Lorsque je déraille je pense à toi

par 4 sans 11, dimanche 21 septembre 2014, 18:46 (il y a 3719 jours)

Lorsque je déraille je pense à toi
c'est le vide qui pèse
sur le ventre


noue les tripes
lorsque je pense à toi c'est toujours toi qui invites
c'est pas moi qui rêve


c'est toi
c'est moi l'être onirique
c'est toi qui te lèves et m’invites


je n'y suis pour rien si j'imagine
c'est le vide qui fait imaginer
c'est pas moi


c'est toi
qui me penses et me donnes à choisir
- je n'ai rien à voir avec ce qu’il y a sur

le côté gauche de mon esprit


c'est toi qui m’écris et t’éprends
qui me prends
qui me pries


lorsque je déraille je racle et imagine alors être amoureux
et ça ne va pas mieux
c’est pire


c’est toi
mais encore plus soulignée
encore plus magnifique, définitive


toi trop précise et trop nette
toi trop découpée dans la lumière
toi à travers filtre


à travers 150 000 000 de cigarettes
écoeurante de réalisme
toi oh combien précise et tellement là


que j’ai l’impression que tu viens de cesser
de penser
à moi


et que je m’efface
peu à peu
trait à trait


et plus tu es là et plus je disparais
et plus je te vois plus je ne te regarde plus
c’est le vide qui pèse


pas la chair
toi oh combien parmi moi en mon sein
plantée droit claquemurée


muée en nuées de dessins maladroits
toi tellement lointaine que je sais tout de toi
de ton nerf optique à ton taux de glucides


plus tu es loin de moi et plus le poème s’amplifie
jusqu’à prendre tout le vide en lui
jusqu’à donner des mots à la bouche


du souffle aux idées
du sens aux espaces entre les êtres
je n’ai aucune idée de ce qui se passe dans ma tête


lorsque je pense à toi c’est toujours toi qui es le plus fou
lorsque je pense à toi c'est toujours toi qui invites
et c'est pas moi qui rêve


c'est toi

c'est moi l'être onirique

Lorsque je déraille je pense à toi

par zeio, dimanche 21 septembre 2014, 21:33 (il y a 3719 jours) @ 4 sans 11

superbe, et la conclusion est franchement efficace. Même si cette ligne conclusive a déjà été introduite au début du poème, elle prend tout son sens et sa force à la fin.
De fait le doublement de cette sentence est bien mené, le premier coup annonce, le deuxième enfonce. Définitivement.
Il y a quelque chose de très spécifique qui se dégage de tes textes, une voix quelque part gutturale, bruitée et puissante
Quelques mots qui me viennent : morcellement, dispersion, dense, ferreux, noir, maladif, puissance
J'espère que tu ne prendras pas ombrage de ces termes spontanés et subjectifs

Lorsque je déraille je pense à toi

par zeio, dimanche 21 septembre 2014, 21:54 (il y a 3719 jours) @ zeio

par ailleurs par moments cela fait penser à du Desnos est-ce volontaire ou inconscient ?

Notamment :


Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit.
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre.
Cette ombre à la fenêtre c'est toi, ce n'est pas une autre, c'est toi.
N'ouvre pas cette fenêtre derrière les rideaux de laquelle tu bouges.
Ferme les yeux.
Je voudrais les fermer avec mes lèvres.
Mais la fenêtre s'ouvre et le vent, le vent qui balance bizarrement la flamme et le drapeau entoure ma fuite de son manteau.
La fenêtre s'ouvre: ce n'est pas toi.
Je le savais bien.

DESNOS (A la Mystérieuse, 1926)


Pour l'anaphore des "c'est toi" et l'insistance onirique




Et puis surtout jamais d'autres que toi

"plus tu es loin de moi et plus le poème s’amplifie"
"Plus tu t'éloignes et plus ton ombre s'agrandit" (--> Desnos)


C'est pas une critique, je dénonce rien, au contraire j'aime beaucoup ces échos décochés en fragments de mémoires insistantes
qui sont à mes yeux comme une sorte d'hommage et certainement pas un plagiat dans ce cas.
J'utilise souvent ce procédé... comme des miettes de pain laissées derrière soi sur le chemin, que certains viennent ramasser
À moins que ce soit simple hasard ici mais ça m'étonnerait





