L'objet d'un débat houleux

par Périscope @, vendredi 29 mai 2020, 10:54 (il y a 1399 jours)

L’objet d’un débat houleux

Elle t’accompagne dans ta tristesse sans manteau consolateur, car son squelette est réduit à ce qui la charpente, mais curieusement son ossature te soutient par le bras et tes chairs molles, pleurnichardes s’affermissent pour aller sur des chemins que tu finis par considérer comme une route possible.

Elle t’ouvre un livre d’images dont on ne sait où elle le trouve, dans les caves probablement miteuses de ton histoire, les fondations de ton présent, ses images kaléidoscopiques défilent, et par une volition incontrôlée tu t’arrêtes sur certaines, serrant les poings avec un pouvoir qui te dépasse, tu les soumets à un examen où tout ce qui relève de la causalité sera scruté sans pitié. Et le plus navrant est que ces images embrasent un foyer de joie ou de colère qui te plonge dans une excitation créatrice.

Elle forme un empire de questions auquel tu crois d’abord allègrement répondre à l’aide de tes armes habituels, celles fournies par les embrigadements successifs de ton éducation, un dressage de bienséances où prêtres, chefs, penseurs pilotaient orgueilleusement leur quadrige, mais après une longue nuit de rumination, à l’aube poisseuse, tu revisites ces réponses de la veille, une boule de plomb te tuméfie le larynx, et tu t’aperçois que c’est seulement par une armada de nouvelles réponses que tu pourras reprendre souffle. Puis un jour tu parviens à quitter l’empire des questions, tu marches enfin dans des luzernes fraîches.

Elle peut te sauver à la condition que le temps soit clair, que les nuages ne coiffent plus ta tête, leur évolution les chassant vers d’autres tribus qui devront se libérer de la torpeur du soleil pour se résigner au ciel bas, mais toi assoiffé de paix, tu l’acceptes, elle qui te sauve, pour sa limpidité, son assurance, elle devient ta passerelle, tu ne lâcheras pas la rambarde tant qu’un gouffre nouveau ne stoppera pas ta course. Tu ne peux plus te dissocier d’elle, pour le meilleur et pour le pire qui se confondent dans une marmite abstraite et sans saveur. Elle te persuade que loin d’elle aucun motif ne peut nourrir le feu ou la mécanique de tes gestes. Elle est ton charbon, celui de la préhistoire, mais toujours celui des locomotives dont chaque wagon de toi-même si compartimenté est relié à elle, l’entité motrice sous le ciel bleu.

Elle est surprenante. Là où tu envisageais de parcourir une plaine morne, elle dresse des châteaux à l’huis desquels il te faut frapper, il te faut en examiner les appartements, les alcôves inquiétantes ou les lambris somptueux, pousser les portes dérobées, supposer d’inimaginables trésors, et quand l’incursion semble terminée et que la plaine grise encore s’offre à ta vue, c’est dans de rafraîchissants et spongieux terrains que tes genoux vont disparaître, dans la surface moirée des eaux dormantes sous les lentilles vertes, où navigue un royaume fourmillant de crapauds, de serpents, herbes suceuses et insectes aux larves collantes, on ne sait où le pied s’enfonce et faut que la vase puante s’arrête au menton pour jouir enfin de la parfaite connaissance des abysses, monde fluide et indéterminé qui récompense le promeneur. Oui, elle est surprenante, celle qu’on ne soupçonne pas.

Elle endosse tous les masques, les plus souriants, les plus divertissants avec leur musique de fanfare, leurs costumes qu’on prend pour des sirènes nues, elle a des mines timides aux paupières baissées, à la bouche tombante, aux mains dissimulées dans son tablier d’écolière, elle mime le jeu de la souffrance, ses halètements, ses cris de victimes battues, son agonie aux derniers soupirs toujours renaissant, elle a des écrans autour d’elle qui vous reflètent, qu’il faut percer pour espérer un zeste de vérité. Elle danse comme une marionnette dans les rues avec ses grelots énervant, une bosse dans le dos qu’on caresse pour avoir droit au rictus édenté sous son maquillage de farine.

