Borderline Parade

par 411, mercredi 19 août 2015, 20:25 (il y a 3386 jours)

Trois poèmes, oui, issus de mon dernier manuscrit, Borderline Parade, je l'ai envoyé à des éditeurs, à présent j'attends, je l'espère, au moins une réponse positive. Enjoy !



Chanel

*
*
*

Chloé devant bibi,
Chloé qui me sourit,
Chloé au saut du lit,
mi-polie mi-intello Chloé toujours

toujours un livre dans les mains
et le regard un peu lointain,
accroché au dos du chat

perché sur le rebord de la fenêtre,
s'échappant par la fenêtre
ouverte et fuyant
l'appartement,

l'appartenance.


Chloé toussant comme une reine,
Chloé toujours très digne,
portant le pyjama comme d'autres le platine,
jeune Victorienne aux gestes mesurés Chloé,

bohémienne aux beaux yeux noirs Chloé
cherche bohémien aux joues creusées
pas trop sérieux mais concerné
spirituel capable d’aimer sans étouffer
affable quand il faut
un peu salaud un peu touchant
étonnant tendre et très violent Chloé bise


Chloé...
Chloé ?
Ah,
je crois qu'elle est partie,
oubliant derrière elle
et devant moi son sourire intergalactique,
je crois sur le rebord, je crois

dans un ailleurs mille fois rêvé
un ailleurs qui sauve justement
parce qu’il n’appartient à personne

et qu’il porte la fierté du transport de la lumière éclose
dans les chambres closes
alors Chloé chloé ose et s’enfuit
par la fenêtre toujours

Chloé court et Chloé danse
d’un regard fixe sous la pluie

et peu à peu la pluie la pluie emplit
la petite gamelle en plastique
où vient laper Chanel. Sur le rebord




Et lorsqu'au dehors
de nous,
il
pleut,
Chloé pleure
à l'intérieur,
adore ce qu'elle peut,
s'attache à la beauté
comme au tout dernier
câlin
que partagent les amants,
avant que parte l'un,
avant que reste l'autre, un vœu
dans la poitrine avant
que le vœu fane, léger
comme l'éthanol
et dur
comme l'est un homme,
avant le chant
du
cygne.



Et de ne plus croire aux secrets tissés ensemble.
Chloé devant moi, qui me ressemble.
Qui me revient.
Qui me regarde et puis me dit: désolée j'étais ailleurs.
Et moi qui lui souris, moi qui la connais: à défaut
d'avoir ton cœur,
je prendrai un café.

*
*
*

Ginette (like spinning plates)

*
*

quand la nuit vient timidement toquer au sky cassé
quand les stars s'essaient
au saut à l'élastique
quand la lune est grosse et pleine

et folle d'un défunt soleil
ginette laitue éteint son chien
et caresse la lumière

ginette in the sky croque un somnifère
et elle n'est pas assez belle pour que l'on trouve ça beau
je veux dire sa dépression
je veux dire sa descente aux enfers

ginette laitue n'est pas taillée pour l'héroïsme
pour tout ce qui finit en isme
ginette laitue fume et elle ne travaille pas
comme les vicieux les enfoirés et les ratés

dans les films hollywoodiens
les mauvais patriotes
les acteurs les moins coûteux

ginette est accro à tout ce qui finit en ine
ginette est amoureuse de son chien
son doux bâtard son tout son lovely doux bâtard
qui ne sera jamais rien d'autre qu'un chien

mais qui ne la juge pas
mais qui ne la juge pas

l'avenir est un pédé refoulé
le destin un rendez-vous manqué
et ginette ginette
oh ginette n'a rien d'autre

qu'une carte de bus gratis et une place
au premier rang dans
tous les cinémas de france
pour tous les bons films qui sortent viennent passent

et ne parleront jamais d'elle

*
*

Les limites de l’état

*

je suis l'ombre dont tu as besoin
je suis la blessure idéale
je suis la maladie mentale
capitale reine esclave écrin
de ton intérieur lointain


je suis la mort amie le danger quotidien
je suis la libre fulgurance la douleur et le doute
l'ivresse sans mémoire un soleil dévorant
la tendresse avant la nuit
la cruauté du matin
le tesson caché dans ton pain
déchirant tes entrailles à la mesure de ta faim

tu me réclames tu me vires tu me réclames
tu m'expulses tu m'avortes tu me
retiens
lorsque soudain
en chien ton âme
râle gratte couine supplie de sa voix dégueulasse
son supplément de grâce
pour que la douleur cesse
pour que ta vie retrouve un peu de sens
et que la transformation se fasse


je suis la mort amie je suis ta folie préférée
la morale tarée de ton histoire
ton seul espoir de fuite un remède au réel
je suis la maladie mentale et je veille
à ton chevet
pour que toujours toujours
tu réalises
que les chemins
de la psychose

