[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par Claire, mardi 05 avril 2016, 15:28 (il y a 3156 jours)

25 décembre,
Au matin (même lettre)… Parlons maintenant de cette beauté que
Tu ne « vois pas ». – Je la vois, moi, ne t’inquiète pas, barbouillée
Sur ton visage et pendue dans ton allure – si ça peut dédramatiser
L’approche que j’en parle comme ça ! avec grimaces et simagrées,
Que tu agrées – l’idée qu’on puisse même en parler. Mais je te l’ai
Écrit déjà ça ne date pas de trois mois que je la vois, ç’te beauté-là.
Mais de pas mal d’années ! Sache, que même quand elle se cache,
Je la vois, elle me troue les yeux. Même quand elle se dérobe et se
Faufile dans les coins, qu’elle ne veut pas qu’on la remarque, je la
Vois, moi. La tienne n’est pas facile à planquer mais, quand même
– Tu essaies ! Mais je vois la beauté moi c’est ma spécialité, je suis
Sensible au beau, la beauté est la chose qui de loin m’émeut le plus
Au monde. Elle me bouleverse, que ce soit au cinéma, ou j’écoute
Un disque ou je regarde en l’air ou en bas les nuages, les arbres ou
Les flaques, ou droit devant ou sur les côtés. Aussi, je marche sur
Tel trottoir, je ne pensais à rien de particulier, et je la vois soudain
Sur un visage, la beauté. Quelquefois, et même souvent, et même
Très souvent – elle est déchirante, sûrement parce qu’elle l’est trop,
Belle, la beauté : on sait qu’elle va se perdre, être perdue, qu’elle
Ne peut durer, elle est liée aussi au fait que tout soit fini : ce que je
Veux dire, c’est que tout doit disparaître et un jour c’est la lumière


Du crépuscule qui passe sur cette beauté, et on l’a compris – que
Ça va être très bientôt fini, pour elle. Elle va passer derrière l’hori
Zon et on ne la verra jamais plus. C’est terrible, c’est terrible que la
Beauté soit finie, et qu’elle ne vienne que pour s’en aller, non c’est
Terrible et c’est pourquoi ça nous déchire quand on la voit. – Alors
Je pleure souvent, je ravale mes larmes devant la beauté, mon père
Déjà était comme ça.
Cette beauté… la plus belle fille du monde se
Trouve moche, c’est bien connu ; et quelquefois même ça la mène
À se détruire. Se souiller, s’enlaidir… Parce que rien n’est difficile,
Je crois, comme porter le poids, et la responsabilité de cette beauté
Qu’on ne comprend pas – et qui nous distingue tellement, interdit
Toute retraite et toute solitude, et pourtant nous voue – à la plus
Extrême et la plus dangereuse solitude, juchée sur l’étroit pavois
Où nous hissent tous les regards du monde. – Et toujours elle est
Nue, la beauté, et vainement elle serre autour d’elle ses guenilles !
Il ne lui sert de rien vraiment qu’elle se recroqueville ! Elle est nue
Et dressée, la beauté, au milieu du cercle de cruauté, où brasillent
Cruellement même les yeux de la bonté et de la pitié. Et la beauté,
Fût-elle celle alors de la plus naïve, et pâle, et chaste créature, c’est
Une viande, qui sent déjà la pointe et le fil du couteau.
D’accord ?



* Texte tiré d’Ajustement, « poème-document » en cours d’écriture.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par dh, mardi 05 avril 2016, 17:00 (il y a 3156 jours) @ Claire

ouais. et alors ?

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par Claire, mardi 05 avril 2016, 17:12 (il y a 3156 jours) @ dh

alors rien. on fait pas de la philo, là.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par julien, mardi 05 avril 2016, 17:13 (il y a 3156 jours) @ dh

alors tu dois être bouché, ou tu veux l'être

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par dh, mercredi 06 avril 2016, 09:31 (il y a 3155 jours) @ julien

bah non. je trouve que c'est une explication misérabiliste de la beauté.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par dh, mercredi 06 avril 2016, 09:33 (il y a 3155 jours) @ dh

"la beauté est une chose rare"

-ornette coleman

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par julien, mardi 05 avril 2016, 17:13 (il y a 3156 jours) @ Claire

sublime, rien de plus à dire

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par zeio, mercredi 06 avril 2016, 00:13 (il y a 3155 jours) @ Claire

C'est vraiment réussi.
Je ne suis pas persuadé par la fin qui part en charcuterie.
Plutôt inavisée, cette fin... Pour prendre le tout à revers
Pour anéantir le risque d'en rester là, devant la beauté telle que décrite précédemment
Ça termine le texte dans un soufflet de vampirade. Ça sonne comme une condamnation.
Le point final a la gueule d'un saucisson lyonnais.
Il aurait pu laisser en suspens, à mon sens...
Pour le reste, c'est vraiment réussi.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par Claire, mercredi 06 avril 2016, 09:46 (il y a 3155 jours) @ zeio

Cette façon très crue, animale, de parler du corps, de son fonctionnement fait vraiment partie des caractéristiques de son écriture. Ce n'est en rien une provocation gratuite, c'est lié à son enfance dans le milieu des ouvriers et des marins pêcheurs berckois, où les choses étaient dites de cette façon, dans une langue très verte, volontiers scatologique ou obscène, et de l'intensité que cela donnait au langage à ses oreilles d'enfant.

