Petit manuel d'infanticide par congélation à l'usage des jeunes filles

par Simone Kutukdjian, mercredi 29 juillet 2015, 21:08 (il y a 3407 jours)

L’infanticide souffre aujourd’hui, chez beaucoup, d’un discrédit que rien ne justifie.
L’infanticide est, en effet, grâce aux inventions modernes, bien moins pénibles qu’autrefois. L’eau courante, le gaz, puis l’électricité et ses multiples applications sont pour la maîtresse de maison d’efficaces auxiliaires accidentogènes, et les joies qu’elle trouve dans le crime la paie avec usure du mal qu’elle s’y donne.
L’infanticide, loin d’entacher d’infériorité l’amour maternel, exige une somme de dévouement qui doit le placer très haut dans l’estime de tous. Quelles que soient ses pulsions, une femme peut faire plus, elle ne peut faire mieux qu’acheter de façon prévisionnelle un congélateur qui lui promettrait de faire cohabiter sans heurt nourriture et progéniture.
Par son savoir-faire, une bonne mère infanticide peut d’ailleurs engendrer de réelles économies pour le foyer. N’allez pas sacrifier le vrai bonheur à la rechercher de jouissance que la compagnie d’un enfant vivant rend désirable.
Mais si les circonstances de la vie ne vous permettent pas d’être fécondée et de commettre un infanticide, s’il vous ne est pas donné de fonder un foyer, n’aller pas regretter et croire inutile la peine que vous aurez prise, les efforts que vous aurez faits pour acquérir ou développer les connaissances, les qualités et les vertus nécessaires à la mère infanticide. Vous saurez en faire profiter d’autres et contribuerez ainsi, pour une part humble, mais réelle, au bonheur et à la sauvegarde de l’humanité.
Voilà, direz-vous, de biens grands mots alors que, dans la pratique, il semble agir seulement de bien remplir une tâche que l’on a coutume de trouver grossière ! Mais la grandeur d’un meurtre dépend surtout de son but, de la conscience et du goût avec lesquels il est fait. Sans les humbles racines, la fleur ne s’ouvrirait pas ; sans vos humbles travaux, le bonheur ne saurait s’épanouir à votre foyer.
C’est à ce bonheur que vous consacrerez la première partie de votre mariage : ainsi l’étude que vous allez maintenant entreprendre sera vraiment pour vous, et dans le sens le plus vrai et le plus noble du terme, l’apprentissage de la joie dans le crime.
Préparez les choses à l’avance est la première des étapes, c’est une façon de faire savoir à l’enfant que vous avez pensé à lui et vous souciez de ses besoins.
Retouchez votre maquillage, mettez un ruban dans vos cheveux et soyez fraîche et avenante. Soyez enjouée, la venue d’un enfant au monde nécessite de la gaîté et c’est un de vos devoirs de mère de faire en sorte que la joie soit présente.
Rangez le désordre, faites un dernier tour des principales pièces de la maison juste avant de procéder au dépôt du corps dans le congélateur. Rassemblez les livres et les revues, les papiers, les ustensiles… et passez ensuite un coup de chiffon à poussière sur les tables. L'ordre permet toujours de clarifier ses idées.
Rangez de même les compartiments du congélateur. Faites en sorte que le nouveau-né soit entouré de produits adéquats, préférez les sachets aux boites pour leur malléabilité. Votre enfant aura le sentiment d’avoir atteint un havre de repos et d’ordre et cela vous rendra également heureuse. En définitive, veillez à son confort vous procurera une grande satisfaction personnelle.
Réduisez tous les bruits au minimum. Au moment de la mise en place du bébé, éliminez tout bruit de machine à laver, séchoir à linge ou aspirateur. Soyez heureuse de rendre votre enfant éternel. Accueillez son repos avec un chaleureux sourire et montrez de la sincérité dans votre désir de lui faire comprendre son sort.
Écoutez-le : un enfant qui vient de naître, plongé de façon brutal dans un bac à glace, nu de surcroît, fait du bruit. Il se peut que vous ayez imaginé, durant votre grossesse, des mots que vous pensiez devoir lui dire avant cet « enterrement glacé » auquel vous êtes en train de procéder, mais ce n’est pas le moment opportun. Laissez-le crier d’abord, souvenez-vous que ces pleurs et ses gémissements sont plus importants que les vôtres. Faites-en sorte que ce moment lui appartienne.
