la vie intérieure

par Écrire, dimanche 06 décembre 2015, 19:20 (il y a 3277 jours)

Certains vélos se voyaient réduits à l'état d'élémentaires carcasses, plusieurs étaient équipés de roues bancroches aux pneus flasques et pourris, d'autres encore exposaient leurs cadres bistournés. Beaucoup suivaient un régime sans selle. Situation dont on pouvait tout aussi bien déduire la précaution du propriétaire que l'opportunisme d'un pillard. Quelques uns, garés depuis des lustres, rouillaient avec flegme. Leurs jantes recouvertes d'une maigre végétation urbaine attestaient d'un immobilisme têtu. Exposés aux intempéries comme à l'indifférence générale (à l'exception notable des citoyens Chinois en transit), ils rongeaient leurs freins en attendant rien. Leurs détenteurs étaient possiblement défunts. À moins qu'ils ne fussent amnésiques ou adeptes anonymes du "street art".

Parvenu à deux pas de la porte coulissante, vous fûtes dévié de vos considérations par la vision d'une ombre qui urinait dans un angle propice. Rien de tel qu'un événement trivial pour reposer l'esprit. L'homme semble se soulager du mystère qui le nimbe et l'obscurcit de part l'excrétion du besoin crûment exprimé. La motivation est transparente. La vie intérieure, révélée. Mais il ne s'agit que du versant physiologique de l'âme. Le signal faible de sa solitude. Seuls les corps peuvent se rencontrer.

Le reptile accompli

par Lecteur, vendredi 01 janvier 2016, 19:51 (il y a 3251 jours) @ Écrire

Insensible comme un pavé tactile, le reptile accompli feuillette les pages virtuelles du dîner. Pour assouvir sa faim, vieille comme les temps immémoriaux, le reptile accompli tâte les déplacements de l’air numérique grâce à sa langue bifide qu’il passe ensuite à la trappe de son ressentiment et la banquise de son sang.

Une fois sa proie immobilisée à distance, le reptile confirmé puise au plus profond de ses glandes le venin neurotoxique qu’il sent pointer comme un baume. Humant l’air de sa langue, lisse comme la surface d’un écran, le reptile confirmé se délecte du moment où l’embuscade lui apportera la pitance journalière.

Sa faim primitive passe alors la corvée de l’embuscade au jour suivant, où le venin neurotoxique aura muri de 24 heures de rancunes envers les animaux à sang chaud, les volatiles au plumage coloré, ou les loutres flottant tranquillement à la surface des eaux.