Texte de saison

par Périscope @, mercredi 03 avril 2019, 16:14 (il y a 1850 jours)

Texte de saison


Si l’envol noir d’une pie strie le ciel,
le soleil illumine un coin de carrelage pas encore nettoyé par la fille de ménage,
mais le nid perché là-haut dans le frêne blanc nous donne envie d’être oiseau,
car si on observe bien les pins en écoutant la mer,
les pins finiront par se balancer au rythme des vagues.
C’est ici que Judith, en petite robe à fleurs, mollets musclés et gros nœud,
désire fortement écrire une phrase avec le mot « promenade ».
Toutefois, il n’y a que le soleil couchant,
qui peut éclairer frontalement le revers d’une feuille,
parce que changer de fenêtre pour regarder le monde,
n’est pas moins difficile que de changer de maison,
surtout quand le chat de Judith éternue en secouant exagérément son corps.
Bien sûr, on revient toujours aux mêmes images parce qu’elles ne sont jamais vivantes.
La transparence d’un arbre l’hiver laisse mieux voir les nuages lointains.
Les Gueules de Loup, dans leur bac, se trémoussent au soleil.
Un cerisier en fleurs éclaire la nuit.
Des petits drapeaux qui claquent dans le vent se réjouissent d’être vus.
Une feuille de chêne tombée à terre se redresse, aidée largement par la brise.
La floraison du cerisier s’invite jusque sur la table de mon salon.
Ce n’est pas le rossignol qui chante, c’est l’arbre tout entier.
Le matin, dans le lit, on s’étire longuement pour toucher la croûte terrestre,
qu’il faudra fouler.
Un ciel nuageux aujourd’hui est incertain, même pour le croyant.
Etrangement, quand je décide que mon regard devienne poème,
les choses se mettent à gondoler de rire.
Alors pour la Fête du Printemps,
un jardinier accroche des feuilles vertes aux branches des arbres.
Pour laver les vitres, la fille s’accroupit devant,
les vitres alors baissent les yeux.
Les parents marchent sur le macadam,
mais les enfants piétinent l’herbe de la pelouse.
Judith regarde infiniment le paysage flotter entre les bourgeons.
Sur le toboggan de l’aire de jeux,
les moineaux se posent pour en faire leur perchoir.
Quelqu’un qui marche sous la pluie battante,
s’imagine être sous le soleil.
Il faut avouer que lorsque le brasier de la vie ne me consume pas,
j’allume des briquets poétiques.
Et mes obsessions deviennent ce brouillard,
où on aurait kidnappé le soleil.
Il n’y a qu’une linotte, pour siffloter ce texte de saison sans raison.
Le vent s’engouffre dans les jupes des fleurs.
Et si une fille court, ses cheveux l’accompagnent naturellement.
Sur la pelouse neigent des averses drues de pâquerettes.
Les vacanciers et les paysans n’ont pas une même opinion du soleil.
Dans le ciel crémeux, les montagnes se montrent avec leurs chapeaux pointus.
Et une jeune fougère se dresse, gaillarde, au-milieu de la rouille des anciennes.
Judith alors dessine d’un trait la forme croquignolette des Gueules de Loup,
roses et mauves sur fond de ciel bleu,
pendant que les arbres verdissent tendrement,
dans les ultimes brumes trainardes de l’hiver.