Ne procédez pas à cet infanticide dans la plainte, ne vous plaignez pas, considérez cela comme mineur comparé à ce qu’aurait été la labeur d’élever cet enfant. Parlez d’une voix douce et apaisante.
Si votre mari se propose de vous aider, déclinez son offre car il risquerait de se sentir obligé de la répéter par la suite et après une longue journée de travail, il n’a nul besoin de travail supplémentaire.
Encouragez plutôt votre mari à se livrer à ses passe-temps favoris à et se consacrer à ses centres d’intérêt et montrez-vous intéressée sans toutefois donner l’impression d’empiéter sur son domaine. Si l’infanticide devient l’un de vos passe-temps, faites en sorte de ne pas l’ennuyer en lui parlant, car l’infanticide, malheureusement, est un centre d’intérêt trop souvent considéré comme insignifiants comparés à ceux des hommes.
Une fois l’acte accompli, fermez la porte pour camoufler les cris de l’enfant, détendez-vous dans une chaise confortable ou allez vous étendre dans la chambre à coucher. Préparez vous, de façon préalable, une boisson fraîche ou chaude. Arrangez vos oreillers et pensez à enlever vos chaussures.
Si l’acte se situe en fin de soirée, pensez à préparer le petit déjeuner à l’avance, cela afin d’occuper votre esprit et de faire votre deuil. La préparation du petit déjeuner vous permettra de vous projeter dans l’avenir et représentera, de façon symbolique, la nécessité de faire face au monde extérieur de manière positive. Une fois que votre mari et vous vous êtes retirés dans la chambre à coucher, préparez-vous à vous mettre lit aussi promptement que possible, après vous être douchée.
Bien que l’hygiène qui suit un crime soit d’une grande importance, votre mari fatigué ne saurait faire la queue devant la salle de bain, comme il aurait à le faire pour chercher un sac de frites entre deux bébés congelés. Cependant, assurez-vous d’être à votre meilleur avantage en allant vous coucher. La période de deuil inhérente à l’infanticide par congélation vous impose en effet d’être avenante sans être aguicheuse.
Si une quelconque trace de sang est présente sur votre corps ou vos vêtements, nettoyez-vous loin du regard de votre mari, car cela pourrait le choquer de s’endormir sur un tel spectacle.
En ce qui concerne les relations intimes avec votre mari. Il est important de vous rappeler qu’un accouchement – quel que soit son déroulement, ce guide s’évertuant seulement à évoquer la question de la congélation – peut rendre la sexualité délicate. Mais les vœux de mariage doivent également être respectés : vous avez l’obligation d’obéir à votre mari. S’il estime qu’il a besoin de dormir immédiatement, qu’il en soit ainsi. En toute chose, soyez guidée par les désirs de votre mari et ne faîtes en aucune façon pression sur lui pour retrouver votre statut de femme après avoir perdu celui de mère.
Si votre mari suggère l’accouplement, acceptez alors avec humilité tout en gardant à l’esprit que ce coït peut être l’occasion d’un nouvel infanticide à venir. Lorsque votre époux atteint l’orgasme, un petit gémissement de votre part l’encouragera et sera tout à fait suffisant pour indiquer toute forme de plaisir que vous ayez pu avoir et que vous ressentez à l’idée d’une hypothétique grossesse à venir.
De plus, si votre mari suggère une quelconque des pratiques moins courantes, montrez-vous obéissante et résignée, sans indiquez votre éventuel manque d’enthousiasme en gardant le silence ou en protestant. Cela pourrait contrarier votre conjoint pour les rapports à venir et ce n’est pas dans votre intérêt.
Il est probable que votre mari s’endorme rapidement ; ajustez vos vêtements, rafraîchissez-vous.
Vous avez maintenant d’autres choses à penser qu’à un peu de moisissure sur un nouveau-né.

