Les parents s'amusent

par Ramm77 @, samedi 29 novembre 2014, 12:15 (il y a 3439 jours)

LES PARENTS S'AMUSENT

C’est un jour de novembre,
les pieds traînant dans les feuilles moribondes,
une main déjà crispée sous le soleil d’hiver,
un jour dominical.

C’est une fête.
Les parents sont partis dans la maison d’à côté.
Ils mangent, ils boivent, ils fument,
parlent politique et de femmes légères.

Le garçon les a accompagnés.
Il ne s’amuse pas.
Il lui faut revenir dans la maison de chez lui,
pour faire devoirs, écriture, mathématiques,

Attablé seul à son bureau,
pendant que les parents, attablés à table,
continuent leur fête,
tandis que lui se demande s’il est un bon garçon.


Mais voilà qu’une silhouette,
à la porte, se présente.
Elle dit que le garçon peut venir,
et que ses devoirs peuvent attendre.

« Je reviens, je suis parti juste un moment »
écrit le garçon sur un papier, gentiment.
Il suit la silhouette
qui le conduit à la porte d’une autre maison.

Des filles à l’entrée le préviennent :
« Tu sais ici, les frites sont franchement dégueulasses »
Puis elles lui tamponnent son ticket sur le poignet.
Le garçon s’aventure dans la maison.

Au premier étage, c’est une salle de danse.
Des ombres, avec chapeau, traînant les pieds
dans des débris de verre, de cendre, de feuilles moribondes.
Ça danse poussivement les ombres de mec.

Le garçon raconte à l’un d’eux, assis sur un banc,
son visage étant plus rose que les autres :
« Tu vois, elle m’a dit de quitter mes devoirs,
et de la suivre impérativement » il dit le garçon.

« Cela me fait du bien de croire
qu’elle pense à moi et qu’elle me préfère »
continue le garçon à l’autre,
dont le visage rose fait semblant de l’écouter.

Puis, dans la salle de danse,
une silhouette arrive.
Elle regarde dans l’obscurité le garçon. Elle dit :
« J’aime bien la façon de t’habiller ».

Le garçon va exploser.
Jamais ainsi on lui a parlé.
Il imagine les lèvres acidulées
d’une telle bouche disant cela.

Mais, dans la maison d’à côté,
il entend les parents qui font la fête,
qui se racontent des histoires légères,
qui rotent, qui pètent, qui digèrent.

La mère lui dit « Tu devrais faire tes devoirs mon garçon ».
Alors le garçon pense à la silhouette,
assise à sa table qui ressemble à un bureau,
et qu’il n’a jamais vraiment quitté.

Arc-bouté sur ses devoirs,
il se demande pourquoi deux et deux font quatre,
et pourquoi les filles ne viennent pas, dans les yeux,
lui déclarer, qu’il est le plus formidable des garçons.

Les parents s'amusent

par Ramm77 @, vendredi 05 décembre 2014, 21:55 (il y a 3433 jours) @ Ramm77

Pas de commentaire. La chute évidemment n’est pas à prendre au 1er degrès...

Les parents s'amusent

par Claire @, vendredi 05 décembre 2014, 22:34 (il y a 3433 jours) @ Ramm77

J'ai envie d'écrire un truc intelligent sur ton style formidable. ce texte y trouverait sa place...mais ça demande du temps et de la concentration, je m'arc-boute sur ma tablette.

Les parents s'amusent

par Ramm77 @, dimanche 07 décembre 2014, 18:41 (il y a 3431 jours) @ Claire

Alors pas de truc intelligent. On s'en passera. Surtout ne pas s'arc-bouter. Ecrire dans un sommeil ouvert.

Les parents s'amusent

par Claire @, dimanche 07 décembre 2014, 19:59 (il y a 3431 jours) @ Ramm77

C'était pour rire.
Je vais aller vite : d'abord je suis frappée par ton regard sur les adultes, justement. Il y a toujours, en particulier devant le sexe un mélange d'effarement enfantin, de tendresse indulgente, de dégoût ou presque, et de fascination désirante..c'est la dernière chose qui m'intéresse le plus, parce que ça passe par des notations sensorielles très particulières, où le relief, la consistance, ont une place importante. Coment dire mieux ? ca me rappelle ce qu'on dit des autistes, chez qui une sensation peut prendre une intensité telle qu'elle "sort" en quelque sorte le sujet de la réalité, elle l'accroche. Les autistes de haut niveau qui en parlent disent : "c'est notre passion". Je ne pense pas que tu sois autiste, mais tu sais mettre le lecteur dans cet état d'attention étrange, où les contraires se mêlent : dégoût et gourmandise, peur et attirance, incompréhension et précognition.
Ce qui me frappe aussi c'est l'importance que prend ce qui manque : ce qui n'est pas dit, ce qui n'est pas vu, ce qui n'apparaît pas dans le texte ou dans la conscience de celui qui raconte.

et dernière note : c'est un monde du passé. Je ne saurais pas trop dire pourquoi, sinon que l'importance donnée aux noms de famille des adultes y participe.

voilà, sans trop réflechir, ni relire, et somnambuliquement dit.

Les parents s'amusent

par Ramm77 @, lundi 08 décembre 2014, 16:12 (il y a 3430 jours) @ Claire

J'apprécie ta précision. Des remarques que je confirme : contradiction, le manque. Et d'autres que tu m'apprends ; le rapport à l'autisme.
Je suis d'accord. Merci beaucoup pour ta clairvoyance.

Les parents s'amusent

par Claire @, lundi 08 décembre 2014, 19:10 (il y a 3430 jours) @ Ramm77

en fait cette histoire d'autisme, ça m'est venu à l'esprit parce que je viens d'en entendre parler. Mais je crois que cette sorte de "d'accrochage" à une sensation est commune à d'autres états, par exemple il me semble que c'est utilisé pour l'induction hypnotique et que ça existe aussi dans les situations traumatiques. C'est une sorte d'hyper-attention.
Ce qui est intéressant, c'est que ça va avec des particularités de la mémoire, de l'écoulement du temps...