Vendredi soir

par Ecrire, vendredi 16 octobre 2015, 22:03 (il y a 3328 jours)

Chers amis ! Souffrez, mais pas trop, que je vous interpelle ainsi sans discernement de genre ni distinction d'affinité. Certains d'entre vous ne se reconnaîtront guère dans cette exclamation préliminaire. Toutefois, au moment où vous vous apprêtez à me doter de qualités qu'on ne décerne qu'à l'occasion des départs en retraite ou dans le sillage des corbillards, je m'accorde une licence de réciprocité sur le seul mode qui me soit désormais accessible : anticipé. De fait, si vous êtes là, alors que je ne me tiens nulle part, c'est que je me suis éjecté en vol.

Cette inopinée sortie intervint suite à l'impact d'un missile amour haine entre les ailes. Après une telle mésaventure, je suis mal placé pour délivrer un message optimiste. Aussi me contenterai-je d'affirmer aux âmes éprouvées par ma disparition que cette ultime "sauterie" n'entraîna pas une perte aussi élevée qu'elle mérite un tel accablement. Au chapitre financier, je pesais deux fois mille euros par mois, nets, après ponctions diverses et avant impôts. Cette situation me valait un cordial dédain du magazine Forbes, comme d'ailleurs de l'ensemble de ses confrères, ainsi que de la totalité des quotidiens, gazettes, médias professionnels autant qu'amateurs, qu'ils soient florissants ou déficitaires. Bref, je bénéficiais d'un luxe d'anonymat.

Sur le plan sentimental, je me trouvais au plus bas depuis le choc. Onze années de haute voltige, suspendue entre le bonheur et la tragédie, m'avaient ôté toute appétence pour les perspectives stationnaires avec vue sur les insectes rampants. Je ne savais plus concilier les pensées nuageuses avec les relents de bouses et le charme des taupinières. Quant à mes restes, ils avaient perdus à tel point leurs motifs réciproques que les faire se tenir ensemble réclamait un effort sans commune mesure avec une énergie résiduelle à disposition intermittente. C'est en tout cas mon sentiment au moment où je frappe ces quelques lignes sur un clavier virtuel, dans l'atmosphère animée d'un bar, un vendredi soir d'avant l'avenir. Moment ni plus ni moins propice qu'un autre pour s'offrir encore une virée dans le ciel du vocabulaire.

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