de la cause première

par julien, dimanche 01 mai 2016, 13:41 (il y a 2923 jours)

Bouillonnant, l’air pesait comme une enclume.
Clovis observait une plume qui glissait sur le filet d’eau crépitant du caniveau. Quelque poulet hébété avait été sacrifié sur l’autel d’un déjeuner dominical. Cette évocation indirecte de l’idée de « famille » lui causa une nausée hargneuse. Un instant, il crut qu’il allait vomir sur place. Cette chaleur qui l’insupportait, l’écrasait, n’arrangeait certes rien. Il happa un peu d’air, força jusqu’à ce qu’un rot sonore aux harmoniques diaboliques le délivre, se contenta de cracher dans le clapotis. Il repensa à ce con d’Horace, son frère, qui la veille avait accroché et bousillé son vélo tout neuf en garant le Massey Ferguson, l’obligeant depuis lors à aller à pied par les rues et les sentes du village – ce dont Clovis s’acquittait finalement avec audace et superbe. A tous les coups, Horace l’avait fait exprès. Que n’avait-il d’ailleurs pas inventé pour pourrir la vie de son cadet ? Ce nouveau coup du sort, cette marche forcée avait malgré tout une contrepartie libératoire : faciliter l’évacuation des gaz qui le ballonnaient continuellement ce jour-là. Récitant du Rimbaud sur le chemin entre le Pôle Emploi et le Leader Price du canton, homme aux semelles de vents, Clovis laissait derrière lui un sulfureux sillage de méthane, heureux d’emmerder le monde à son tour avec les moyens à sa disposition. Comme le soleil tapait dur en ce midi triomphant, ses pensées se dilataient aussi, et ses sens s’échauffaient. Il fallait d’urgence faire quelque chose de sensé ; ça éviterait des ennuis. Est-ce que nourrir le vague projet d’aller casser la gueule à son con de frangin pouvait entrer dans cette dernière catégorie ?

poésie sonore

par julien, dimanche 01 mai 2016, 15:12 (il y a 2923 jours) @ julien

Brusquement, il libéra un vent tonitruant, retentissant. L’assemblée fut aussitôt frappée de stupeur. Un silence compact s’installa, puis un rire éclata, suivi de quelques autres. Clovis les prit pour un encouragement et, retrouvant sa confiance et son aplomb, entama un chapelet de météores grésillant en crescendo. On fit silence pour mieux l’entendre. Le spectacle pouvait commencer. Un stade supérieur fut atteint avec un long sifflement voisé. Quelques onomatopées rauques lui succédèrent, puis un bel enchaînement de doubles croches grasseyantes qui fascina l’auditoire. Il y eut quelques applaudissements. Le meilleur arrivait : une sorte d’alphabet dicté par la seule constriction sphinctérienne, une prouesse, un prodige de maîtrise de soi. On l’acclama, le rappela. Clovis, épuisé, transporté, suant, était déjà parti aux toilettes achever une œuvre dont sa virtuose pétomanie n’avait été que le fulgurant préambule.

poésie sonore

par zeio, dimanche 01 mai 2016, 23:50 (il y a 2923 jours) @ julien

Voilà qui aére un peu délivre !

départ

par julien, lundi 02 mai 2016, 10:29 (il y a 2922 jours) @ julien

Cette nuit-là, Clovis ne put fermer l’œil. Il avait trop chaud, étouffait dans l’atmosphère lourde de la pièce tamisée. Il se leva pesamment, l’esprit engourdi de rêves en morceaux. Quelques ablutions succinctes échouèrent à le tirer tout à fait du sommeil. Il descendit à la cuisine pour avaler un bol de céréales qui flottaient dans un peu de lait froid, s’habilla, décida de sortir malgré l’heure encore nocturne.
Le village était désert. Il régnait dans l’air une attente anxieuse, celle d’avant l’orage et la tempête. Il aurait parié que dans la nuit moite ni les bêtes ni les hommes, qui sont des bêtes, ne parvenaient à fermer l’œil.
Après un temps d’hésitation ou bien d’absence, il se dirigea vers le hangar qui abritait le Massey-Ferguson familial. Un grand monstre rouge, habituellement rutilant sous le soleil du bocage, plutôt blafard dans la lumière de la lune. Des mottes de terre et des bouses s’accrochaient à ses roues gigantesques. Clovis n’avait pas de projet ni de désir bien clair : marcher, s’aérer les idées, profiter d’être là avant le soleil et peut-être vivre le surgissement de l’aube en direct. Pourtant, une vision lui traversa inopinément l’esprit : il se vit au volant du tracteur, sur une voie express déserte, appelé pas des horizons nouveaux, enfin libre. Il prit sa décision avec une brusquerie qui ne lui ressemblait pas. Rassembler quelques affaires, vite, se faire la malle. Ça tombait bien : son frère était sorti pour une quelconque beuverie, son père dormait comme une souche et ronflait tellement que sa mère mettait toujours ses boules Quiès.
Il revint à sa chambre. Son sang bouillonnait d’excitation. Il hésita un peu sur les CD à emporter avec lui dans sa nouvelle vie ; il voulait voyager léger et se limita à trois. Il prit Third de Soft machine, Sabbath Bloody Sabbath et hésita pour le dernier, qu’il désirait grandiose, entre la Messe de Machaut et Mekanïk Destruktïw Kommandöh.
C’est un peu la même chose de toute façon.
Et il opta pour MDK. Il emporta bien sûr l’Ethique de Spinoza, plus quelques affaires de rechange et son gel douche préféré.

mauvais trip

par julien, lundi 02 mai 2016, 10:37 (il y a 2922 jours) @ julien

Clovis se raccrochait à la sentence inaugurale de Schopenhauer : « le monde est ma représentation ». Il répétait ces mots mystérieux comme une prière, un mantra, une formule magique. Cela ne suffisait pas : il s’enfonçait encore dans les profondeurs insoupçonnées du sofa, chutait dans un abîme invisible. « Le monde est ma volonté ! » hurla-t-il, les yeux exorbités. Mickey sursauta, terrifié. Alors, dans un ultime soubresaut, Clovis s’extirpa du canapé, tomba à genoux et vomit sur un chat endormi qui tourna sur lui-même dans un feulement lugubre avant de détendre le ressort d’une patte pour griffer l’importun au visage.

mauvais trip

par Claire, mardi 03 mai 2016, 21:05 (il y a 2921 jours) @ julien

J'ai réfléchi à ce qui me gêne dans l'ensemble. Je trouve qu'il y a un manque de cohérence entre le style plutôt "classique" du récit et les outrances ou les étrangetés dont tu l'émailles.
Je veux dire qu'une fugue en tracteur, une symphonie de pets, ne trouveraient leur juste place que dans un récit plus destructuré, plus baroque. Là, c'est trop, comme la révolte du héros exprimée dans un style argotique qui sonne un peu faux.
Il faudrait décoller plus, je crois, partir plus de ta propre expérience même si tu "changes tout ".



(je te dis ça d'autant plus à l'aise que je n'écris pas de prose ou presque).

mauvais trip

par julien, mardi 03 mai 2016, 21:12 (il y a 2921 jours) @ Claire

Tu as peut-être raison, je ne sais pas, j'aime bien les décalages, péter dans la soie. A réfléchir. Merci du retour.

mauvais trip

par Rémy @, mardi 03 mai 2016, 21:31 (il y a 2921 jours) @ julien

Était-ce Clovis Trouille ? C'est un génie, vous savez.

mauvais trip

par julien, mercredi 04 mai 2016, 09:40 (il y a 2920 jours) @ Rémy

je pense que c'est lui, oui