Texte de saison

par sobac @, mercredi 03 avril 2019, 18:54 (il y a 1850 jours) @ Périscope

j'ai aimé la diversité des situations, leurs réalités, leurs decors, leurs humeurs

je profite pou mettre un texte qui me semble aller

Saison

Veux-tu que je te parle de la saison en cours
Ou plutôt de celle à venir
Es-tu tourné vers le passé
Ou pense tu as l’avenir

Voilà notre condition
Faire la navette entre deux dates
Entre mélancolie et joie
Souvenirs et devenirs

J’ai toujours en moi des images
Dès que ça m’arrange, je les sors au grand air
Je peux parler alors de la mer
Ou d’un bled perdu au fin fond de l’hiver

J’aime aussi les odeurs, les rêves en couleurs
Le début d’un printemps, le merle moqueur
Les femmes aux regards de braise
Et les promesses de moments très à l’aise

Me promener au gré de mes humeurs
En parlant au goéland de la pluie et du vent
Ou écouter le chant d’un grillon
Et puis rythmer mes pas sur ceux de la cigale

Avoir envie d’une petite fringale
À l’étal du marché, provisions à profusions
Quand la foule se prélasse
D’allée en allée, d’achats non programmés

Rester assis en automne, parlé à l’autochtone
Au bretonnant amoureux de ses terres
Au pécheur aventureux, que la marée ramène
À la lande, dont les sons du biniou résonnent

Me projeter au cœur de l’été, vers ma Méditerranée
De calanque en calanque le regard émerveillé
Sur le bleu de cette mer qui m’aspire
Comme une femme qui me respire

De saison en saison, nos vies s’enrichissent
D’émotions propices à véhiculer des ressenties
Qui s’offre à nous quand on prend le temps
De se dire que la vie aime tous ces instants

Texte de saison

par Myrtille, mercredi 03 avril 2019, 19:24 (il y a 1850 jours) @ sobac

En effet la diversité des situations font que ces deux textes se lisent avec grand plaisir dans la foulée. Bel instant dans cette forme d'écho.

Texte de saison

par seyne, vendredi 12 avril 2019, 11:46 (il y a 1841 jours) @ Périscope

C'est très agréable à lire. Au delà de l'évocation printanière saisissante et joyeuse, il y a les étrangetés qui parsèment toujours tes textes et qui attirent l'esprit vers un arrière-plan plus mystérieux.
Ce que j'aime beaucoup c'est que pratiquement chaque petit tableau met en échange et en relation deux éléments qui semblent se répondre, nourrir une correspondance.

Je suis en train de lire (ce n'est pas facile) "Comment pensent les forêts ?" de Eduardo Khon, un anthropologue qui a beaucoup travaillé auprès des peuples de la forêt amazonienne. Il tente, du fait de certaines expériences personnelles vécues et de sa connaissance de la culture et du mode de vie de ces peuples, de construire une "anthropologie au-delà de l'humain".
Rien de new-age là-dedans, c'est très scientifique dans son propos. Ce que j'ai compris, c'est que nous sommes obnubilés par les signes émis par les humains - signes symboliques comme le langage, ou autres - mais que nous avons oublié à quel point nous sommes pris dans une réseau extrêmement complexe et intriqué de signes émis par tous les être vivants autour de nous. La forêt amazonienne est bien sûr un endroit très propice à ce genre de constatation.


Ton texte m'a fait penser à cela, avec l'idée qu'une partie des "signes échangés" dans ton texte le sont réellement, une autre seulement grâce à la lecture poétique de l'esprit.

Texte de saison

par Périscope @, dimanche 14 avril 2019, 11:23 (il y a 1839 jours) @ seyne

merci pour ta lecture

effectivement j'essaie souvent de créer des arrière-plans et c'est dans cette juxtaposition des différences, dans leur écart de catégories que pourrait passer un tremblement, un vacillement des certitudes...

que tu sois réceptives à cette écriture m'encourage beaucoup

tout le monde n'est pas sensible à cela, ou alors passe très vite dessus

ce que tu dis à propos des "forêts" conforte bien cette perception,
nous sommes pris dans un réseau très complexe du vivant autour de nous

il nous est difficile de nous libérer de notre anthropomorphisme

l'écriture poétique tente de frôler, laisser chuchoter ces correspondances, sortir de nous même, curieusement en y plongeant au plus loin

Le style de Saint-John Perse mêle parfois le lexique scientifique à celui du poétique...