horizon (1)
Je ne saurais dire depuis combien de temps je suis en charge de la surveillance extérieure. Il me semble que ma vie durant j’ai sillonné les chemins de ronde de la cité, scrutant le large, n’imaginant aucun terme à cette tâche éternellement recommencée. Il faut dire qu’elle me comble. C’est ma vie, ma raison d’être.Je suis posté sur le rempart nord, réputé le plus difficile à cause de la perspective marine qui s’étend à l’infini. Tout y brouille la vue : poudrin en rafales et ciel sempiternellement couvert, humidité de l’atmosphère qui réverbère la lumière et dédouble les images, jette des mirages dans l’esprit de l’observateur novice. Sauf que moi, je n’en suis plus là : je possède un regard d’aigle. D’ailleurs, on m’a nommé sergent. Dès que la nouvelle de cette affectation se répandra, on me regardera différemment dans les rues de la cité, on se retournera en chuchotant sur mon passage ; certains peut-être me salueront avec déférence. Dans quelque estaminet du port, au prochain quartier libre, j’annoncerai ma promotion à mes camarades envieux. Je le ferai sur un ton faussement détaché qui renforcera mon effet. Je vois déjà leur tête ! Sûr que les jeunes filles des beaux quartiers m’accorderont un peu plus d’attention désormais… Zut ! Cette stupide rêverie me fait négliger ma tâche. Un instant, ma vigilance s’est relâchée, ma concentration s’est interrompue. Il n’en avait pas fallu davantage, jadis, pour annoncer trop tard l’apparition de l’armada ennemie, innombrables insectes surgis soudain de derrière la courbure de l’océan, taches infimes grossissant jusqu’à devenir une myriade de navires de guerre, canons pointés sur les remparts… Comme à tout enfant de la cité, on m’a enseigné à l’école cette mise en garde de l’Histoire… que seul un inconséquent peut oublier ! J’ai bien conscience d’avoir failli et j’en ressens une grande honte. Si un supérieur m’avait surpris, j’aurais écopé d’un blâme ou d’une mise à pied.
Je dois à nouveau me concentrer sur le fil de l’horizon, m’imprégner du moindre détail du décor : une large courbe que mon regard explore lentement de gauche à droite, puis de droite à gauche. Là où n’importe qui ne percevrait qu’une ligne inconstante entre gris du ciel et gris de la mer, moi je peux discerner les infimes variations de teintes causées par les lames de fond, le gonflement de la houle ou les rafales de vent du large chargé de milliards de gouttelettes.
Je jure en mon for intérieur de ne jamais plus me laisser aller en service.
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08/09/2015, 09:50
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