on roulait (3 et 4)
3
Bus 3, direction Le Mourillon
une dame d'un certain âge, sûrement rousse autrefois, aux cheveux longs. de chaque côté de son visage deux peignes de plastique relèvent des mèches encore cuivrées sur fond de chevelure grise. elle s'assied près de moi et me parvient une odeur d'enfance : celle de la pommade rosat. on tournait le tube, le bâton sortait, rose ou rouge. c'était permis. le rêve d'être une femme, dans la petite glace. je repense aux petites peaux cartonnées sur les lèvres, qui se soulevaient dans ce tendre gras, devenaient transparentes, puis qu'on déchirait doucement, laissant la muqueuse à nu, rouge et sensible. aux fissures qui les séparaient parfois et qui saignaient, au milieu de la lèvre inférieure. c'était pire de regarder cette fine plaie sur la bouche des autres.
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4
âges
même bus, juste avant Noël. une femme est assise devant moi, son petit garçon sur les genoux, avec qui elle converse. la petite grande soeur est à côté, n'écoute pas, se lève des temps en temps, se retient avec satisfaction aux poteaux autour desquels elle tournoie, dans les cahots. sa mère lui demande de s'asseoir, alors elle s'arrête de tourner une seconde, puis recommence.
montent deux femmes dont une (la mère), est très âgée. elle s'assied sur l'insistance de sa fille, et regarde la fillette qui s'est finalement rassise en face d'elle : "elle croit que je vais lui faire du mal, elle croit que je suis méchante, mais je suis gentille". la fillette se tait, grands yeux sombres, la mère dit : "elle est timide". puis la vieille dame regarde dehors, demande à plusieurs reprises si elle doit se lever, si c'est l'arrêt. sa fille la rassure : "non, ce n'est pas là, encore deux arrêts". dehors où il fait nuit, assis sous l'abribus éclairé, un beau garçon a la tête baissée sur son portable, ses sombres cheveux de chaque côté de son visage attentif. elle l'a remarqué : "regarde-le, comme il est triste, il a été battu....je n'aime pas qu'on le batte".
le petit garçon à lunettes, lui, voit la gare illuminée : "pourquoi ils ont pas mis d'étoile ? ils la mettront le soir de Noël"..."qu'elle est belle la gare !" , dit la vieille dame…." je l'avais dessinée pour l'école". "oui, elle est belle" répond le garçon qui évoque ensuite avec sa mère les Fêtes qui approchent et les différents membres de la famille qui vont venir. "c'est qui tata Laurette ?" "c'est ma tata à moi", dit sa mère. les deux enfants font partie d’une crèche vivante. il dit qu'il va tenir un bâton et rester debout, c'est tout. sa soeur, il pense qu'elle va être habillée en bleu, là (il passe la main sur la poitrine de sa sœur), et sur la tête parce que la sainte Vierge est bleue.
Bus 3, direction Le Mourillon
une dame d'un certain âge, sûrement rousse autrefois, aux cheveux longs. de chaque côté de son visage deux peignes de plastique relèvent des mèches encore cuivrées sur fond de chevelure grise. elle s'assied près de moi et me parvient une odeur d'enfance : celle de la pommade rosat. on tournait le tube, le bâton sortait, rose ou rouge. c'était permis. le rêve d'être une femme, dans la petite glace. je repense aux petites peaux cartonnées sur les lèvres, qui se soulevaient dans ce tendre gras, devenaient transparentes, puis qu'on déchirait doucement, laissant la muqueuse à nu, rouge et sensible. aux fissures qui les séparaient parfois et qui saignaient, au milieu de la lèvre inférieure. c'était pire de regarder cette fine plaie sur la bouche des autres.
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âges
même bus, juste avant Noël. une femme est assise devant moi, son petit garçon sur les genoux, avec qui elle converse. la petite grande soeur est à côté, n'écoute pas, se lève des temps en temps, se retient avec satisfaction aux poteaux autour desquels elle tournoie, dans les cahots. sa mère lui demande de s'asseoir, alors elle s'arrête de tourner une seconde, puis recommence.
montent deux femmes dont une (la mère), est très âgée. elle s'assied sur l'insistance de sa fille, et regarde la fillette qui s'est finalement rassise en face d'elle : "elle croit que je vais lui faire du mal, elle croit que je suis méchante, mais je suis gentille". la fillette se tait, grands yeux sombres, la mère dit : "elle est timide". puis la vieille dame regarde dehors, demande à plusieurs reprises si elle doit se lever, si c'est l'arrêt. sa fille la rassure : "non, ce n'est pas là, encore deux arrêts". dehors où il fait nuit, assis sous l'abribus éclairé, un beau garçon a la tête baissée sur son portable, ses sombres cheveux de chaque côté de son visage attentif. elle l'a remarqué : "regarde-le, comme il est triste, il a été battu....je n'aime pas qu'on le batte".
le petit garçon à lunettes, lui, voit la gare illuminée : "pourquoi ils ont pas mis d'étoile ? ils la mettront le soir de Noël"..."qu'elle est belle la gare !" , dit la vieille dame…." je l'avais dessinée pour l'école". "oui, elle est belle" répond le garçon qui évoque ensuite avec sa mère les Fêtes qui approchent et les différents membres de la famille qui vont venir. "c'est qui tata Laurette ?" "c'est ma tata à moi", dit sa mère. les deux enfants font partie d’une crèche vivante. il dit qu'il va tenir un bâton et rester debout, c'est tout. sa soeur, il pense qu'elle va être habillée en bleu, là (il passe la main sur la poitrine de sa sœur), et sur la tête parce que la sainte Vierge est bleue.