considérations sur le vivant (version finale ?)

par julien, mercredi 20 janvier 2016, 21:48 (il y a 3232 jours)

je me demande d’où viennent les mains ; je crois me souvenir qu’elles ont poussé toutes seules, comme les pieds, la tête et tout le reste

aujourd’hui, je saisis tel objet que j’utilise, marche sur tel sol que j’ignore, et je ne m’en étonne plus ; je contemple le monde d’un œil blasé

la lassitude m’a envahi parce que j’ai trop vécu, ou pas assez ; enfin, ce que j’ai trop vécu n’en valait pas la peine

quand je m’en rends compte, je suis déjà vieux, je ne peux plus mettre un pied devant l’autre, j’ai le souffle court ; gravir les sommets n’est plus pour moi

le cerveau est devenu une bouillie grise et blanche ; une part en est à jamais perdue, qui se compte en milliards ; le reste du corps est à l’avenant, mais je voulais parler de l’esprit

je suis accablé par la pensée qu’il faille marcher vers la fin dans l’humiliation de la perte de soi

je voudrais me changer les idées, mais elles tournent en rond à l’intérieur d’une boîte crânienne comme des poissons dans un bocal

tout ce que je dis est pris dans quelque chose dont rien ne peut sortir, quelque chose dans quoi je suis pris moi-même, dont il n’existe pas de dehors, pas de point de vue extérieur, encore moins de vue d’ensemble. Je ne peux pas en parler puisque j’y suis ; je ne peux rien en dire puisque tout ce que j’en dirais en fait déjà partie. Quand je parle, ça n’est pas à propos de, ni sur ; c’est dedans, en plein, c’est ça, ce quelque chose qui contient tout ce que je dis ou plutôt dans quoi tout ce que je dis est pris

l’ennui vient comme la promesse de matins toujours plus brumeux ; il me phagocyte et persévère dans mon être ; il devient ennui même de soi, à partir de quoi plus rien n’est possible sauf l’ennui

le soir, je vais près du grand fleuve, je longe sa rive sur quelques kilomètres ; des lueurs passent devant les yeux, les pensées me traversent, j’écoute, suis attentif à la respiration, aux battements sourds d’un cœur ; pourtant je ne vois pas grand-chose, passe à côté

je lève les yeux vers un ciel qui m’écrase ; cette condition me navre

j’attends que quelque chose surgisse, et c’est là sans doute mon erreur, parce que c’est l’engloutissement qui me guette

je reste sidéré par la révélation de mon inanité, ne sais qu’attendre en dévisageant le vide

ce sol sur lequel je vais me semble moins anodin ; je ne suis plus certain de pouvoir compter sur lui, et l’immobilité paraît l’attitude la plus sûre ; ça n’empêche pas de rêver de voyage et d’aventure

dans le miroir, je vois un corps, et un cœur par transparence ; quand cesserai-je de m’en étonner, d’être stupéfié par toute cette étrangeté en moi ?

locataire d’une vie et passager d’un moment, je n’ai pas su profiter du paysage, car j’ai pensé à autre chose, n’ai pas compris à temps qu’il s’agissait de moi, n’ai en définitive presque rien senti

je ne me demande plus d’où viennent les os ou les organes ; la mémoire est vide, la conscience est vide, les mains sont vides, le ciel est vide ; je me sens bien

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