Elle se couche en dehors de toi dans des lits blancs qui ne sont plus vierges dès qu’elle s’y contorsionne avec le concours d’instruments oblongues par lesquels coule sa sueur si noire d’avoir tant remuer de substances dans sa boîte, elle se couche en volume, s’étale, on la tourne et la retourne mille fois pour toujours mieux voir de quoi elle retourne, elle ne vieillit pas à être ainsi entretenue, elle remplit murs et maisons et par les yeux et la voix des hommes elle renouvelle ses contorsions, invente d’autres figures jusqu’au jour où la pierre, les bois, les rivières, les océans, le ciel, les planètes obligent celle qui se couche dans les lits blancs à ne plus se relever, à s’étendre modeste et attentive devant ce qui la contient et la crée et qu’elle ne peut comprendre, elle enlève ses voiles, palimpseste dont l’origine est impensée, elle se propage sans limite, brume phosphorescente sur les vergers en fleurs de l’homo sapiens, elle ne peut être nommée car elle porte tous les noms et le moindre nom enflammerait le débat, une houle dont elle ne peut plus se priver.

L'objet d'un débat houleux

par sobac @, vendredi 29 mai 2020, 13:00 (il y a 1399 jours) @ Périscope

alors le débat enfle , vitupère, se déchaine , qui est celle la ou celle ci
les suppositions vont bon train, au premières loges la fleuriste flirte avec ses roses pour donner un nom, mais apparemment ce n'est pas le bon,
le commis-voyageur , celui qui n'est pas mort prétend savoir par ouï-dire, mais les dires ne sont que rumeurs approximatives
une piste sérieuse d'après un ancien de la coloniale, un homme rompu à la torture qui ne fait pas de demi mesures si d'aventure vous mettez en doute sa probité , hélas il n'en n'ait rien , choux-blanc évidemment
reste le bedeau un être vouté, au regard absent, qui ne dit mot consent

L'objet d'un débat houleux

par seyne, samedi 30 mai 2020, 12:05 (il y a 1398 jours) @ Périscope

passionnant...j'ai envie de la nommer quand même, comme on pose une question à un texte : "pensée"
(la vraie, celle dont la recherche nous engage tout entier et nous fait vivre dans l'échange)

L'objet d'un débat houleux

par Florian, lundi 01 juin 2020, 20:54 (il y a 1396 jours) @ seyne

Ne serait ce pas plutôt l'aimee, le désir de se fondre, ce qui nous taraude. Je pensais que le premier des empêchements à ce désir de liquéfaction était le corps lui-même, la masse osseuse et musculaire et surtout les organes isolés qui pourtant nous rendent possible l'existence du désir.

L'objet d'un débat houleux

par seyne, mardi 02 juin 2020, 10:15 (il y a 1395 jours) @ Florian

oui, mais je ne crois pas que la pensée, telle qu'elle est évoquée dans le poème, nous taraude...au contraire peut-être, elle nous met en mouvement.

L'objet d'un débat houleux

par Florian, mardi 02 juin 2020, 11:21 (il y a 1395 jours) @ seyne

Non c'est un mouvement, tel qu'il est décrit qui ne peut se mouvoir sans quelque entraves et quelques épreuves et d'ailleurs c'est à ce prix qu'il peut être vraiment libre, ponctuellement ou pas.

Tu as mal compris. D'ailleurs taraude n'était qu'un des éléments de la phrase.

Mais il faut que je relise ce texte.

L'objet d'un débat houleux

par Florian, mardi 02 juin 2020, 11:32 (il y a 1395 jours) @ Florian

Pour tout dire j'ai fait un fameux contre sens à la lecture en état d'ivresse, mais je ne regrette pas.

En effet il s'agirait bien de la pensée à la seconde lecture, hélas plus claire que la première.