Jamais d'autre que toi en dépit des étoiles et des solitudes
En dépit des mutilations d'arbre à la tombée de la nuit
Jamais d'autre que toi ne poursuivra son chemin qui est le mien
Plus tu t'éloignes et plus ton ombre s'agrandit
Jamais d'autre que toi ne saluera la mer à l'aube quand
Fatigué d'errer moi sorti des forêts ténébreuses et
Des buissons d'orties je marcherai vers l'écume
Jamais d'autre que toi ne posera sa main sur mon front
Et mes yeux
Jamais d'autre que toi et je nie le mensonge et l'infidélité
Ce navire à l'ancre tu peux couper sa corde
Jamais d'autre que toi
L'aigle prisonnier dans une cage ronge lentement les barreaux
De cuivre vert-de-grisés
Quelle évasion !
C'est le dimanche marqué par le chant des rossignols
Dans les bois d'un vert tendre l'ennui des petites
Filles en présence d'une cage où s'agite un serein
Tandis que dans la rue solitaire le soleil lentement
Déplace sa ligne mince sur le trottoir chaud
Nous passerons d'autres lignes
Jamais jamais d'autre que toi
Et moi seul seul comme le lierre fané des jardins
De banlieue seul comme le verre
Et toi jamais d'autre que toi.


DESNOS (Corps et biens, 1927)





Lorsque je déraille je pense à toi

par 411, lundi 22 septembre 2014, 14:47 (il y a 3718 jours) @ zeio

Merci zeio. En fait, je n'étais pas sûr de ce poème, et suis forcément heureux de ta réponse.
Pour tout te dire, je n'ai quasi jamais lu Desnos. Mais me rends compte de mon erreur. Effectivement, il y a des résonnances, et Corps et bien sera mon prochain achat de recueil.

Et merci Ramm77. Et merci la poésie.

Lorsque je déraille je pense à toi

par Ramm77 @, lundi 22 septembre 2014, 09:52 (il y a 3718 jours) @ 4 sans 11

J aime beaucoup. Evocation de la présence absence. Qui est toi, qui est l autre, où est moi ?... un texte sur la friabilité du réel, la dissémination des identités, ce qui nous dépossède et nous possède... enfin j y est lu ce que je cherche. Un texte miroir, c est aussi la qualité et la cible d un "bon" poème. Ma journée et semaine ainsi commencent bien.

Lorsque je déraille je pense à toi (pour ramm77)

par 411, lundi 22 septembre 2014, 14:51 (il y a 3718 jours) @ Ramm77

Oui, c'est un texte sur le fantasme, et sur l'appropriation totale de l'objet lorsqu'il n'existe que par l'imagination. Si ce rêve devient réel, les promesses perdent leur substance, et la toute-puissance fait place à l'impuissance, et il faut dire qu'on aime, et sitôt ces paroles pronnoncées, la vie devient un mensonge évident. On ne contrôle plus.

Lorsque je déraille je pense à toi

par Kel, mardi 23 septembre 2014, 13:56 (il y a 3717 jours) @ 4 sans 11

Je ne puis rien te répondre de sûr ni de mûr, tu entends ? Quelque chose de fragile mouille le sol de fluide et perturbe nos murs de pages saturées de résine à la racine des os. Je veux parler des pans entiers de vie tournée comme en toupie détachés sans unité de mesure, lâchés dans la nature. Des pulsions de danse en gestes échappée au réel transitoire enserré des logiques absurdes, les pieds déliés envolés des territoires enferrés. Des pierres égyptiennes sans collision débrisées en verres mous qui se déforment aux tessons ronds de nos corps en glaise qui tombent au sol jonchées de poussières inertes laissant des ouvertures par où circule un air empli de bruits plissant les pas mêlés dans le vide où se tient un simple filet d'étoile... Une espèce de magma fusionnel sans certitude collé au cœur des plaies ouvertes au ciel, et à la tête d'un bordel cahotique en lambeaux de foison à monde. Une folie passagère où correspondent des flots d'ondes rondes à l'étrangère aura de nos corps jusqu'halo sur nos visages, du plus profond de la nuit au grand jour à l'éclat sombre de tes regards. Je sais je transparais presqu'inaudible.

Lorsque je déraille je pense à toi

par Kel, mardi 23 septembre 2014, 14:37 (il y a 3717 jours) @ Kel

...c'était une digression, inspirée du poème...

