focale (11)

par seyne, lundi 07 mai 2018, 11:31 (il y a 2178 jours)

C’est la rue d’Alésia, d’avant. Le crépi des murs, les pierres meulières de l’école communale sont encore encrassés et noirs, noirs des fumées du siècle, mais dans très peu de temps ils auront retrouvé leur couleur neuve. Ils offrent à la pluie leur sombre écrin. Les clous du passage piéton, lavés, luisent un peu. Et lui traverse avec son imperméable sur la tête. Son visage pourrait être celui d’un chapiteau sculpté, d’un homme du Moyen Age, ainsi encadré par les plis du tissu, il n’exprime rien sinon peut-être la fatigue. Plus bas, ses fortes mains. Il traverse la rue là où il traverse toujours, à l’aller et au retour de son lieu de travail (« travail de forçat » dit-il). Il y a une forme d’indifférence : ce geste d’enfant inspiré par la simple nécessité de se protéger, les vêtements un peu fripés, ordinaires, le visage.
Si tu traversais dans l’autre sens, si tu le croisais, est-ce que tu le regarderais, est-ce que tu te retournerais pour suivre des yeux sa silhouette ? Cette impression qu’il donne ici d’un être unique, un peu écrasé, qui marche sans la moindre recherche du regard d’autrui, sans la moindre gêne non plus ? Est-ce que tu l’aurais sentie sans le regard du photographe, et si tu ne connaissais pas son nom : Giacometti ?

focale (11)

par sobac @, lundi 07 mai 2018, 13:20 (il y a 2178 jours) @ seyne

une remarque me vient, en fait il faudrait toujours être à l'affut
saisir l'instant, vol de l'intimité( ou viol ) en ces périodes troublées il faut raison gardée se méfier de n'importe quel objectif

on imagine ce type qui doit râler intérieurement, temps de merde
ou alors
on subodore avec ce temps de merde je ne me risque pas dehors

quoiqu'il en soit, on vit toujours sous le coup, du temps

bien vu

focale (11)

par Périscope @, lundi 07 mai 2018, 16:10 (il y a 2178 jours) @ seyne

Là oui j'apprécie la justesse. J'ai regardé la photo de Bresson et je me disais
que tous tes mots pouvaient sortir de la photo, suinter d'elle.
C'est subjectif bien sûr, mais cette subjectivité s'impose tant elle est le résultat
d'une observation attentive, en même temps que fulgurante, saisie sur le vif.

La référence au Moyen Age est inattendue mais elle dit bien.

Evidemment Giacometti dont j'admire l'homme aussi.

Ton altérité est bonne.

Tu évoques à la fin le regard du photographe et le rapport à Giacometti par une question au lecteur-regardeur, cela brouille (mais dans le bon sens du terme)
toutes les pistes et surtout l'univoque possible...


l'attention, la patience, et même temps l'éclair de la synthèse ; c'est ce que je retiens dans ton écriture.