L'objet d'un débat houleux

par seyne, samedi 30 mai 2020, 12:11 (il y a 1398 jours) @ Périscope

je ne sais pas si tu cherches parfois à faire éditer ce que tu écris...je viens de terminer la lecture des textes envoyés pour le prochain numéro de TESTE, la revue à laquelle je participe. Je te donne le mail : contactparoledauteur@laposte.

(c'est pour tout le monde l'invitation, sans dire que c'est de ma part, j'aime autant.)

L'objet d'un débat houleux

par Périscope @, samedi 30 mai 2020, 18:43 (il y a 1398 jours) @ seyne

Oui Seyne tu as trouvé ! "la pensée".
C'est ce seul mot qui m'a guidé pour écrire ce texte ; comment la visualiser, l'imager,la rendre sensorielle etc... de l'abstrait faire du concret.

Tu es une super lectrice.

Je note aussi l'adresse mail de la revue TESTE.
Merci, on ne sait jamais.

L'objet d'un débat houleux

par sobac @, dimanche 31 mai 2020, 14:03 (il y a 1397 jours) @ Périscope

si ma pensée m'échappe, mon temps me rattrape
si elle me happe, mon temps m'handicape
quand ma pensée vadrouille, mon temps ne rouille
quand elle zigouille, mon temps patrouille
lorsque ma pensée s'égare, mon temps se marre
lorsqu'elle est phare, mon temps dare-dare
parfois ma pensée s'évade , mon temps au rade
parfois elle est ruade, mon temps galéjade
encore une pensée nouvelle, mon temps m'interpelle
encore une éternelle, mon temps se rappelle
dés fois ma pensée hésite, mon temps périclite
dés fois elle me plébiscite, mon temps dicte
alors ma pensée virevolte et mon temps désinvolte
alors elle récolte, et mon temps ne se révolte

L'objet d'un débat houleux

par Périscope @, lundi 01 juin 2020, 09:15 (il y a 1396 jours) @ sobac

Sobac, combien de secondes de lecture pour combien d'heures d'écriture ?

Des machines qui vomissent aux kilomètres des mots, banalisant l'acte d'écrire



je n'ai pas compris le sens de ton commentaire par rapport à mon texte

L'objet d'un débat houleux

par sobac @, lundi 01 juin 2020, 10:22 (il y a 1396 jours) @ Périscope

tu parlais de la pensée
j'avais écris cela sur le sujet voila
après ta réflexion je la trouve déplacée, à la limité mèchante

L'objet d'un débat houleux

par seyne, mardi 02 juin 2020, 12:56 (il y a 1395 jours) @ Périscope

J’ai trouvé une autre réponse à ta devinette, qui va bien aussi : « la réalité ».
Qu’en penses-tu ?

L'objet d'un débat houleux

par Périscope @, mardi 02 juin 2020, 15:57 (il y a 1395 jours) @ seyne

Que tu penses au mot "réalité" ne me surprend pas,
car finalement j'ai essayé de matérialiser, mettre en situation, en sensations,
en action le mot abstrait "pensée",

ma quête sûrement ayant été de rendre présente, tangible la pensée et ses effets

mais en vérité je n'ai jamais pensé au mot "réalité"
il est seulement en résonnance involontaire et en ce sens tu as raison

réalité/pensée ; voilà un tandem incontournable

L'objet d'un débat houleux

par seyne, mardi 02 juin 2020, 16:02 (il y a 1395 jours) @ Périscope

oui, je leur trouve deux qualités communes : leur allure de « maîtresse sévère » et leur fécondité.

L'objet d'un débat houleux

par Florian, vendredi 05 juin 2020, 19:54 (il y a 1392 jours) @ seyne

Ce n'est que dans le cadre d'un arrêt dans le temps et donc de création que la réalité devient sévère. Le principe même de réalité est qu'il est dans l'ordre des choses. Mais en faire quelque chose, voilà qui peut être contraignant.