L'unanimité moins quelques uns

par Ecrire, jeudi 30 juillet 2015, 12:49 (il y a 3406 jours) @ Simone Kutukdjian

Ce texte n'est pas mal écrit. Simplement, il véhicule quelque chose de pesant. Ce n'est pas tant le thème traité (la morale et la littérature ne sont pas en ménage), que le côté insistant de l'argument, qui finit par susciter un malaise.

Malaise qui pourrait être voulu par l'auteur, mais produit son effet de sorte (et pourtant, le manuel est short), qu'il dissuade le lecteur d'aller jusqu'à la conclusion.

Voilà. Postez d'autres textes, qui sait, ils feront peut être des petits :-)

L'unanimité moins quelques uns

par E-manuelle, jeudi 30 juillet 2015, 13:42 (il y a 3406 jours) @ Ecrire

j'ai l'impression de retrouver un texte que j'ai déjà lu, des recommandations à l'usage des jeunes épousés, transformé un peu maladroitement autour de l'infanticide... Il faudrait le travailler un peu plus je crois pour qu'il soit plus succulent.

L'unanimité moins quelques uns

par Ecrire, jeudi 30 juillet 2015, 14:00 (il y a 3406 jours) @ E-manuelle

"pour qu'il soit plus succulent"

En effet. Et votre remarque m'évoque le vague souvenir d'un écrit portant sur l'art de "cuisiner les bébés".

L'unanimité moins quelques uns

par Simone Kutukdjian, jeudi 30 juillet 2015, 15:16 (il y a 3406 jours) @ Ecrire

Que vous ayez ressenti un malaise au fil de votre lecture, cela me comble de joie. J'entends par là que j'aime l'idée d'un entre-deux : j'ai cherché à faire sourire par endroit tout en maintenant une sorte d'ambivalence quant à mes intentions. Ce texte est effectivement inspiré de manuels destinés à l'éducation des jeunes filles (d'où son titre, qui ne masque pas la référence). C'est, il me semble, et même si cela peut paraître vain, un exercice de style. Quant à la morale, effectivement, je pense qu'on peut la laisser reposer dans le congélateur, entre deux nouveaux-nés et les brocolis que votre femme a surement acheté dimanche dernier, lors des courses hebdomadaires à Picard.
Merci pour votre lecture.
Bien en vous.
Simone.

L'unanimité moins quelques uns

par Ecrire, jeudi 30 juillet 2015, 16:48 (il y a 3406 jours) @ Simone Kutukdjian

"Que vous ayez ressenti un malaise au fil de votre lecture, cela me comble de joie."

Oui. Je ne voulais pas vous priver de ce plaisir, manifestement recherché :-)

Jonathan Swift : a modest proposal (1729)

par casimir, vendredi 31 juillet 2015, 02:23 (il y a 3406 jours) @ Simone Kutukdjian

POUR EMPÊCHER LES ENFANTS DES PAUVRES EN IRLANDE D’ÊTRE À CHARGE À LEURS PARENTS ET À LEUR PAYS ET POUR LES RENDRE UTILES AU PUBLIC

C’est une triste chose pour ceux qui se promènent dans cette grande ville ou voyagent dans la campagne, que de voir les rues, les routes et les portes des cabanes encombrées de mendiantes que suivent trois, quatre ou six enfants tous en haillons et importunant chaque passant pour avoir l’aumône. Ces mères, au lieu d’être en état de travailler pour gagner honnêtement leur vie, sont forcées de passer tout leur temps à mendier de quoi nourrir leurs malheureux enfants, qui, lorsqu’ils grandissent, deviennent voleurs faute d’ouvrage, ou quittent leur cher pays natal pour s’enrôler au service du prétendant en Espagne, ou se vendent aux Barbades.

Tous les partis tombent d’accord, je pense, que ce nombre prodigieux d’enfants sur les bras, sur le dos ou sur les talons de leurs mères, et souvent de leurs pères, est, dans le déplorable état de ce royaume, un très-grand fardeau de plus ; c’est pourquoi quiconque trouverait un moyen honnête, économique et facile de faire de ces enfants des membres sains et utiles de la communauté, aurait assez bien mérité du public pour qu’on lui érigeât une statue comme sauveur de la nation.

