Spectre

À quel endroit sa langue bouge-t-elle ?
Dans le carnet je note seulement ce qu’il me semble percevoir de sa voix. Je note les respirations entre parenthèses et je change de couleur pour marquer les pauses à l’aide de trois points encadrés par deux crochets. J’enregistre d’abord des phrases qui se veulent anodines, comme pour dégager ma gorge et la sienne : c’est Marion, ta sœur, je t’écoute, tu es là Franck ? Franck c’est moi, c’est Marion, je suis dans ta chambre, la cassette est vierge, tu peux parler. Je laisse ensuite la cassette tourner toute la nuit.
Avant d’entretenir cette relation sonore avec Franck, il m’arrivait de passer des heures devant la télévision, à guetter l’apparition de son visage, scrutant les pixels à la recherche de ses traits incarnés dans l’agencement d’un décor ou l’expression d’un acteur. On voit parfois, dit-on, en filigrane, sur les écrans, des gens qui reviennent pour parler. Je n’utilise pas de matériel actuel mais un vieux dictaphone retrouvé dans le grand tiroir de la cuisine. J’ai peur que la réception de la voix de Franck soit faussée par des interférences numériques, et qu’une empreinte autre que celle de sa bouche vienne s’apposer sur la bande.