Mad rush

par zeio, samedi 13 mai 2017, 03:18 (il y a 2540 jours)




Désireux de me cacher du monde, j'ai couvert mon visage d'un morceau d'étoffe trouvé là au hasard, entre la corbeille et le repose-pied. Si je désirais mimer l'innocent, je serais enclin à laisser croire que le seul but de ce morceau d'étoffe est d'atténuer la lumière rasante afin de trouver plus facilement le sommeil, mais ça n'est pas le cas, d'ailleurs, je ne trouve jamais le sommeil. Ça n'est pas faute de l'avoir cherché. Se cacher du monde est la manière la plus nette de succomber au désir de s'éloigner pour mieux revenir, comme on garde des jetons en poche pour la partie du lendemain, quand la chance aura tournée, quand les fortifications intérieures auront été suffisamment consolidées, aptes à recueillir toute forme de victoire sur soi et sur la vie. Pour le moment, on a le sentiment d'avoir une sale gueule quand bien même on a aucun miroir sous la main, ceci pour le meilleur, on a envie de s'enfoncer dans la nuit sans raison tangible, les passagers voisins sont bruyants, ineptes, on a guère envie de les affronter. "Laissez-moi donc seul un moment" aurais-je envie de dire, mais à quoi bon passer pour un mufle, les portes sont verrouillées, et je n'ai pas que ça à faire. Je dois dors-et-déjà m'éloigner du monde et de moi un moment, et ça n'est pas une mince affaire, je crois même que je n'en verrai pas le bout, peu importe, c'est l'intention qui compte dans ces choses là comme dans tout. Peut-être ai-je sommeil, finalement. On eut dit que les wagons bercent les âmes des éreintés, quant à moi je n'hésite pas un instant avant de me laisser bercer, entre le brouhaha d'un couple qui raisonne son enfant geignard et un passager s'adonnant sans écouteurs aux délices d'un film consommable américain. Qui eut dit que les hommes iraient en chantonnant sur le chemin de l'atrophie cérébrale, d'abord accompagnés de quelques irréductibles râleurs, finalement s'y abandonnant sans entraves aucunes. Les neurones humains en fin de compte forment un plumard bien confortable où vient se prélasser la rutilante médiocrité. Elle ne date certainement pas d'hier, la médiocrité, mais aujourd'hui, on se déporte goulûment vers son antre. Encore un peu, elle deviendra un passe-droit. Dans ces conditions, difficile de créer quoi que ce soit, encore plus de s'extirper de l'arrière-scène sans faire preuve d'un minimum de léchouilles racoleuses. Les poètes ne sont plus de l'univers, leurs ailes battent dans l'ombre, du côté de la foutue matière noire invisible. Le marketing de tout met en pièces la pensée et, en dignes coquilles vides, nous n'avons plus le sens du sacré pour y dégorger nos misères. Tout est-il donc perdu ? Loin s'en faut. Voilà déjà le contrôleur, et j'ai mon billet en poche, au moins jusqu'à la prochaine station.

Mad rush

par sobac @, samedi 13 mai 2017, 19:09 (il y a 2540 jours) @ zeio

au train ou vont les choses , l'arrêt en gare est incontournable, faut pas se bercer d'illusions

Mad rush

par Périscope @, samedi 13 mai 2017, 19:36 (il y a 2540 jours) @ sobac

l' écran devient un partenaire pour tuer nos nuits d'insomnie

que de rancœur dans le silence que seul le ronronnement de l'ordi humanise

l'écran devient ce carnet où autrefois on y déclinait son humeur journalière

les phrases alors avec l'apport vitaminé du clavier défilent où on aimerait qu'elles
passent par un tamis correctif

je ne sais pas écrire comme si "delivre.net" était un visage

mais j'attends vos textes aux kilomètres pour m'éloigner de moi-même

Mad rush

par Rémy @, samedi 13 mai 2017, 20:59 (il y a 2540 jours) @ zeio

Là aussi y'a une vidéo ! Elle montre quouaaaaaa ? Celles au bout des liens, par exemple d'Ecrire ou d'auphil, j'arrive à les voir, mais les embedées, pas... C'est bien embêdant.


Sinon le texte, mouaif. Ça dépend un peu du reste du livre. Une grande déploration récrimineuse comme ça, genre tous des cons sauf moi, le monde s'en va à vau-l'eau, ah ma bonne dame on est en décadence etc. etc. etc., assez vite à la lecture on s'en dissocie pour se préserver des éclaboussures. Ça peut servir à poser un personnage, à qui il n'arrivera bien sûr que des mésaventures navrantes, jusqu'au jour où le grand amour lui rosira les lunettes - et là il faudra produire des pages exactement symétriques, dans lesquelles il collera son bonheur sur tout le train comme il y a collé sa déprime à l'aller - ça ne va pas être facile à écrire, mais ça peut être intéressant. Par contre sans livre tout autour pour justifier le truc, pfouh... C'est le moment "on fait plus rien contre" qui autodétruit le texte, je trouve. Ce point-là posé, on sait qu'il ne se va rien se passer puisqu'il n'entreprendra rien, donc on n'a plus aucune raison de continuer à lire son gningnin.

Mad rush

par zeio, dimanche 14 mai 2017, 00:43 (il y a 2540 jours) @ Rémy

C'est aussi parce que j'ai quand même foi en l'Homme, que je me permets des encartades. Parfois, on a seulement envie de se glisser dans la lézarde d'un mur, afin de disparaître entre les pierres, enfin, peut-être que ça ne t'arrive jamais, auquel cas je comprends que ce genre d'élan ne t'atteigne pas, voire te rebute. Tu n'as pas dû être lézard dans une vie antérieure.

La vidéo YouTube est un enregistrement du morceau de piano "Mad Rush" de Philip Glass.

Mad rush

par Rémy @, dimanche 14 mai 2017, 09:14 (il y a 2539 jours) @ zeio

Mais enfin, arrêtez de délirer sur ma psyché ! Ç't'une maladie que vous avez ou quoi ?


À part ça, c'est bien ce que je te dis : face à ce texte, on s'en détache pour se garder des éclaboussures. Il est très bien écrit, il fait très bien partager un moment désagréable. Moi je n'ai pas envie de partager de moments désagréables, mais grand bien te fasse, et à tes lecteurs.

Mad rush

par --, dimanche 14 mai 2017, 10:46 (il y a 2539 jours) @ zeio

Édité à la demande de l'auteur.

Mad rush

par Rémy @, dimanche 14 mai 2017, 09:02 (il y a 2539 jours) @ zeio

Ah ça y est j'ai vu la vidéo. C'est du Philip Glass, mais du tout pourri tout saboté... Ça correspond parfaitement au texte, remarque, ça pour le coup c'est très habile.

Dans le livre, tu pourras mettre un chapitre où la mère du jeune narrateur accouche sous influence, sans douleur, sur Glassworks, la facette réussie de la même veine.