Mais ma sollicitude est loin de se borner aux enfants des mendiants de profession ; elle s’étend beaucoup plus loin, et jusque sur tous les enfants d’un certain âge, qui sont nés de parents aussi peu en état réellement de pourvoir à leurs besoins que ceux qui demandent la charité dans les rues.

Pour ma part, ayant tourné mes pensées depuis bien des années sur cet important sujet, et mûrement pesé les propositions de nos faiseurs de projets, je les ai toujours vus tomber dans des erreurs grossières de calcul. Il est vrai qu’un enfant dont la mère vient d’accoucher peut vivre de son lait pendant une année solaire, avec peu d’autre nourriture, la valeur de deux shillings au plus que la mère peut certainement se procurer, ou l’équivalent en rogatons, dans son légitime métier de mendiante ; et c’est précisément lorsque les enfants sont âgés d’un an que je propose de prendre à leur égard des mesures telles qu’au lieu d’être une charge pour leurs parents ou pour la paroisse, ou de manquer d’aliments et de vêtements le reste de leur vie, ils contribuent, au contraire, à nourrir et en partie à vêtir des milliers de personnes.

Un autre grand avantage de mon projet, c’est qu’il préviendra ces avortements volontaires et cette horrible habitude qu’ont les femmes de tuer leurs bâtards, habitude trop commune, hélas ! parmi nous ; ces sacrifices de pauvres petits innocents (pour éviter la dépense plutôt que la honte, je soupçonne), qui arracheraient des larmes de compassion au cœur le plus inhumain, le plus barbare.

La population de ce royaume étant évaluée d’ordinaire à un million et demi, je calcule que sur ce chiffre il peut y avoir environ deux cent mille couples dont les femmes sont fécondes ; de ce nombre je soustrais trente mille couples, qui sont en état de pourvoir à la subsistance de leurs enfants (quoique je ne pense pas qu’il y en ait autant, dans l’état de détresse où est ce royaume) ; mais en admettant ceci, il restera cent soixante-dix mille femmes fécondes. Je soustrais encore cinquante mille pour les fausses couches ou pour les enfants qui meurent d’accident ou de maladie dans l’année. Restent par an cent vingt mille enfants qui naissent de parents pauvres. La question est donc : Comment élever cette multitude d’enfants et pourvoir à leur sort ? Ce qui, comme je l’ai déjà dit, dans l’état présent des affaires, est complètement impossible par les méthodes proposées jusqu’ici. Car nous ne pouvons les employer ni comme artisans ni comme agriculteurs. Nous ne bâtissons pas de maisons (à la campagne, j’entends), et nous ne cultivons pas la terre ; il est fort rare qu’ils puissent vivre de vol avant l’âge de six ans, à moins de dispositions toutes particulières, quoique j’avoue qu’ils en apprennent les rudiments beaucoup plus tôt, durant lequel temps ils peuvent, néanmoins, à proprement parler, être considérés comme de simples aspirants ; ainsi que me l’a expliqué un des principaux habitants du comté de Cavan, qui m’a protesté qu’il n’avait jamais rencontré plus d’un ou deux cas au-dessous de six ans, même dans une partie du royaume si renommée pour sa précocité dans cet art.

Nos négociants m’ont assuré qu’avant douze ans un garçon ou une fille n’est pas du tout de défaite ; et même à cet âge ils ne valent pas plus de trois livres, ou tout au plus trois livres et une demi couronne, à la Bourse, ce qui ne saurait indemniser les parents ni le royaume, les frais de nourriture et de guenilles valant au moins quatre fois autant.

Je proposerai donc humblement mes propres idées qui, je l’espère, ne soulèveront pas la moindre objection.

Un jeune américain de ma connaissance, homme très-entendu, m’a certifié à Londres qu’un jeune enfant bien sain, bien nourri, est, à l’âge d’un an, un aliment délicieux, très-nourrissant et très-sain, bouilli, rôti, à l’étuvée ou au four, et je ne mets pas en doute qu’il ne puisse également servir en fricassée ou en ragoût.

