bonne année !

par Claire, samedi 02 janvier 2016, 15:22 (il y a 3250 jours)

Je ne pouvais pas facilement écrire ici ces derniers jours alors j'ai préféré la fermer, mais j'ai pu suivre à peu près les débats, bien intéressants. Merci à rémy dont les positions un peu provocantes mais pleines de bonne humeur amicale m'obligent bien souvent à réfléchir autrement.
- J'ai eu l'impression qu'il avait envie de remettre en cause un certain dolorisme, une certaine dramatisation qui sont "nos" péchés mignons (je dis "nos" mais tout le monde peut considérer ne pas faire partie de ce "nous").
- J'ai l'impression aussi qu'il préfère faire l'économie dans la recherche artistique de la dimension inconsciente des processus, pour insititer sur la réflexion, le jeu, le hasard, la perception esthétique.
- Enfin qu'il tente de tordre le cou à l'angoisse du ratage.

toutes ces positions me semblent très salutaires, rafraîchissantes, sthéniques, elles mettent au travail. Elles occultent un peu certaines réalités, comme le fait que beaucoup de grands artistes étaient des gens en souffrance.
Je ne dis pas que la créativité est la conséquence de la souffrance, ou pire encore que la création est une façon de se soigner. Mais peut-être que la création est parfois une voie de sublimation de l'angoisse, tout comme les symptômes en sont une autre forme d'expression....je réfléchis à cette idée de la sublimation. Il y a quelque chose d'extrêmement émouvant là-dedans, parce que la sublimation est le point de départ de toute transmission, et donc porte une forme d'éternité, d'âge en âge. Par ailleurs, je crois vraiment que le travail de perfectionnement que l'on mène dans l'expression d'un art s'attaque forcément à nos petits travers personnels, et qu'à ce titre, et à ce titre seulement, il nous "soigne". Pas de notre angoisse, mais de nos façons un peu minables de nous en débrouiller (prétention, radotages, emprunts mal digérés, blocages, minauderies, emphase, bla bla etc....)
Je suis convaincue que d'autres artistes ne sont pas plus en souffrance que le commun des mortels et qu'il s'agit seulement pour eux de se vouer à cette émotion particulière qu'est l'émotion esthétique, à laquelle peut-être ils ont été particulièrement sensibles, ou bien d'utiliser l'art comme un outil exploratoire du monde qui les entoure.
Et que ces deux positions se retrouvent très souvent mêlées.

Le débat autour de l'inconscient n'est pas facile, parce qu'on est dans le registre de la croyance (y croire ou pas, à ce foutu inconscient qui par définition est inconscient), et qu'elle est liée à la question de la maîtrise. Elle me ramène au débat qu'on a eu autour de la question du changement. Créer, c'est changer (évidemment puisque créer change quelque chose du monde en lui apportant une nouveauté). Je suis persuadée qu'une part de notre créativité et une part de notre capacité à changer s'exprime mieux si renonce pour un court instant à la maîtrise, à la pensée conceptuelle. Je dis bien "une part" et "un instant". Donner trop de place à la part de l'inconscient dans la création est certainement une mauvaise idée, l'évacuer totalement me semble apauvrissant.

Enfin, l'angoisse du ratage, de l'échec, du "c'est nul", on voit bien ici de temps en temps combien elle est paralysante et combien on peut avoir envie de la passer au voisin. J'ai aimé la façon dont rémy en parle : "dans une série, la première est parfois ratée, la deuxième super, la troisième etc....jusqu'à ..." Ca m'a fait du bien de lire ça.

Je parle de rémy sans m'adresser directement à lui parce que le débat a démarré autour de certaines de ses réactions mais que c'est un débat bien ouvert.




Pour finir, une citation d'un chanteur de fado, Ricardo Ribeiro, dont le beau visage surmontant un corps gigantesque se modifie subtilement deux secondes avant qu'il commence son chant (j'ai vu un film au musée du fado à Lisbonne, où j'étais ces derniers jours) :
"O que prétendo é ser musicalemente honesto, seguindo sempre a minha logica artistica, onde quer que ela me leve" (je traduis approximativement : ce que je prétends c'est d'être musicalement honnête, suivant toujours ma logique artistique où qu'elle me mène).



