Une chambre à soi

par art.hrite, mardi 07 mai 2019, 00:29 (il y a 1788 jours)

Une chambre à soi


Je rêve d'une science de moi-même capable de formuler d'absolus jugements de je sur je. Chambre consciente, je me sentirais mobile dans mon immobilité d'apparat, inquiète dans ce corps dérisoire et simple, assuré faussement et surtout d'allure figée, du point de vue perceptuel bien sûr. On – en moi – me dira être de pulsations, de vibrations, internes, externes. Que ces pulsations, que ces vibrations soient internes ou externes, l'essentiel est qu'on les éprouve, malgré l'imperceptibilité de mes humeurs, qui n'ont d'humeur que le mot.

Par cette science infuse, je serais rythme, maîtresse impuissante de tout ce qui me compose, de tout ce qui tremble, grince, crie : j'aurais pour moi mon âme de brique, de placoplâtre, de portant à linge, de hamac et de foutoir, la sensation de mon poids, le maintien de mon architecture frustre, la force et la misère de ma fonction : je serais, aux états d'âme de mes inquiets, de mes sereins, de mes bosseurs ou de mes dormeurs, d'une insensibilité urbaine. À la rigueur : ouverture sur autre chose que moi-même – et l'on supposera, d'une supposition mal avisée, que sont posées les limites de ma conscience où commence la conscience d'un autre lieu – fadaises. Je suis aussi la mer.

Ma science serait d'exacte sensation. Mon intériorité de pure façade. Les êtres nerveux s'écriraient en moi, ou écriraient en moi leur corps, par extension ou intension du mien, dans la plénitude meublée de mon vide, avec ou sans cette volubilité qui exciterait les nerfs et la pensée d'êtres, à eux semblables, dans d'autres chambres, à moi semblable : des lecteurs de poésie sur delivre – par exemple. Ils s'y écriraient pour être mystérieusement entendus de ces gens-là, pourvu que soit chez eux disposé la même sorte de catalyse descriptive, la même science singulière – par exemple vibratile – de chambre, le même dispositif interne dans la même disposition externe, toute faite de subjectivisme et d'animisme mal fagoté.


Note de bas de page : le « même » dispositif dans la « même » disposition, en dépit des distinctions occasionnelles, étudiées notamment par d'autres sciences humaines sur lesquelles, par respect pour le travail des confrères et consoeurs, nous ne mordrons pas dans le présent précis.

Une chambre à soi

par sobac @, mardi 07 mai 2019, 14:39 (il y a 1787 jours) @ art.hrite

une chambre avec diverses vues, improbables ou prégnantes

Une chambre à soi

par art.hrite, jeudi 09 mai 2019, 18:25 (il y a 1785 jours) @ sobac

merci d'être passé-e sobac

camera oscura

par seyne, vendredi 10 mai 2019, 19:22 (il y a 1784 jours) @ art.hrite

c'est très beau, c'est complexe au point que malgré plusieurs lectures j'ai du mal à commenter. il y a une sorte de vertige dans le jeu entre altérité et intériorité, comme un voyage d'étranger à l'intérieur de soi-même, mais aussi une forme de tranquillité…
il faut que je le lise encore.

camera oscura

par art.hrite, vendredi 10 mai 2019, 21:51 (il y a 1784 jours) @ seyne

Coucou seyne ! Très heureux de ton passage. (ça m'avait manqué de te croiser, je te lisais souvent en silence autrefois). Ce texte j'en suis content : les retours que j'ai eu s'accordent sur sa beauté (ce qui me touche !) et son incompréhensibilité, j'avoue que ça me fait sourire. Sent-on, malgré le travail réel que j'ai fait – et que tu as bien vu – sur ce jeu entre interiorité et altérité, vide et plein, individualité et multiplicité, son aspect d'ironie affectueuse? Le genre de rapport qu'entretient le poème avec l'ethos du discours de recherche universitaire ?