J’expose donc humblement à la considération du public que des cent vingt mille enfants dont le calcul a été fait, vingt mille peuvent être réservés pour la reproduction de l’espèce, dont seulement un quart de mâles, ce qui est plus qu’on ne réserve pour les moutons, le gros bétail et les porcs ; et ma raison est que ces enfants sont rarement le fruit du mariage, circonstance à laquelle nos sauvages font peu d’attention, c’est pourquoi un mâle suffira au service de quatre femelles ; que les cent mille restant peuvent, à l’âge d’un an, être offerts en vente aux personnes de qualité et de fortune dans tout le royaume, en avertissant toujours la mère de les allaiter copieusement dans le dernier mois, de façon à les rendre dodus et gras pour une bonne table. Un enfant fera deux plats dans un repas d’amis ; et quand la famille dîne seule, le train de devant ou de derrière fera un plat raisonnable, et assaisonné avec un peu de poivre et de sel, sera très-bon bouilli le quatrième jour, spécialement en hiver.

J’ai fait le calcul qu’en moyenne un enfant qui vient de naître pèse vingt livres, et que dans l’année solaire, s’il est passablement nourri, il ira à vingt-huit.

J’accorde que cet aliment sera un peu cher, et par conséquent il conviendra très-bien aux propriétaires, qui, puisqu’ils ont déjà dévoré la plupart des pères, paraissent avoir le plus de droits sur les enfants.

La chair des enfants sera de saison toute l’année, mais plus abondante en mars, et un peu avant et après, car il est dit par un grave auteur, un éminent médecin français, que, le poisson étant une nourriture prolifique, il naît plus d’enfants dans les pays catholiques romains environ neuf mois après le carême qu’à toute autre époque : c’est pourquoi, en comptant une année après le carême, les marchés seront mieux fournis encore que d’habitude, parce que le nombre des enfants papistes est au moins de trois contre un dans ce royaume ; cela aura donc un autre avantage, celui de diminuer le nombre des papistes parmi nous.

J’ai déjà calculé que les frais de nourriture d’un enfant de mendiant (et je fais entrer dans cette liste tous les cottagers, les journaliers et les quatre cinquièmes des fermiers), étaient d’environ deux shillings par an, guenilles comprises ; et je crois qu’aucun gentleman ne se plaindra de donner dix shillings pour le corps d’un enfant bien gras, qui, comme j’ai dit, fera quatre plats d’excellente viande nutritive, lorsqu’il n’aura que quelque ami particulier ou son propre ménage à dîner avec lui. Le squire apprendra ainsi à être un bon propriétaire, et deviendra populaire parmi ses tenanciers ; la mère aura huit shillings de profit net, et sera en état de travailler jusqu’à ce qu’elle produise un autre enfant.

Ceux qui sont plus économes (et je dois convenir que les temps le demandent) peuvent écorcher le corps ; la peau, artistement préparée, fera d’admirables gants pour les dames, et des bottes d’été pour les beaux messieurs.

Quant à notre cité de Dublin, des abattoirs peuvent être affectés à cet emploi dans les endroits les plus convenables, et les bouchers ne manqueront pas assurément ; toutefois je recommande d’acheter de préférence des enfants vivants, et de les préparer tout chauds sortant du couteau, comme nous faisons pour les porcs à rôtir.

Une très-digne personne, qui aime sincèrement son pays et dont j’estime hautement les vertus, a bien voulu dernièrement, en discourant sur cette matière, proposer un amendement à mon projet. Elle a dit que nombre de gentlemen de ce royaume ayant détruit, depuis peu, leur gros gibier, elle croyait que l’on pouvait suppléer à ce manque de venaison par des corps de jeunes garçons et de jeunes filles, pas au dessus de quatorze ans et pas au dessous de douze, tant d’enfants des deux sexes étant en ce moment menacés de mourir de faim, faute d’ouvrage ou de service ; et les parents, s’ils sont encore en vie, ou, à défaut de ceux-ci, leurs plus proches parents étant tout disposés à s’en défaire. Mais avec toute la déférence due à un si excellent ami et à un si digne patriote, je ne puis être tout à fait de son sentiment ; car pour ce qui est des mâles, l’Américain que je connais m’a assuré, pour en avoir souvent fait l’expérience, que leur chair était généralement dure et maigre, comme celle de nos écoliers, et que les engraisser ne paierait pas les frais. Quant aux femelles, ce serait, je pense, en toute soumission, une perte pour le public, parce que bientôt elles deviendraient fécondes elles-mêmes. Et d’ailleurs, il n’est pas improbable que des gens scrupuleux seraient portés à censurer cette mesure (quoique bien injustement, il est vrai), comme frisant un peu la cruauté ; ce qui, je l’avoue, a toujours été, à mes yeux, la plus forte objection contre tout projet, quelque bonne qu’en soit l’intention.

