mouvement

par seyne, mardi 02 juillet 2019, 21:58 (il y a 1759 jours)

des rêves de ruissellements, de choses qui rebondiraient
s’écrouleraient en très petite quantité
et dont rien ne s’accumulerait
dans les creux
pleins de graviers.
des mains dont les doigts seraient repliés
sans que l’esprit le sache
pouces cachés à l’abri des paumes.
des vierges vêtues de blanc jusqu’au cou
dont la sueur doucement imbibe
de fines étoffes de coton
secrètes.
des dentelles brunes de feuilles au bord d’une poubelle malodorante.
le fantôme de l’eau pompée par les racines d’un bosquet d’arbres
en halo transparent, en nimbe de molécules au-dessus de leurs têtes vertes.
le bruit des forêts que le sirocco pénètre et remplit
tièdes et geignant un peu comme un grand corps de bétail qu’on emmène.
la brume qui cache le rebord de l’horizon, très loin, sur la mer plate.
l’été comme une éternité qu’on retrouverait.
la soif des enfants : un verre bu d’un trait
puis un demi encore – le reste jeté dans le lavabo.
une odeur de résine une odeur de terre sèche
mêlées quand on monte en haletant entre les pins.
l’odeur, l’odeur incroyable sur soir moite
quand on sort sur la terrasse au-dessus du jardin sombre.
et tout ce qui s’est décroché du temps,
tout ce qui n’existe plus que comme une fumée
tout ce qui n’aura plus jamais lieu – en été.
une branche qui s’est penchée vers l’eau
vers la mare brune traversée de lumière.
le temps penche et sa sève ralentie
commande encore quelques éclosions et mûrissements.

alors
un flux qui remonte
dans une main d’homme
sang invisible et violet, veines
sur le dos du poignet, l’éminence du pouce
appelé par la pompe du temps
encore et encore
pour tout le reste du voyage
en circuits
en arborescences
en recommencements.

et tandis que le flux remonte,
l’automne derrière la main se déplie
flux des sèves descendantes
vers les racines, l’humus noir.

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par Périscope @, mercredi 03 juillet 2019, 15:11 (il y a 1758 jours) @ seyne

quel beau texte !

aucun détail (nombreux) est ennuyeux

un inventaire fluide de sensations

il n'y a pas de narration et c'est tant mieux

un semblant de réalisme (fines observations) pour nous en libérer davantage

on touche la décomposition des matières pour mieux l'appréhender et devenir celles-ci

puis dans les 2 dernières strophes évocation de l'homme, presque tendre
mais vite mise en perspective avec le temps, son éphémère, sa mélancolie,
vers une fin pour revenir peut-être...

C'est un voyage dans l'Elément qui nous fait et défait

je prends mon billet sans retour

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par Timothée @, jeudi 04 juillet 2019, 11:40 (il y a 1757 jours) @ seyne

Ça sent une promenade assurée et intriguée dans une forêt accueillante et percée de rayons épars et diaphanes )

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par Annie, jeudi 04 juillet 2019, 19:23 (il y a 1757 jours) @ seyne

J'y lis surtout une tentative de rendre compte de la substance du temps qui passe.
Et j'adhère - Sauf aux "vierges vêtues de blanc"
c'est quoi ces fantômes-fantasmes ? les vierges existent certes, mais on ne les remarque pas davantage que les hellénistes ou les homos.

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par Annie, vendredi 05 juillet 2019, 06:13 (il y a 1756 jours) @ Annie

Je viens de comprendre (en me réveillant) d'où sortent les "vierges vêtues de blanc" : du tableau de Wistler cité dans le poème "Villanelle augmentée pour madame" de Périscope,
s'il faut chercher par là, vu le contexte, l'époque victorienne et le milieu aristocratique ou grand bourgeois, j'imagine plutôt un couple de lesbiennes.

