Putain d'artiste

par Périscope @, samedi 15 septembre 2018, 15:17 (il y a 2050 jours)

Putain d’artiste


Le jour gris tentait de filtrer par les fenêtre sales du loft. Dans son fauteuil pivotant en simili cuir noir Lemaufle n’arrêtait pas de tournoyer produisant des grincements désagréables dans le silence matinal. Il regarda le chevalet devant lui. Dessus était posée une toile d’un format conséquent. Lemaufle se leva et partit à la cuisine, il hésita avant d’ouvrir le réfrigérateur sur la porte duquel était collés des pin’s de couleurs vives où on pouvait lire en lettres tarabiscotés warszwa, poloska, fryderyka chopina… Lemaufle prit une bière et but de longues gorgées qui dégoulinaient sur son menton piqueté d’une barbe raide et clairsemée. Il revînt dans le loft, heurtant une pile de lourds livres brochés par terre qui s’écroula à son passage. Lemaufle jura découvrant sa dentition jaunâtre et irrégulière. Il tournait autour du chevalet comme un tigre autour de sa proie. Il observa le jour par la fenêtre et changea le chevalet de place pour que la lumière blafarde tombât plus directement sur la toile. Il vida la bouteille de bière et rota. Sans quitter des yeux la toile, il empoigna le téléphone au bord d’une table basse encombrée de papiers griffonnés de dessins où rien n’était reconnaissable.
Lemaufle dans le combiné parlait d’une voix rauque, qu’un sifflement pulmonaire traversait de temps à autre.
– C’est toi Citronnelle ?
Elle ne répondit pas. Lemaufle n’aimait pas les sobriquets, mais elle se faisait appeler Citronnelle, et Lemaufle avait besoin de toute urgence que Citronnelle se rendît au 27 rue du docteur Potain, qui était l’adresse où se terrait le peintre.
– Tout à l’heure avant midi, tu viens !
Il entendait la respiration de Citronnelle dans le combiné. Il en imaginait l’haleine pâteuse, Citronnelle avait l’habitude de pétuner des gros Bolivar de bon matin après son expresso. Elle finit par grommeler ;
– D’accord j’y serai, vieux schnock.
Lemaufle fit un tour à la salle de bain, changea son pyjama troué contre un velours râpé et une chemise à large carreaux qu’il avait ramenée de Toronto.
Il terminait sa troisième bière quand la sonnette émit un crépitement poussif. Citronnelle entra, elle avait un teint rougeaud et des nattes platines qui lui tombaient sur les seins. Lemaufle sans la regarder alla placer un vinyle sur l’électrophone, Time Further Out de Dave Brubeck. Il alluma un projecteur qu’il dirigea sur une petite estrade recouverte d’un drap blanc. C’était d’ailleurs la seule note de propreté et de blancheur dans le loft miteux où trainaient des bouteilles vides et des restes de repas dans des assiettes en carton. Citronnelle grimpa sur l’estrade, elle avait enlevé ses fringues. Lemaufle s’assit devant son chevalet. Puis d’un coffret en cuir il sortit un Mauser 7.65 qu’il avait pris de soin de nettoyer minutieusement.
Citronnelle cette fois-ci blêmit.
– T’énerve pas cocotte ! C’est un révolver à dix coups. Mais il ne contient qu’une seule balle. Toutes les trois minutes je tirerai un coup.
Et Lemaufle se jeta sur ses pinceaux pour croquer l’expression de Citronnelle que la trouille défigurait.
– C’est ça qui m’intéresse de peindre, la peur qui te rend bien plus belle que tes miches,
Tu piges ?
Puis il saisit le Mauser le dirigeant sur la fille. Il mit le doigt sur la gâchette, tandis que de l’autre main il éclaboussait sa toile des couleurs les plus invraisemblables. La musique cool de Dave Brubeck se répandait comme un sirop sirupeux dans le loft cradingue. Elle couvrait à peine le déclic du Mauser quand Lemaufle appuya sur la gâchette. Citronnelle poussa un cri, ce qui amusa diablement le vieux Lemaufle dans sa fièvre créatrice.
Peut-on exécuter une œuvre en trente minutes sans qu’elle soit une croûte ? Oui, voulait le penser la fille qui tremblait de toutes ses nattes sur l’estrade. Toutes les trois minutes environ Lemaufle recommençait son cirque effrayant pour faire monter la terreur sur la frimousse de son modèle. Mais la cartouche fatale se laissait attendre. Et c’était seulement le claquement sec du chien faisant tourner le barillet du révolver qu’on entendait comme une mâchoire métallique. Citronnelle en aurait fait dans sa culotte si elle en avait eu une. Sa trouille se contentait uniquement de la liquéfier sur le joli drap blanc qui n’était plus immaculé. Lemaufle était tout à la joie de son activité de barbouilleur. Mais ce fut cette joie qui le perdit. Citronnelle, profitant d’un éclair d’égarement de l’artiste maudit, sauta sur un cutter snife 25mm qu’elle avait lorgné non loin de l’estrade. Elle le brandit et s’empara de la toile sur le chevalet.
– Pose ton flingue, sinon c’est moi qui bousille ta toile !
– Fais pas la conne !
On assista alors au duel redoutable entre le cutter et le mauser. L’artiste décadent tira plusieurs coups avec son flingue, mais aucune balle ne venait. La Citronnelle était sur le point de perforer le chef-d’œuvre avec le tranchant de son cutter. Cette fois c’était la frayeur qui se lisait sur la tronche de Lemaufle.
– C’est ma vie, salope, que tu tiens entre tes mains !
– Ah !
Epuisé, Lemaufle tomba dans son fauteuil, lâchant son mauser qui fit un bruit mou en chutant sur la moquette bariolée de dégoulinures de peinture. Citronnelle remit la toile sur le chevalet. Elle alla chercher un Bolivar dans son sac à main en peau d’alligator.
– Tu as du feu ?
Lemaufle, tremblotant, s’efforça de trouver des allumettes. Assise sur le rebord de l’estrade, envoyant une bouffée épaisse de fumée dans le nez de Lemaufle, la fille dit :
– Finalement ta cartouche unique dans le flingue, c’était du cinéma ?
Il ne répondit rien. L’aiguille de l’électrophone grinçait sur le vinyle terminé. Le soleil jetait un rayon indécis dans le loft pourri.