te sont ouverts
à toi à ton génie
à tes matins d'angoisse à tes suffocations
de minuit
aux murs épais du déni


je suis toi et plus encore et je viens ruiner ta vie
je suis toute la poésie du monde
je suis au cœur de tes écrits
et que tu le veuilles ou non
mon frère chéri mon seul enfant
je te protège du néant




et de ton vide colossal
je suis ta maladie mentale
je suis ta maladie mentale

Borderline Parade

par Claire, dimanche 23 août 2015, 14:22 (il y a 3382 jours) @ 411

3 portraits. Deux qui ressemblent à des jeunes femmes ,le troisième à une entité intérieure, une muse, une imago. Les lire à la suite m'a fait réfléchir à cette troublante question : les liens entre des gens qu'on rencontre, qu'on aime, et nos personnages intimes...et du coup la solidarité immédiate qui se noue avec certains ou certaines, qui apparemment différent de nous...et pourtant pas.

Les deux "autres", les deux jeunes femmes, tu le dépeints avec beaucoup de compréhension et de tendresse, de cohérence dans la forme. Chloé-Chanel ( c'est le nom du chat ?), celle qui reste à cheval sur la fenêtre, femme-qui-s'en-va-toute-seule (j'ai aimé "appartement/appartenance") et Ginette l'antistar, Maryline qui ne brille pas, Bardot-SPA, avec un beau jeu d'écriture sur les lumières.

les mots qui me viennent c'est appartenance, solidarité, limites.

Borderline Parade

par Claire, lundi 24 août 2015, 10:45 (il y a 3382 jours) @ Claire

ce n'est pas bien dit.
Ce qui m'a frappée c'est que dans cette galerie de portraits féminins apparaisse une entité visiblement interne qui prend la parole. Chloé et Ginette c'est "elle", mais la troisième te dit "tu", et pourtant c'est aussi un portrait que tu as voulu présenter avec les autres. C'est cette suite qui me semble riche de multiples significations.
Ça fait écho à des questions que je me pose depuis longtemps. De qui, pour qui, avec qui, à partir de qui écrit-on ?

Borderline Parade

par 411, lundi 24 août 2015, 16:03 (il y a 3381 jours) @ Claire

Merci Claire. J'apprécie vraiment quand tu décryptes comme ça mes publications: ça m'en dit sur le texte lu, et me conforte dans l'idée que mes poèmes sont susceptibles d'être interprétés.
Je pense que tout est dans l'"intérieur lointain", le titre (inversé) d'un recueil de Henri Michaux (Lointain intérieur, donc).
Il me semble que lorsqu'on parle d'une pensée, on parle d'un autre, le moteur d'une dialectique qui se crée entre soi-même et ce que l'on trouve de soi-même dans les autres, ou de ce que l'on trouve chez soi, mais pas (nous semble-t-il) chez l'autre. AInsi, il y a une forme d'impuissance face aux "limites" dont tu parles: "elle est là pourtant elle n'est pas à moi", "je suis prisonnière de mon apparence", "je me console tout seul en naissant à moi-même".
Je le redis, mais c'est vraiment bien que tu me dises ça, car ce recueil, Borderline Parade, je l'avais réservé pour le prix de la Vocation de cette année, et je l'ai raté. DU coup je n'ai pas pu m'empêcher de me dire: à quoi bon, il n'est "pas assez bon", je le laisse mourir dans son coin.
Et puis petit commentaire et là je me prépare à l'envoyer, et à Gros Textes, et à Contre-allée. Motivé, quoi !

Mais oui, normalement il y a un lien entre tous les poèmes qui composent cette "parade de boiteux".

Bise

Borderline Parade

par Claire, jeudi 27 août 2015, 00:48 (il y a 3379 jours) @ 411

je me disais ausi qu'une parade c'est toujours lié à une monstruosité, au sens de montrer au dehors ce qui normalement n'est vu qu'à l'intérieur du cirque, de la scène, et qui déambule un moment dans l'espace profane du monde ordinaire, de la ville.
Déambule et se montre pour faire naître le désir de ce qui n'existera pleinement que dedans.

Je dis ça à cause du lien dedans-dehors qui fait écho à "borderline", et aussi au lien évident que fait la troisième protagoniste entre écriture et folie.
Peut-être on pourrait dire qu'un des points communs entre l'art et la folie c'est faire voir au dehors ce qui normalement reste caché au dedans, au plus secret du secret dedans.
et bien sûr monstruosité c'est ce qui en chacun de nous déborde, distord la norme,.

Borderline Parade

par kelig, jeudi 03 septembre 2015, 06:54 (il y a 3372 jours) @ Claire

bel échange, bel éclairage en complément des poèmes. intéressant.