Cinéma muet

par Écrire, mardi 04 août 2015, 16:34 (il y a 3401 jours)

Je suis dévasté. Impression que plus rien, ou presque, ne tient debout en moi et qu'une chiquenaude suffirait à faire tomber ce pan d'existence branlant. Le silence est insupportable, mais le son me tourmente. En particulier, les bruits qui se rapportent à l'enthousiasme bâtisseur. Les cris des ouvriers, les matériaux entrechoqués, la ferraille qui résonne en heurtant le bitume, le vrombissement de la scie circulaire et les stridences des perceuses. Toute cette agitation autour de l'avenir, l'édification, la construction. Un concentré d'optimisme béton qui me signifie à quel point ma détresse est relative, étrangère à l'entreprise, à la société toute entière et pour tout dire, universellement négligeable. Et c'est heureux pour l'univers, la société et l'entreprise qu'ils ne dépendent pas de mon humeur...

Ainsi cette catastrophe reste-t-elle privée, confinée entre trois murs atones et une bibliothèque. Elle échappera à la sphère de l'information. Elle ne se haussera pas à la hauteur du sublime. Personne, ou presque, n'aura à l'oublier car nul, ou presque, ne l'aura perçu ni même soupçonné. Les gens de ma condition restent des mimes de leur souffrance. Ils interprètent leurs rôles comme au temps du cinéma muet. Leurs paroles se résument à des gestes près du corps. C'est là qu'ils se racontent. Il faut s'approcher d'eux pour effleurer leur vérité.

Cinéma muet

par julienb @, mercredi 05 août 2015, 21:50 (il y a 3400 jours) @ Écrire

"Les gens de ma condition restent des mimes de leur souffrance"

abyssal

Cinéma muet

par Écrire, jeudi 06 août 2015, 15:17 (il y a 3399 jours) @ julienb

Oui. La douleur qui ne peut être exprimée par le verbe reste attachée au corps et enclose dans ses limites. Dotée d'une voix, elle pourrait être recueillie par d'autres consciences et aurait la possibilité de trouver un sens.