L'identité
Et toujours, le constat s'imposait. Vous n'aviez nul besoin de vous relire pour en vérifier l'évidence. Vous y étiez, de la première à la dernière ligne. "Je" n'était pas un autre. Il se tenait, trait pour trait, figé dans un implacable quant à soi ; enlisé dans l'ornière d'une étroite coïncidence. Ce que d'aucuns prisent avec ferveur, l'idole à laquelle ils sacrifient si volontiers, vous la réprouviez. Sans parvenir à d'autre résultat que de vous y engluer. En dix ans, une cinquantaine de carnets avaient résulté de cette quête contre identitaire. Comptabilité qui ne restituait cependant pas l'estimation exacte de votre activité, tant le recours aux supports high-tech avaient progressivement supplanté l'usage du papier. Au reste, le nombre des calepins n'importait pas. Leur contenu, d'une suffocante fidélité, ne recelait nulle matière libératoire. La situation s'était toutefois modifiée avec l'apparition des tablettes. Ce mode de travail offrait de notables avantages. En particulier, le caractère réversible de la saisie dédramatisait l'acte expressif. Les modifications pouvaient intervenir à tout moment, sans laisser ses vilaines cicatrices qui perduraient dans les manuscrits. L'immatérialité des traces balayait les scrupules scripturaux d'un revers de pixels évanescents.