beur insultant dans le métro de la ligne 8, je prends le risque d'être menacé de mort.. et je réponds bêtement à mon tour par des attaques virulentes, des insultes en arabe..qui finissent par nous désarmer tous les deux..

soumission (place)

par Claire, vendredi 17 juillet 2015, 11:42 (il y a 3214 jours) @ Amateur

oui, c'est très intéressant aussi tes associations, l'autre côté du miroir.

Comme je le disais, je travaille au quotidien avec des jeunes beur, et je suis amenée à m'identifier à eux si je veux faire bien mon travail. Cet arrière-plan d'humiliations, la grande difficulté à définir son identité et à trouver sa place dans une société fermée, je le mesure bien. Du coup, la colère que j'ai ressenti envers cet homme n'a pas duré longtemps. Peut-être ç'aurait été différent si je l'avais trouvé bête. Cette phrase qui signifiait "je sais que vous me méprisez" a désarmé mon mépris.
Si je n'avais pas l'esprit d'escalier comme dit zeio, je lui aurais répondu : "ce que je pense est lié à ce que vous faites". Mais j'aurais ainsi rejeté entièrement sur lui la responsabilité de ce qui se passait, alors que je crois qu'elle appartient aussi aux dérégulations actuelles de la société.

identifications (suite)

par Claire, vendredi 17 juillet 2015, 11:55 (il y a 3214 jours) @ Claire

et puis ajoutons que je vis depuis peu à Toulon et que je m'identifie assez peu aux "première classe" qui m'entourent, au point d'avoir souvent envie de déménager.

soumission (place)

par Claire, vendredi 17 juillet 2015, 13:16 (il y a 3214 jours) @ Amateur

je n'ai pas relevé le lapsus de lecture qui mériterait d'être questionné....il y a quelque chose d'animal, d'enfantin. et ça renvoie aussi à son silence (vomir/parler), car elle n'a rien dit pendant toute la scène et très peu parlé après.
et au "décapitée" à la place de "dépitée" qu'avait lu zeio concernant l'autre jeune fille.