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par Périscope @, vendredi 05 juillet 2019, 08:38 (il y a 1756 jours) @ Annie

ton explication est assez juste,
elle sous-tend mon texte (Villanelle augmentée...)

cette homosexualité pas vraiment assumée évidemment

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par seyne, vendredi 05 juillet 2019, 09:39 (il y a 1756 jours) @ Périscope

Je ne suis pas partie du tableau pour écrire le poème, disons qu'il s'est inséré dans le fil des associations. Ce qu'il y a de commun dans nos trois "interprétations" de la scène c'est quelque chose de secret du corps, qui renvoie à une sexualité dissimulée et contrainte par tout ce blanc. Que je parle de virginité et de sueur, que tu voies une servante secrètement amoureuse et une femme dans l'attente sexuelle, ou qu'Annie pense à des lesbiennes à l'ère victorienne, on est dans le même registre.

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par seyne, vendredi 05 juillet 2019, 09:54 (il y a 1756 jours) @ Annie

oui, il y a ça bien sûr, et puis les sensations de l'été, et les mouvements secrets, les fluides.
J'aime bien ces observations de jardiniers: les branches dont la sève est ralentie par une arcure ou une inclinaison (et ils le font parfois artificiellement) fleurissent et fructifient plus que les branches verticales. Et "la saison" se divise en deux parties : sève montante et sève descendante.



le point de départ était une écriture qui m'étonne toujours, et dont je ne parviens pas à "saisir" la particularité, celle de d i v.

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par 411, vendredi 05 juillet 2019, 11:47 (il y a 1756 jours) @ seyne

L'un des meilleurs textes que j'ai pu lire de toi. Tu es "dans le dur", je veux dire par là dans la matière. Dans le concret ; ça s'enracine, ça ploie, ça sèche, ça sent (l'humus, la poubelle), ça pompe, ça touche au plus profond. C'est intéressant, car je viens de commencer "Les raisins de la colère", et il y a, tout au début, une description de la nature noyée sous la poussière et le soleil. C'est très impressionnant.
Tu as ce talent de la description.
En fait, j'ai l'impression que, comme jamais, ton écriture se fait limpide, se fait serrement du cœur, du vif au minéral, des graviers à la paume. de la dentelle au lavabo, tout fait sens, d'un verre d'eau à plate à la mer plate, de l'enfance au mûrissement. Et c'est magnifiquement écrit.
Enfin bref.
Chapeau. C'est le genre de poésie que j'aime lire.

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par Florian, vendredi 05 juillet 2019, 12:12 (il y a 1756 jours) @ seyne

Il y aura toujours cette neutralité et cette absence de folie qui fait que ça ne marchera jamais. On s'ennuie et parfois ça prend. Ça part d'une description de grand mère pour parfois oui rejoindre le poétique. Mais l'émotion est légère et comme guidée par des mains anciennes, parcheminées. Tu es comme ces poètes qui n'appartiennent à aucune école que celle d'une résignation à la poésie, malgré tout.

Ça ne ressemble pas à du div. C'est différent aussi des interminables ressassements de 411 qui essaye de se trouver en vieillissant toujours un peu plus mais qui ne cherche pas lui : seulement une image d'Épinal qui lui correspond. Peut-être qu'il n'est rien au-delà de cela, tout simplement.

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par 411, vendredi 05 juillet 2019, 12:27 (il y a 1756 jours) @ Florian

Le pire, c'est que je te donne raison. Mais là encore, ça serait trop parler de moi.
Mais tu as raison.
C'est interminable.

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par seyne, vendredi 05 juillet 2019, 12:54 (il y a 1756 jours) @ 411

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par seyne, vendredi 05 juillet 2019, 12:48 (il y a 1756 jours) @ Florian

ça n'a jamais cherché à ressembler à l'écriture de d i v, c'était plutôt tenter de saisir une impression complexe née de sa lecture.
et folle je ne suis pas, et je commence à être vieille, oui, et c'est sûrement là-dessus que s'appuie ce que j'écris maintenant. on s'appuie sur ce qu'on vit.


et pour le reste, je vais répondre à tes mails, ne te laisse pas ainsi envahir par le dépit.