(et désolée pour le ton un peu pontifiant)

autre remarque, autre réflexion

par Claire, samedi 02 janvier 2016, 15:31 (il y a 3250 jours) @ Claire

Le fado est né dans les années 1830 dans les quartiers chauds de Lisbonne...pour tout dire, dans les bordels.
Le blues est né dans les plantations de coton peuplées d'esclaves d'origine africaine...donc ses descendants : le jazz et le rock
Le rap est né dans les ghettos américains, ainsi qu'un art graphique qui a essaimé jusque dans les galeries d'art.
Le flamenco est un art de gitans : nomades, miséreux, mal vus.
etc....

quelle est la part dans la créativité artistique la plus novatrice (et /ou la plus élaborée) de la misère (c'est à dire la perte de toute prétention sociale et les chocs permanents et dangereux de la réalité), de l'arrachement à une société traditionnelle, de la transgression ?

autre remarque, autre réflexion

par Rémy @, dimanche 03 janvier 2016, 00:35 (il y a 3250 jours) @ Claire

La question qui se pose à ce sujet-là, c'est : combien d'autres musiques existaient parmi diverses minorités et ne se sont pas cristallisées ni répandues au point qu'on leur ait donné un nom ? Et l'émergence de tel ou tel nouveau genre n'est-elle pas plus due à son découvreur qu'à ses inventeurs ? Et sa concrétisation n'est-elle pas davantage redevable au fait que la bonne société est ouverte au changement plutôt qu'aux traditions des miséreux ? Le gospel est-il né dans les champs de coton, ou bien dans la première église de bobos bien-pensants de la haute qui a invité un chœur nègre à sa messe de Noël ? Le rap est-il né dans le Bronx ou bien dans le bureau de luxe du gros directeur de maison de disques qui a imaginé quel profit on pouvait faire en le mettant à la mode (remarquez bien que ce gros-là a essayé douze groupes et douze désignations de leur musique avant qu'il y en ait un qui prenne) ?

Une branche de l'art ne naît pas le jour où quelqu'un en fait pour la première fois dans son coin, mais le jour où suffisamment de gens la connaissent et où elle acquiert un nom... C'est-à-dire au moment où elle quitte son coin, où elle sort de sa misère ; et donc ce ne sont pas les miséreux qui l'ont conçue qui la font naître.
Ça explique aussi pourquoi il est plus vraisemblable que les nouvelles branches de l'art soient canailles : les nouveautés qui se développent dans l'art de la haute sont bien intégrées et n'ont pas besoin d'un nom ni d'être signalées comme différentes. Il naît en fait le même nombre de nouveautés partout, mais seules celles que la bonne société adopte-après-polémique sont nommées !

Dans ce sens : la part dans la créativité artistique la plus novatrice de l'arrachement à une société traditionnelle et de la transgression est très grande, mais ce sont le promoteur et les spectateurs qui transgressent, pas l'artiste, qui reste dans sa tradition à lui.

autre remarque, autre réflexion

par Claire, dimanche 03 janvier 2016, 01:03 (il y a 3250 jours) @ Rémy

il y a du vrai dans ce que tu dis mais ça ne répond que partiellement à ma question.
avant d'être appréciées par les gens de la haute ces formes artistiques s'étaient répandues et raffinées dans leur milieu d'origine.
et puis tu utilises des hypothèses invérifiables (les nombreuses formes d'arts qui seraient apparues sans attirer l'attention des riches et auraient donc disparu sans laisser de trace.)

autre remarque, autre réflexion

par Rémy @, lundi 11 janvier 2016, 11:33 (il y a 3241 jours) @ Claire

autre remarque, autre réflexion

par Claire, lundi 11 janvier 2016, 12:48 (il y a 3241 jours) @ Rémy

oui, mais ça ne répond pas au fond de ma question : qu'est-ce qui fait que des situations destructrices pour l'esprit, des situations d'acculturation, provoquent parfois l'émergence d'une créativité neuve, et qu'alors c'est extrêmement "utilisable", "découvrable", par la société dans son ensemble.

bien sûr qu'il y a plein de bourgeois créateurs, c'est même probablement la majorité des créateurs, mais ça, ça n'a rien de surprenant puisqu'ils se placent dans un héritage dont ils ont bénéficié avant de s'en dégager.

autre remarque, autre réflexion

par kelig, dimanche 03 janvier 2016, 08:50 (il y a 3249 jours) @ Rémy

Rémy, ce que tu exprimes là, j'en suis persuadé, tu ne réalises pas l'ivraie de son contenu, ça t'échappe.
L'ivraie en art, comme en histoire, c'est un fléau.

https://www.youtube.com/watch?v=5yq1HaKtOmU

J'aime vraiment beaucoup "ta" dernière peinture, qui m'apparait décidément bien mystérieux, malicieux. C'est que je suis mystique.

autre remarque, autre réflexion

par Rémy @, dimanche 03 janvier 2016, 12:12 (il y a 3249 jours) @ kelig

J'ai passé trois heures à rédiger ces douze lignes, justement pour bien y doser et l'ivraie et l'ergot. On n'imagine pas comme c'est difficile. Content que tu aies vu au moins l'une des deux. Cherche l'autre.