Putain d'artiste

par seyne, mardi 18 septembre 2018, 18:00 (il y a 2047 jours) @ Périscope

Je crois comprendre ce que tu cherches dans cette histoire, derière le burlesque : une affaire de rapt, en tout cas de menace, pour faire jaillir ce qui est si soigneusement retenu : la vraie vie ; comme Hitchcock avec la douce blonde des « Oiseaux ».
Et l’histoire se renverse dans une autre menace. Qui raptera la vie de qui ? Le simulacre suffit-il ? Et le tableau, contient-il la vraie vie, l’a-t- il prise pour toujours, dans la fragilité de sa toile ?

Je pense que tu aurais intérêt à ne pas trop forcer le trait de tout ce qui signifie la laideur, la saleté, la vulgarité, la déchéance. Quand on force le trait on l’affaiblit.


Tiens, en parlant de fragilité, cette phrase de Salman Rushdie : « L’écriture est puissante, mais l’écrivain est très fragile ».

Putain d'artiste

par dh, mercredi 19 septembre 2018, 09:16 (il y a 2046 jours) @ seyne

oui, pas de poésie sans fragilité, et ça ne se décrète pas.

il faut faire avec ce qu'on a et en tirer le meilleur parti.

sinon le texte de periscope me fait vaguement penser à echenoz (je m'en vais).

Putain d'artiste

par Périscope @, vendredi 21 septembre 2018, 18:06 (il y a 2044 jours) @ dh

merci pour vos remarques

Putain d'artiste

par sobac @, vendredi 21 septembre 2018, 21:11 (il y a 2043 jours) @ Périscope

Artiste

La lumière éclaire la toile
Sa peinture alors se dévoile
L’artiste, aux mille facettes
Voyage aussi dans sa tête

Esthète des harmonies
Sa passion jamais assouvie
Il papillonne de décor en décor
Dès le début de l’aurore

Vient le moment des nuances
Précision du geste, confiance
Apparaissent les premières formes
Et les ombres conforment

La signature parachève l'ouvrage
Les émotions sur le visage
Puis l’exposition, les critiques
L’œuvre aura son destin, médiatique

L’artiste a son chevalet, assidu
Reprendra ses pinceaux, il continu
Avec ardeur, ce qui n’est pas labeur
Le sens de sa vie, quel bonheur