Mais je dois dire à la justification de mon ami, qu’il confessa que cet expédient lui avait été mis en tête par le fameux Psalmanazar, natif de l’île de Formose, qui vint à Londres il n’y a pas plus de vingt ans, et raconta à mon ami que dans son pays chaque fois qu’on mettait quelqu’un de jeune à mort, l’exécuteur vendait le corps à des personnes de qualité, comme une grande friandise ; et que de son temps le corps d’une fille dodue de quinze ans, qui avait été crucifiée pour une tentative d’empoisonnement sur l’empereur, fut vendu au premier ministre de Sa Majesté impériale, et autres grands mandarins de la cour, par quartiers, au sortir du gibet, pour quatre cents couronnes. En effet, je ne puis nier que si on tirait le même parti de plusieurs dodues jeunes filles de cette ville, qui, sans un sou de fortune, ne peuvent sortir qu’en chaise à porteurs, et se montrent à la comédie et aux assemblées dans des toilettes venues de l’étranger et qu’elles ne payeront jamais, le royaume ne s’en trouverait pas plus mal.

Quelques personnes portées au découragement sont fort inquiètes de ce grand nombre de pauvres gens, qui sont âgés, malades ou estropiés, et j’ai été prié de chercher dans ma tête ce que l’on pourrait faire pour soulager la nation d’une si lourde charge. Mais je ne suis pas le moins du monde embarrassé à ce sujet, car il est bien connu qu’ils meurent et pourrissent chaque jour de froid et de faim, de saleté et de vermine, aussi vite qu’on peut raisonnablement s’y attendre. Et quant aux jeunes journaliers, leur état aujourd’hui donne presque autant d’espérance : ils ne trouvent pas d’ouvrage et par conséquent dépérissent faute de nourriture, à un degré tel que si, par hasard, on leur confie le plus simple travail, ils n’ont pas la force de le faire ; et ainsi le pays et eux-mêmes sont heureusement délivrés des maux à venir.

Cette digression est trop longue, et je reviens à mon sujet. Je crois que les avantages de ma proposition sont évidents et nombreux, ainsi que de la plus haute importance.

Premièrement, comme je l’ai déjà fait observer, elle diminuerait considérablement le nombre des papistes dont nous sommes inondés tous les ans, car ce sont les plus grands faiseurs d’enfants de la nation, aussi bien que ses plus dangereux ennemis ; et s’ils restent au pays, c’est afin de livrer le royaume au Prétendant, espérant profiter de l’absence de tant de bons protestants, qui ont mieux aimé s’expatrier que de rester chez eux et de payer la dîme à un curé épiscopal contre leur conscience.

Deuxièmement. Les plus pauvres tenanciers auront quelque chose à eux que la justice pourra saisir et affecter au payement de la rente de leur propriétaire, leur blé et leur bétail étant déjà saisis et l’argent une chose inconnue.

Troisièmement. Attendu que l’entretien de cent mille enfants de deux ans et au-dessus ne peut être évalué à moins de dix shillings par tête et par année, l’avoir de la nation s’accroîtra par là de cinquante mille livres par an, outre le profit d’un nouveau plat introduit sur les tables de tous les gens riches du royaume qui ont quelque délicatesse de goût ; et l’argent circulera parmi nous, l’article étant entièrement de notre crû et de notre fabrication.

Quatrièmement. Les producteurs réguliers, outre le gain annuel de huit shillings sterling par la vente de leurs enfants, seront quittes de leur entretien après la première année.