Lorsque je déraille je pense à toi

par Kel, mardi 23 septembre 2014, 16:44 (il y a 3717 jours) @ Kel

légères corrections...

...

Je ne puis rien te répondre de sûr ni de mûr, tu entends ? Quelque chose de fragile mouille le sol de fluide et perturbe nos murs de pages saturées de résine à la racine des os. Je veux parler des pans entiers de vie tournée comme en toupie détachés sans unité de mesure, lâchés dans la nature. Des pulsions de danse en gestes échappée au réel transitoire enserré des logiques absurdes, les pieds déliés envolés des territoires enferrés. Des pierres égyptiennes entrent en collision débrisées aux verres mous qui se déforment, tessons ronds de nos corps en glaise qui tombent au sol jonchées de poussières inertes ouvrant les espaces par où circule un air empli de bruits plissant les pas mêlés dans le vide où se tient un simple filet d'étoile... Une espèce de magma fusionnel sans certitude collé au cœur des plaies béantes au ciel, et à la tête d'un bordel cahotique en lambeaux de foison à monde. Une folie passagère où correspondent des flots d'ondes rondes à l'étrangère aura de nos corps jusqu'halo sur nos visages, du plus profond de la nuit au grand jour sous l'éclat sombre de tes regards. Je transparais presqu'inaudible.

Lorsque je déraille je pense à toi

par Kel, mercredi 24 septembre 2014, 16:40 (il y a 3716 jours) @ Kel

Je ne puis rien répondre de sûr ni de mûr, sens-tu ? Entre nous quelque chose de fragile fluide le sol et nous mouille, perturbe nos murs ébréchés, pages saturées de résine à la racine des os ployés. Je parle de pans entiers de vie tournée comme des toupies, détachés sans unité de mesure et lâchés dans la nature. Des pulsions de danse en gestes échappée au réel transitoire enserré par les logiques absurdes, les pieds déliés envolés des territoires enferrés.
Des pierres égyptiennes entrent en collision se débrisent aux verres mous et se déforment à l'étendue du temps, tessons ronds de nos corps en glaise tombés au sol jonché de poussières inertes ouvrant sur les espaces par où circule l'air empli de bruits plissant les pas mêlés dans le vide où nous tient un simple filet d'étoile... humide... Magma fusionnel sans certitude collé au cœur des plaies béantes au dehors, un bordel cahotique en lambeaux de désir foison à monde.
Une folie passagère où correspondent des flots d'ondes rondes à l'étrangère aura de nos corps jusqu'à l'halo ruisselant à nos visages, éclairés du plus profond de la nuit au grand jour sous l'éclat de tes regards sombres. Je transparais quasi inaudible translucide.

Lorsque je déraille je pense à toi

par Kel @, jeudi 25 septembre 2014, 14:27 (il y a 3715 jours) @ Kel

...ne puis rien répondre de sûr ni de mûr sens-tu entre nous quelque chose de fragile fluide le sol et nous mouille, perturbe nos murs ébréchés de pages saturées de résine collée à la racine des os ployés, pans entiers de vie tournée comme des toupies, détachés sans unité de mesure et lâchés dans la nature, pulsions de danse en gestes échappée au réel transitoire enserré par ses logiques absurdes, les pieds déliés envolés des territoires enferrés ; des pierres égyptiennes entrent en collision et se débrisent aux verres mous et se déforment à l'étendue du temps, tessons ronds de nos corps en glaise tombés au sol jonché de poussières inertes ouvrant sur les espaces par où circule l'air empli de bruits plissant les pas mêlés dans le vide où nous tient un simple filet d'étoile humide, magma fusionnel d'incertitude collé au cœur des plaies béantes au dehors, un bordel cahotique en lambeaux de désir foison à monde où l'amour chût, folie passagère où correspondent des flots d'ondes rondes à l'étrangère aura de nos corps jusqu'à l'halo ruisselant à nos visages, éclairés du plus profond de la nuit au grand jour sous l'éclat de tes regards sombres, je transparais ainsi quasi inaudible translucide.

Lorsque je déraille je pense à toi

par Claire @, mercredi 24 septembre 2014, 22:07 (il y a 3716 jours) @ 4 sans 11

quelle profondeur...on pourrait écrire un livre à partir de ce poème.

(j'ai pas trop de temps en ce moment, dommage)