Merci, pour la peinture ! L'astuce c'est la couche blanche à la fin, dont on ne peut pas décider si elle cache presque tout ou si c'est elle qui révèle les personnages - mettre le fond par-dessus, c'est un bon truc. Les textures granuleuses-craquelées façon vaudou ne sont pas très difficiles à faire. Par contre les formes des personnages dans cette image-là, ça c'est un coup de chance. On verra si j'y arrive de nouveau. Peut-être que dans la prochaine, je les soulignerai au pinceau, pour leur ôter un peu de leur arbitraire hasardeux, et les rendre voulues ? La série n'est pas finie, à suivre...

autre remarque, autre réflexion

par kelig, dimanche 03 janvier 2016, 13:13 (il y a 3249 jours) @ Rémy

Ah, tu m'en bouches un coin alors.
L'ergot, moins évident tellement l'autre m'a crevé les yeux.
Mais je te fais confiance.
Peut-être il m'apparaîtra ensuite.

autre remarque, autre réflexion

par Claire, dimanche 03 janvier 2016, 14:38 (il y a 3249 jours) @ Rémy

il me semble que plusieurs transgressions se répondent : celle de la situation que vivent les artistes : transgressions auxquelles ils sont réduits pour survivre ou transgression des lois humaines qu'ils subissent (l'esclavage par exemple, ou la prostitution imposée), et qui les exilent de leur culture d'appartenance / celle que cherchent à vivre par procuration les bourgeois qui s'encanaillent, et celle qu'ils vivent réellement en apprenant à apprécier une forme d'art qui bouscule leurs canons esthétiques et sociaux, en s'intéressant à des gens qu'ils pourraient mépriser.... je prends transgression au sens le plus large : sortie des lois sociales et culturelles en vigueur dans un temps et un espace X.

C'est à dire que les uns et les autres sont entraînés loin de leur culture d'appartenance. Il est d'ailleurs intéressant de noter que pas mal de ces "bourgeois" vont à leur tout pratiquer cette forme d'art et lui injecter forcément une part de leur culture d'origine. C'est très net pour le fado puisque des poètes d'origine bourgeoise ont composé des textes et des chansons, et qu'une des grandes dames du fado, Maria Theresa de Noronha était carrément comtesse. En fait les chanteurs de fado ne sont plus des gens d'origine misérable, ils viennent de toutes les couches de la société.


l'autre questionnement était lié à la situation de misère, qui très souvent abrutit les gens au lieu de les transformer en artistes passionnés et passionnants. Est-ce que vivre une situation de misère, pleine de dangers et de malheurs, peut parfois favoriser une créativité, parce que le choc de la réalité externe et interne vous secoue si fort qu'il vous est nécessaire de le symboliser autrement que par le simple langage ? est-ce que c'est la situation misère+arrachement forcé à sa culture qui pousse à créer une nouvelle expression ? est-ce aussi le fait de partager cela avec d'autres gens qui vous pousse à élaborer un langage groupal ? ou tout cela à la fois ? En allant plus loin, l'art n'est-il pas un moyen de dire avec le plus de force et de justesse possible le choc vécu de la réalité, et le sentiment de nouveauté qu'il apporte ? Ou de faire naître une réalité neuve à partir de son monde intérieur (tes peinturlures en particulier).



Je me suis demandé ce qui t'amenait à pousser ta réponse dans une forme de provocation, au delà de ce qu'elle fait remarquer de juste. C'est quelque chose de plus général, me semble-t-il : un agacement devant un certain romantisme idéalisant, comme si tu supportait mal que les gens s'émeuvent de belles ou affreuses histoires (fausses) qu'ils aiment se raconter, plutôt que de s'émerveiller devant la réalité. Mais du coup, tu loupes peut-être la partie de la réalité qui se trouve dans ces belles histoires fausses.



(je ne transgresse pas ma bonne résolution car je dis des choses nouvelles et intéressantes)

autre remarque, autre réflexion

par cloud, lundi 04 janvier 2016, 15:31 (il y a 3248 jours) @ Claire

la loose music

bonne résolution !

par Claire, samedi 02 janvier 2016, 22:25 (il y a 3250 jours) @ Claire

je vais me taire à moins d'avoir quelque chose de nouveau et d'intéressant à dire.