une autre fable en jachère
Fable II(partie 1)
il s'oublia, n'écrivait que des bêtises, séduisait, se lassait. il vivait à ses heures perdues en poète imbécile, à quelques alexandrins près (il avait la chemise rêveuse), il empruntait l'allure au mauvais gendre, se laissait inviter chez unetelle, partait comme un voleur doux-amer chez autretelle, jamais avare en coup de chapeau. à ce qu'on disait quand même à sa décharge, c'était un type assez doué dans l'amitié. assez doué pour le rire. cynique et candide à souhait, le paradoxe! un chatouilleur né, un gentil flingueur, un professionnel du coup de coude, un complice. à se demander s'il savait bander.
il reçut un soir d'automne une lettre virtuelle. une certaine S. ce n'était pas son vrai nom.
S, cela ne voulait rien dire. qu'un ptit bout de voix. deux syllabes riantes et douces, un babil d'enfant. il était sensible à ces puérilités. un mot fût-il insignifiant était toujours promesse de conte, un pierre fabuleuse qui en appelait d'autres. il pouvait s'y terrer arc-en-ciel, continents lointains, samouraïs des mers boréales, insectes du phosphore et fantômes bourdonnants, cela formait une arche immense, une cathédrale dansante, à l'assaut des vagues et du vide, pleine de prières, pleine de mythes, l'enfance entière de l'humanité, l'amour! c'était ce que le bougre pensait dans ses élans ultra-lyriques, des sonorités secrètes, de l'humilité de S. il ne l'ouvrit pas tout de suite, cette lettre. le sens du mystère, ça, on pouvait dire qu'il l'avait. son cœur, un vrai tiroir à intrigues! il considéra l'enveloppe irréelle un moment, eut un sourire malgré lui, quelque chose comme un frémissement de lèvres, il ferma la page, l'oubliant une journée dans un coin d'ombre de l'ordi. le sourire, c'était quelque chose qu'il cultivait, en la matière c'était un artiste. il s'ouvrait et effaçait son visage. mais celui-là, que provoquait la pensée de la lettre, était douloureux presque, il partait du buste, de ses entrailles même. dangereux. il aurait pu virer aux larmes.
ce n'était qu'un mot, un vocable insignifiant, un ptit bout de voix...
il lut plus tard. cette lettre n'avait rien de brusque, elle ne lui parut pas étrange non plus. il fut surpris par cet appel parle moi parle moi parle moi, ce souffle dis-moi ce qui te passe par la tête, je suis curieuse de toi, se demanda ce qu'il avait pu commettre comme acte d'héroïsme pour mériter cette fanfare murmurée tes petits mots sont toujours pour moi comme un rayon dans l'automne, cette curiosité qui derrière ce tricot de phrases le happait vers un corps, quelque chose de tiède, quelque chose de violemment bleu et accueillant. nuit si légère, si simple, si bête, nuit de flanelle. mais lui jusque là, il avait fait que jeter sur la toile des choses pesantes, des choses grises, emmerdantes comme du béton armé. il le savait, des êtres plus laids, plus creux, plus veules que lui s'échinaient à le lui balancer à la gueule. il ne se méfia pas assez de ce qu'il venait de lire, cette poignante attention. on se méfie jamais assez de l'affection des autres, des inconnus. même que certains, ils baissent la garde longtemps, abolissent tout: la raison, le monde, la dignité. et ils piétinent la bienséance, et ils bouffent leur songe de plénitude; ils prennent leur temps. ils en crèvent, la plaque d'égout n'est jamais loin qui leur fend le crâne. eh merde! qu'ils se disent les yeux rougis. le ciel leur est tombé sur le pif. hélas et tant mieux qu'on dit ailleurs, plus tard. la réalité, la pure, l'indifférente leur revient comme une marée et les voilà pessimistes, sempiternelle fatigue sans sommeil.
mais elle était "là" à ce qu'elle écrivait, moi je suis là et je t'écoute, timide, courageuse, puérile, séduisante. un geste gratuit. né de presque rien. un poème. il en aurait grimpé sur sa chaise, déchiré les rideaux, couru sur les toits, imité les anges, elle l'écoutait, et lui, du haut de sa vanité, du Très-Haut de son assurance, de sa grandiloquente légèreté, de ses riants badinages à venir, du haut de tout cela comme sur l'Olympe du ridicule, il allait se perdre, le bienheureux. il se perdait déjà: il savait si bien jouir par l'oreille, si bien jouer des doigts. il lui répondit évidemment et fort bien, fort innocemment: il savait y faire. cette S, il en avait apprivoisé la rencontre, il l'avait anticipé, il en avait aimé l'idée, le rêve, l'enfance. c'était un diseur. cela faisait longtemps, peut-être une vie, une vie du moins à l'heure où il y songeait. elle arrivait subitement, il était prêt. oh ce fut foudroyant, ses bêtises prirent un tour divin, sa lassitude trouva une raison, il ne se sentit plus tout à fait laid, plus si infirme, plus tant médiocre. il n'avait lu qu'une lettre ou deux...
ce n'était pourtant qu'une chevelure curieuse, une pauvre chansonnette, une caresse...
Fil complet:
- une autre fable en jachère -
vagabond vagabondant,
09/04/2016, 11:03
- une suite pour ceux que ça n'intéresse pas -
vagabond vagabondant,
10/04/2016, 23:30
- une suite pour ceux que ça n'intéresse pas - Rémy, 30/04/2016, 03:17
- une suite pour ceux que ça n'intéresse pas -
vagabond vagabondant,
10/04/2016, 23:30