Cinquièmement. Cet aliment amènera aussi beaucoup de consommateurs aux tavernes, où les cabaretiers auront certainement la précaution de se procurer les meilleures recettes pour l’accommoder dans la perfection, et, conséquemment, auront leurs maisons fréquentées par tous les beaux messieurs qui s’estiment fort justement en raison de leurs connaissances en cuisine ; et un cuisinier habile, qui sait comment ou engage ses hôtes, saura bien rendre celle-ci aussi coûteuse qu’il leur plaira.

Sixièmement. Ce serait un grand stimulant au mariage, que toutes les nations sensées ont encouragé par des récompenses ou imposé par des lois et des pénalités. Cela augmenterait le soin et la tendresse des mères pour leurs enfants, lorsqu’elles seraient sûres d’un établissement pour ces pauvres petits, soutenus en quelque chose aux frais et au profit du public. Nous verrions une honnête émulation entre les femmes mariées à qui apporterait au marché l’enfant le plus gras. Les hommes deviendraient aussi aux petits soins pour leurs femmes en état de grossesse qu’ils le sont aujourd’hui pour leurs juments, leurs vaches et leurs truies prêtes à mettre bas, et ils ne les menaceraient plus ni du poing ni du pied (comme ils en ont trop souvent l’habitude), de peur d’avortement.

On pourrait énumérer bien d’autres avantages. Par exemple, l’addition de plusieurs milliers d’animaux à notre exportation de bœuf en baril, la consommation plus abondante de la chair de porc, et un perfectionnement dans la manière de faire de bon lard, dont nous manquons si fort, par suite de la grande destruction des cochons de lait, qui se servent trop souvent sur notre table, et qui ne sont nullement comparables, comme goût et comme magnificence, à un enfant d’un an, gras et d’une belle venue, qui, rôti tout entier, fera une figure considérable à un repas de lord-maire, ou à tout autre festin public. Mais cela et beaucoup d’autres choses, je n’en parle pas, tenant à être bref.

En supposant qu’un millier de familles de cette ville achèteraient régulièrement de la viande d’enfant, indépendamment de ce qui s’en consommerait dans les parties de plaisir, particulièrement aux noces et baptêmes, je calcule que Dublin en prendrait environ vingt mille par an, et le reste du royaume (où probablement il se vendrait un peu meilleur marché), les quatre-vingt mille autres.

Je ne prévois aucune objection possible à ma proposition, à moins qu’on n’allègue que le chiffre de la population en sera fort abaissé. Ceci, je l’avoue franchement, et c’est même une des principales raisons pour lesquelles je l’ai faite. Je prie le lecteur d’observer que mon remède n’est destiné qu’à ce seul et unique royaume d’Irlande, et à aucun autre qui ait jamais existé ou qui puisse, je crois, jamais exister sur la terre. Qu’on ne me parle donc pas d’autres expédients : de taxer nos absentees à cinq shillings par livre ; de n’acheter ni vêtements, ni meubles qui ne soient de notre crû et de nos fabriques ; de rejeter complètement les matières et instruments qui encouragent le luxe étranger ; de guérir nos femmes des dépenses qu’elles font par orgueil, par vanité, par oisiveté et au jeu ; d’introduire une veine d’économie, de prudence et de tempérance ; d’apprendre à aimer notre pays, ce qui nous manque bien plus qu’aux Lapons même et aux Topinambous ; de cesser nos animosités et nos factions, et de ne plus faire comme les Juifs, qui s’égorgeaient les uns les autres au moment même où on prit leur ville ; de prendre un peu plus garde de ne pas vendre notre pays et notre conscience pour rien ; d’enseigner aux propriétaires à avoir au moins un degré de miséricorde pour leurs tenanciers ; enfin, de faire entrer un peu d’honnêteté, d’industrie et de savoir-faire dans l’esprit de nos boutiquiers qui, si la résolution pouvait être prise de n’acheter que nos marchandises, s’entendraient immédiatement pour nous tromper et nous rançonner sur le prix, la mesure et la qualité, et n’ont jamais pu encore se décider à faire une honnête proposition de trafic loyal, malgré de fréquentes et vives invitations.

C’est pourquoi, je le répète, que personne ne me parle de ces expédients et autres semblables, jusqu’à ce qu’il ait au moins quelque lueur d’espoir qu’on essayera de tout cœur et sincèrement de les mettre en pratique.