Ce qui se cache derrière cette viande et ce couteau, c'est je crois l'idée que la beauté a quelque chose de sacrificiel d'une part, et d'autre part l'idée que notre regard sur elle a quelque chose d'une avidité cannibalique.
Je trouve ça très juste, même si bien entendu l'inverse aussi est vrai : respect et adoration à distance.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par dh, mercredi 06 avril 2016, 09:54 (il y a 3155 jours) @ Claire

la beauté peut avoir une infinité de visages.

pour moi, la beauté c'est l'espoir et la consolation.

rien à voir avec tes fables psychanalytiques.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par julien, mercredi 06 avril 2016, 10:07 (il y a 3155 jours) @ dh

à chacun ses fables

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par dh, mercredi 06 avril 2016, 10:45 (il y a 3155 jours) @ julien

attention julien. du relativisme au nihilisme il n'y a pas loin.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par julien, mercredi 06 avril 2016, 11:12 (il y a 3155 jours) @ dh

ça n'avait rien de péjoratif

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par Claire, mercredi 06 avril 2016, 11:10 (il y a 3155 jours) @ dh

mais la beauté c'est ça aussi, bien sûr. espoir et consolation, oui, bien entendu.

Il ne s'agit pas de nihilisme : il s'agit de facettes, de points de vue, comme voir une montagne de différents côtés.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par dh, mercredi 06 avril 2016, 11:22 (il y a 3155 jours) @ Claire

oui, d'accord.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par zeio @, mercredi 06 avril 2016, 16:13 (il y a 3155 jours) @ dh

Pour moi la beauté est liée au mystère fondamental de l'existence, ça n'est pas nécessairement l'espoir, elle peut être négative et cruelle. Elle peut être l'espoir aussi... elle a quelque chose à voir avec une forme de révélation, un voile levé sur un mystère. En fait, elle est une forme de réponse, c'est ça, pour moi, la beauté... une réponse.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par Claire, mercredi 06 avril 2016, 19:12 (il y a 3155 jours) @ zeio

c'est très beau ce que tu dis-là, je suis d'accord.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par dh, mercredi 06 avril 2016, 10:52 (il y a 3155 jours) @ Claire

dans cette interprétation de claire, il y a l'idée très nette que les origines prolétaires de chvavar lui donnent un accès privilégié à la beauté, que des gens plus aisés n'auraient pas.

pour moi c'est juste du catéchisme entaché de culpabilité.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par Claire, mercredi 06 avril 2016, 11:04 (il y a 3155 jours) @ dh

mais n'importe quoi ! Je dis que sa façon de percevoir et d'exprimer la beauté est lié à ses impressions esthétiques d'enfant. C'est pareil pour tout le monde

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par dh, mercredi 06 avril 2016, 11:05 (il y a 3155 jours) @ Claire

ah, tu me rassures alors.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par zeio @, mercredi 06 avril 2016, 14:03 (il y a 3155 jours) @ Claire

Merci Claire pour les pistes. Je les comprends tout à fait. Mais personnellement ça n'est pas l'obscénité qui me dérange, plutôt la formule, le procédé. Il convoque le pétard au bout de la mèche. L'effet est trop visible. Cette chute a un côté grotesque. C'est un retournement total qui, au lieu d'amplifier et de déployer le texte, le réduit à une formule de charcuterie, "süskindienne". Je suis sûr que cette fin est cruciale pour lui. Mais personnellement j'aurais laissé le tout en suspens.

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par zeio @, mercredi 06 avril 2016, 16:06 (il y a 3155 jours) @ zeio

Mais cette remarque n'enlève rien au fait que je trouve son écriture vraiment puissante...

[D'une lettre*] (Ivar Ch'Vavar)

par Claire, mercredi 06 avril 2016, 19:20 (il y a 3155 jours) @ zeio

en fait ce n'est pas vraiment la fin je pense, ce n'est qu'un fragment. Mais quand même, c'est cité ainsi.
Ce mot, "viande" rappelle aussi : la beauté est liée à la vie. Quand elle quittera ce corps, ce visage, il n'y aura qu'une matière en voie de putréfaction.