Domaine

par zeio @, mardi 04 août 2015, 23:38 (il y a 3401 jours)

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Je ne lis pas un écrivain. Je suis cet écrivain qui compose en temps réel les pages que prétendument je suis en train de lire. Je ne suis pas dans son esprit. Son esprit essaime dans le mien. L'auteur a-t-il les cheveux noirs ? Imperceptiblement, mes cheveux se mettent à noircir. La texture et la forme de mon visage se modifient lentement. A-t-il une voix nasillarde, faible, sifflante ? Ma gorge se met à produire un double son. Sur mon timbre de voix habituel, une tonalité supplémentaire semble s'être greffée. Je parle double. Me dédouble, m'achemine vers celui que je serai bientôt. Je ne suis déjà plus un autre mais moi-même. J'aime cet écrivain plus que tout. Il ressuscite. Son sang circule dans mes veines. Il semble se réjouir de sa nouvelle demeure. Il fait la connaissance de ses colocataires. D'autres caractères dans les mains desquels j'ai déposé cette clef qui est ma clef, qui est la seule clef qui vaille, celle-là qui ouvre le grand portail du domaine intérieur.

Le dispositif

par zeio @, mercredi 05 août 2015, 00:02 (il y a 3401 jours) @ zeio

Une pièce mécanique, quelque part (je ne cherche pas véritablement à savoir où) s'est brisée. Cette pièce mécanique n'était pas nécessaire au bon fonctionnement du dispositif. Je dirais plutôt que cette pièce était de trop : telle une clef de douze qui, coincée entre les dents d'un énorme rouage, en bloquerait la rotation. Désormais les roues métalliques tournent de façon plus fluide et surtout, plus redoutable.
Le labyrinthe peut être entrepris à nouveau :
la patience et la volonté refont surface.

Le fantôme

par zeio @, samedi 08 août 2015, 01:38 (il y a 3398 jours) @ zeio

Plus le temps passe
et plus
je suis dénué
impropre
et harassé
Je remue
les tasses sur les étagères
les verres qui tintent
contre les faïences
- nulle réponse ?-
Polyphonie nocturne et tranquille
quand
la nuit, chacun
s’est endormi
je prends la place
qui a toujours été mienne
près de la bibliothèque
devant la fenêtre
la main sur une page
l’œil tourné vers le jardin
surmonté des étoiles

Pôles

par zeio @, samedi 08 août 2015, 01:39 (il y a 3398 jours) @ zeio

(...) je sais que ces obsessions, ces névroses, étaient et restent sensiblement les mêmes. Ce sont les mêmes flammèches que je poursuis en rêve, les mêmes allitérations, les mêmes musiques. Je n'ai qu'une image spirituelle à idolâtrer, laquelle reste sensiblement idem. Je n'ai pas mille inspirations ni mille maîtres. Je serais, pourrait-on dire, semblable à ce satellite halluciné, subordonné à son étoile, gravitant irrémédiablement autour de l'astre blanc. Je n'ai qu'un unique soleil dans tout l'univers qui me tient au chaud dans ses mains magnétiques, et tout ce que je suis en mesure de faire, c'est le décrire sous tous les angles possibles, le connaître de toutes les manières qui soient, observer chacun de ses pôles, à l'aide de toutes sortes de lunettes et de kaléidoscopes.

L'astronome observe les imperceptibles variations de couleurs des étoiles, lesquelles, scintillant du blanc au rouge, en passant par le bleu et le jaune, racontent naturellement l'histoire de celui qui les observe.

Pôles

par Amateur, samedi 08 août 2015, 10:32 (il y a 3398 jours) @ zeio

J'aime beaucoup.

Pôles

par julienb @, samedi 08 août 2015, 12:00 (il y a 3397 jours) @ zeio

Oui, très beau. J'aime ce dispositif, ou simplement ce lien poétique macrocosme - microcosme.

Pôles

par zeio @, samedi 08 août 2015, 12:59 (il y a 3397 jours) @ julienb

Merci à vous. Le dernier est un texte de 2008 que j'ai remodelé.

ensuite

par little raven, mercredi 05 août 2015, 00:34 (il y a 3401 jours) @ zeio

ensuite disons que les livres lus, la littérature ingurgitée, les voix absorbées, deviennent des forêts, de celles qui nous peuplent avec les ans. disons qu’il s’agit aussi de lentes décompositions, puis d’humus. disons que certains arbres de cette forêt génèrent ou regénèrent. disons que cela fait terreau où planter la jeune pousse, disons encore que le vivant de l’écriveur lui soit ruisseau, et disons plus avant que la nature prend du temps à développer ses pulpes, disons que dans la patience nécessaire oublier est tout aussi nécessaire.

marcher parmi la forêt nous ramène un jour au point où avait été plantée une pousse qui n’en est plus une, s’y trouve un arbre tout au bord de l’eau courante et vive, un arbre étrange d’une essence étrange, ou d'une autre nature. disons que son écorce est lisse et jaune pâle, disons que ses feuillages sont diaphanes et lactescents, disons encore que ceux-ci semblent de la grandeur d’une main, et que si on y regarde bien des mots s’y sont écrits comme veinules. ainsi des arbres grandissent portant un livre, et le livre nous apparaît que lorsqu’il est mature et prêt. je viens d’en retrouver un. je ne sais pas combien j’en ai planté, mais celui-ci, je le découvre, m’attendait.

( ha je me trouve en flagrant délit de « la veuve et l’orphelin »… rien ne m’en guérit. si ça se trouve il me faudra un jour faire un livre — de cet écrire non littéraire au sens littéraire du terme — un livre, dis-je, entier de veuves et d’orphelins, si bien que ces chacuns s’en trouveraient être la chair réelle et dont tout le sens ne pourrait apparaître qu’à la toute fin… plantons donc cela, voyons voir où … ) ..et poussons davantage ce mal-écrire...

p.s. le non-littéraire n’étant pas de la contre-littérature…

ensuite

par zeio @, mercredi 05 août 2015, 13:04 (il y a 3400 jours) @ little raven

Merci catrine !

Ta vision est très végétale. Je ne saurais dire s'il s'agit d'une demeure plutôt que d'une forêt. Voire peut-être des deux : une demeure dans une forêt. Quoi qu'il en soit j'ai du mal à me représenter une forêt intérieure qui ne contiendrait pas en elle-même un abris. Le végétal pur est angoissant.