Mais, quant à moi, las de voir offrir, depuis maintes années, une foule de futiles et oiseuses visions, je désespérais entièrement du succès, lorsque je suis tombé par bonheur sur cette proposition, qui, outre qu’elle est tout à fait neuve, a quelque chose de solide et de réel, n’entraîne aucune dépense et exige peu de soins, est tout à fait dans nos moyens, et ne nous expose nullement à désobliger l’Angleterre. Car cette sorte de denrée ne supporte pas l’exportation, cette viande étant d’une consistance trop tendre pour rester longtemps dans le sel, quoique peut-être je puisse nommer un pays qui ne demanderait pas mieux que de manger notre nation tout entière sans cet assaisonnement.

Après tout, je ne suis pas tellement coiffé de mon idée que je rejette toute proposition, faite par des hommes sensés, qui serait jugée aussi innocente et peu coûteuse, aussi facile et efficace. Mais avant qu’on en mette une de cette espèce en concurrence avec la mienne, et qu’on en présente une meilleure, je désire que son auteur, ou ses auteurs, veuillent bien considérer mûrement deux points : premièrement, dans la condition où sont les choses, comment ils seront en état de trouver le vivre et le couvert pour cent mille bouches et dos inutiles ; et, deuxièmement, comme il existe dans ce royaume un million de créatures à figure humaine que tous leurs moyens de subsistance mis en commun laisseraient en dette de deux millions de livres sterling, ajoutant ceux qui sont mendiants de profession à la masse de fermiers, cottagers et journaliers avec femmes et enfants, qui sont mendiants de fait, j’invite les hommes politiques à qui mon ouverture déplaira, et qui auront peut-être la hardiesse de tenter une réponse, à demander d’abord aux parents de ces mortels, si, à l’heure qu’il est, ils ne regarderaient pas comme un grand bonheur d’avoir été vendus pour être mangés à l’âge d’un an, de la façon que je prescris, et d’avoir évité par là toute la série d’infortunes par lesquelles ils ont passé, et l’oppression des propriétaires, et l’impossibilité de payer leur rente sans argent ni commerce, et le manque de moyens les plus ordinaires de subsistance ainsi que d’un toit et d’un habit pour les préserver des intempéries du temps, et la perspective inévitable de léguer un tel sort, ou des misères encore plus grandes, à leur postérité jusqu’à la consommation des siècles.

Je déclare, dans la sincérité de mon cœur, que je n’ai pas le moindre intérêt personnel à poursuivre le succès de cette œuvre nécessaire, n’ayant d’autre motif que le bien public de mon pays, que de faire aller le commerce, assurer le sort des enfants, soulager les pauvres, et procurer des jouissances aux riches. Je n’ai plus d’enfant dont je puisse me proposer de tirer un sou, le plus jeune ayant neuf ans, et ma femme n’étant plus d’âge à en avoir.

Jonathan Swift : a modest proposal (1729)

par casimir, vendredi 31 juillet 2015, 03:07 (il y a 3406 jours) @ casimir

Le rationalisme mène à la sauvagerie

Jonathan Swift : a modest proposal (1729)

par Rémy @, samedi 01 août 2015, 11:08 (il y a 3405 jours) @ casimir

Ou peut-être à l'ironie ?

Jonathan Swift : a modest proposal (1729)

par Irish black humour, samedi 01 août 2015, 18:24 (il y a 3404 jours) @ Rémy

Ou peut-être la colère ?

Petit manuel d'infanticide par congélation à l'usage des jeunes filles

par Rémy @, samedi 01 août 2015, 11:46 (il y a 3404 jours) @ Simone Kutukdjian

Y'a erreur à la dernière phrase : si elle le congèle, il ne va pas moisir. Et quant à l'utilisation du congélateur : il faut presser la touche "congélation" plusieurs heures à l'avance pour faire descendre la température, et portionner les aliments avant de les congeler, sinon la congélation n'est pas assez rapide, la viande prend mauvais goût et on risque le botulisme. Lisez le mode d'emploi des appareils que vous utilisez, ça vous évitera bien des déconvenues.