MUSIQUE !

par Périscope @, vendredi 21 août 2020, 09:20 (il y a 1341 jours)

Ils ont emmanché des caisses sur des poteaux et les rangées de crânes chauves font comme des oignons à fleurs, les caisses sont les enceintes.
Tout le monde attend, quelque part s’étiole une fumerole bleue de cigarette entre des ongles vernis.
Entre les enceintes, des enceintes sortira le pourquoi on est venu
Les hommes en noir un badge au cou circulent, entre les rangs, imposent du vide entre les chaises.
Les crânes chauves discutent avec les femmes, bavardent avec les femmes, entre les femmes et les crânes chauves d’une chaise à l’autre, les hommes en noirs surveillent le vide réglementaire entre les crânes chauves et les femmes, et des enceintes en l’air emmanchées sur leur poteau c’est d’elles que viendra…
Le ciel est beau.
Le capitaine arrive. Il s’assied aux manettes. Casquette de travers, barbe fournie. Si le capitaine est là le voyage commence. Une effluve de Guerlain flotte entre les rangs. Les hommes en noir ne peuvent rien contre les effluves de Guerlain.
Un crâne chauve raconte qu’une forêt quelque part flambe,
au piano il s’assied, du violoncelle s’exhale un air, pianissimo, le capitaine ajuste ses curseurs, une blonde platine règle son objectif, le crâne chauve ne parle plus de forêt, un cousin se détache du feuillage sombre des chênes, au doigt du violoncelliste étincelle un cabochon clinquant, la blonde platine zoome sur le cabochon, non les cousins ne sont pas des moustiques, ils nagent dans l’espace avec leurs longues pattes, les enceintes diffusent, les ventres des crânes chauves s’avachissent dans leur chaise, poussifs, pensifs, absorbant ce que diffusent les enceintes, propagent
La façade du château est éclairé, un rideau mal fichu a été accroché devant la porte centrale, derrière le rideau une faible lumière fuse, mal éteinte, mais fusant comme un lait qui déborde de sa casserole, un lait de lumière.
Je te regarde ton chemisier cyan se confronte à la pénombre, d’autres les pinglots dans leurs escarpins en croco se relâchent
Et voilà qu’une loupiote clignote au premier étage, s’allume s’éteint s’allume s’éteint, les virtuoses au rez-de-chaussée se déchaînent, tout le monde subit le clignotement, sauf eux la tête dans la musique, derrière la fenêtre des ombres, non pas des ombres
Chopin, à une corniche de la façade Dvorak, Chostakovitch se contente de raser les murs, et Ravel, Ravel l’enfant du pays souffle des boulettes dans sa sarbacane et les crânes ne sont plus chauves et les enceintes se libèrent et les ventres sur les chaises durcissent les abdos et le cabochon n’est plus clinquant mais authentique et les effluves de Guerlain se transforment en émanation de pensées et le capitaine ne touche plus à ses curseurs il laisse courir et le rideau n’est plus mal fichu mais émouvant dans son piètre accrochage et la blonde platine est partie car plus rien n’est photographiable et les hommes en noir ont retiré leur badge pour se fondre un moment dans le miracle et le cousin entame sa chorégraphie des grands soirs au-dessus des chevelures gonflantes des chapeaux d’été ou des bérets d’Euskadi et un canadair vole dans le ciel et les nuages se noircissent mais ce n’est pas l’orage les artistes ne regardent jamais le ciel mais leurs doigts et la loupiote du premier étage ne clignote plus et la façade est lisse malgré ses encorbellements et ses chiens assis sur le toit et George Sand défait ses longs cheveux qui recouvrent les mains de Chopin et une sirène de pompier traverse l’air à toute allure et les gouttes d’eau ne tombent pas des nuages à moins que ce ne soit un pissat chaud d’hirondelle
Quand l’acmé fut atteint ils se levèrent se prirent par la main et saluèrent des salves bondissant de la foule crièrent que cela ne devait pas finir et alors recommença trois fois l’enchantement
Fumée d’une proche forêt se répand, ciel rougit quelque part, étincelles de braise papillonnent, les pinglots sur l’herbe cherchent leurs escarpins, les hommes redeviennent ombre, le capitaine jette une house sur ses curseurs, les femmes s’agrippent à leur crâne préféré redevenu chauve, les pavés du chemin conduisent aux carrosses
Le ciel est toujours mauve.
Tes yeux sont encore enlarmés de musique,
un cousin se pose sur mon épaule,
il voudrait me dire quelque chose
la forêt de Chiberta est en feu

MUSIQUE !

par sobac @, vendredi 21 août 2020, 10:16 (il y a 1341 jours) @ Périscope

la musique , Euterpe t'inspire pour ce récit dont l'effluve de Guerlain nous transporte dans des lieux à forte connotation attractive

MUSIQUE !

par 411, vendredi 21 août 2020, 12:16 (il y a 1341 jours) @ sobac

Je ne comprends pas. Je ne comprends plus. C'est délicieux, c'est un grand poème qui vient de ravager une partie de moi.
Je suis halluciné.
Déjà les répétitions j'adore ça, mais aussi la musique justement, la mâche, y'a de quoi grailler là-dedans. Il y'a des accélérations, des cassures de rythme, des moments de grâce... C'est long mais pas dilué, c'est sirupeux, la tension reste du début à la fin, on lâche pas, on tient, c'est beau, ça sait garder le mystère mais aussi proposer des images, des crânes, du Guerlain, des clignotements, des abdos et des cabochons...
Bref.
On ne comprend pas mais c'est clair comme de l'eau de roche. C'est de la poésie.

MUSIQUE !

par Périscope @, samedi 22 août 2020, 10:38 (il y a 1340 jours) @ 411

Ecrire devrait faire l'effet d'un accélérateur de particules

merci pour ton message

MUSIQUE !

par 411, samedi 22 août 2020, 12:08 (il y a 1340 jours) @ Périscope

Franchement continue. Tu tiens un truc. Surprends-toi.

MUSIQUE !

par Périscope @, lundi 24 août 2020, 09:47 (il y a 1338 jours) @ 411

attention au risque du système, le piège

un sujet doit-il à chaque fois trouver sa forme ?

comment associer sensibilité et technique ? la technique peut se suffire à elle-même,
tristement,
mais la sensibilité passe par une technique pour s'extérioriser, se formaliser

"se surprendre soi-même" oui tu as raison,
faire oublier tout l'acquis en nous
la conscience du niais mais qui doit s'abstraire de son nid d'éducation (ou d'élevage)