dormir non dormir

par Cerval @, mardi 25 août 2015, 03:25 (il y a 3381 jours)

Contrairement à une croyance populaire, c'est lorsqu'on dort qu'on vieillit. Je décidais de ne plus dormir. Cela me pris il y a des années, par hasard. Je devais peu ou ne pas dormir plusieurs jours durant; une semaine passée, je m'oubliais dans un long sommeil dont je ne tirais aucun repos. Je fis un rêve où je me réveillais sans cesse et croyais que j'étais à la veille, mais examinant l'alentour je lui trouvais un air étrange qui m'amenait à me réveiller à nouveau en un rêve, et ainsi de suite. Lorsque j'ouvris vraiment les yeux je croyais mille années passées sur moi : je m'examinais au miroir : j'étais plus fatigué que je ne l'avais jamais été, les paupières gonflées et rouges, le corps si loin de ma pensée que je fis un effort insupportable à l'y rappeler toute la journée. Ce qui m'avait fatigué n'était donc pas le sommeil mais ces réveils perpétuels, emboités les uns dans les autres comme les paroles à venir dans les silences de la conversation, mais réveils. La nuit venue, je ne dormais pas considérant cette angoisse; je remarquais que même après un sommeil calme quelque chose de mes traits semblait dans le miroir, le lendemain, se diluer. Cet effet paraissait augmenter avec la durée du sommeil, et je ne me permettais plus que de courtes nuits. Je fis cela dix, quinze ans. Tous autour de moi changèrent à un pas qui se rapportait au mien, ainsi que pour tout le monde, tous vieillirent, moi à peine, ou bien c'est que je vieillissais quelque part, mais pas ici. Je ne me l'expliquais qu'en faisant à la fois insulte aux hypothèses et à l'imagination : il faut bien que le langage le comble lorsqu'il rencontre un vide. Un jour, je fis semblant de comprendre : lorsqu'on dort, le corps est en repos, c'est vrai; mais lorsqu'il se réveille, le temps qu'il a laissé en suspend se précipite sur lui, et c'est ce qui le vieillit, la durée exagérant son dû: il n'est pas bon de changer d'état trop rapidement. Il faut comprendre : le jour, on ne peut pas vieillir, on est bien trop occupé; la nuit, on est épargné par le mouvement : mais lorsqu'on le retrouve il précipite son étreinte comme on fait pour ceux trop longtemps absents, et vous emporte un peu avec lui, il en fait le vent peut-être, ce qui lui chante, ou bien les prénoms des choses. Il n'y aurait aucune raison de vieillir, autrement. Mais ces choses, elles vieillissent à votre place, elles finissent pourtant par vous emporter, c'est un accident presque toujours. Si on ne dort pas, on finit par mourir sans s'en rendre compte; mais il passe tellement de temps que certains, impatients, se tuent. Tous, ne dormant pas ils en ont vécu cinquante, gardent l'air de leurs vingt-cinq. Voudraient-ils retourner au sommeil qu'ils en seraient incapables : il est plus difficile de se défaire d'une bonne habitude (interrogez-les de cette manière). Cet instinct rend fou, en quelque sorte : c'est à cause de la pensée qui ne se supporte pas éternelle.

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