une autre fable en jachère

par vagabond vagabondant, samedi 09 avril 2016, 11:03 (il y a 3152 jours)

Fable II

(partie 1)


il s'oublia, n'écrivait que des bêtises, séduisait, se lassait. il vivait à ses heures perdues en poète imbécile, à quelques alexandrins près (il avait la chemise rêveuse), il empruntait l'allure au mauvais gendre, se laissait inviter chez unetelle, partait comme un voleur doux-amer chez autretelle, jamais avare en coup de chapeau. à ce qu'on disait quand même à sa décharge, c'était un type assez doué dans l'amitié. assez doué pour le rire. cynique et candide à souhait, le paradoxe! un chatouilleur né, un gentil flingueur, un professionnel du coup de coude, un complice. à se demander s'il savait bander.

il reçut un soir d'automne une lettre virtuelle. une certaine S. ce n'était pas son vrai nom.

S, cela ne voulait rien dire. qu'un ptit bout de voix. deux syllabes riantes et douces, un babil d'enfant. il était sensible à ces puérilités. un mot fût-il insignifiant était toujours promesse de conte, un pierre fabuleuse qui en appelait d'autres. il pouvait s'y terrer arc-en-ciel, continents lointains, samouraïs des mers boréales, insectes du phosphore et fantômes bourdonnants, cela formait une arche immense, une cathédrale dansante, à l'assaut des vagues et du vide, pleine de prières, pleine de mythes, l'enfance entière de l'humanité, l'amour! c'était ce que le bougre pensait dans ses élans ultra-lyriques, des sonorités secrètes, de l'humilité de S. il ne l'ouvrit pas tout de suite, cette lettre. le sens du mystère, ça, on pouvait dire qu'il l'avait. son cœur, un vrai tiroir à intrigues! il considéra l'enveloppe irréelle un moment, eut un sourire malgré lui, quelque chose comme un frémissement de lèvres, il ferma la page, l'oubliant une journée dans un coin d'ombre de l'ordi. le sourire, c'était quelque chose qu'il cultivait, en la matière c'était un artiste. il s'ouvrait et effaçait son visage. mais celui-là, que provoquait la pensée de la lettre, était douloureux presque, il partait du buste, de ses entrailles même. dangereux. il aurait pu virer aux larmes.

ce n'était qu'un mot, un vocable insignifiant, un ptit bout de voix...

il lut plus tard. cette lettre n'avait rien de brusque, elle ne lui parut pas étrange non plus. il fut surpris par cet appel parle moi parle moi parle moi, ce souffle dis-moi ce qui te passe par la tête, je suis curieuse de toi, se demanda ce qu'il avait pu commettre comme acte d'héroïsme pour mériter cette fanfare murmurée tes petits mots sont toujours pour moi comme un rayon dans l'automne, cette curiosité qui derrière ce tricot de phrases le happait vers un corps, quelque chose de tiède, quelque chose de violemment bleu et accueillant. nuit si légère, si simple, si bête, nuit de flanelle. mais lui jusque là, il avait fait que jeter sur la toile des choses pesantes, des choses grises, emmerdantes comme du béton armé. il le savait, des êtres plus laids, plus creux, plus veules que lui s'échinaient à le lui balancer à la gueule. il ne se méfia pas assez de ce qu'il venait de lire, cette poignante attention. on se méfie jamais assez de l'affection des autres, des inconnus. même que certains, ils baissent la garde longtemps, abolissent tout: la raison, le monde, la dignité. et ils piétinent la bienséance, et ils bouffent leur songe de plénitude; ils prennent leur temps. ils en crèvent, la plaque d'égout n'est jamais loin qui leur fend le crâne. eh merde! qu'ils se disent les yeux rougis. le ciel leur est tombé sur le pif. hélas et tant mieux qu'on dit ailleurs, plus tard. la réalité, la pure, l'indifférente leur revient comme une marée et les voilà pessimistes, sempiternelle fatigue sans sommeil.

mais elle était "là" à ce qu'elle écrivait, moi je suis là et je t'écoute, timide, courageuse, puérile, séduisante. un geste gratuit. né de presque rien. un poème. il en aurait grimpé sur sa chaise, déchiré les rideaux, couru sur les toits, imité les anges, elle l'écoutait, et lui, du haut de sa vanité, du Très-Haut de son assurance, de sa grandiloquente légèreté, de ses riants badinages à venir, du haut de tout cela comme sur l'Olympe du ridicule, il allait se perdre, le bienheureux. il se perdait déjà: il savait si bien jouir par l'oreille, si bien jouer des doigts. il lui répondit évidemment et fort bien, fort innocemment: il savait y faire. cette S, il en avait apprivoisé la rencontre, il l'avait anticipé, il en avait aimé l'idée, le rêve, l'enfance. c'était un diseur. cela faisait longtemps, peut-être une vie, une vie du moins à l'heure où il y songeait. elle arrivait subitement, il était prêt. oh ce fut foudroyant, ses bêtises prirent un tour divin, sa lassitude trouva une raison, il ne se sentit plus tout à fait laid, plus si infirme, plus tant médiocre. il n'avait lu qu'une lettre ou deux...

ce n'était pourtant qu'une chevelure curieuse, une pauvre chansonnette, une caresse...

une suite pour ceux que ça n'intéresse pas

par vagabond vagabondant, dimanche 10 avril 2016, 23:30 (il y a 3150 jours) @ vagabond vagabondant

*

S, elle se savait pas vraiment jolie, elle était jeune, elle se savait pas vraiment tout court. elle avait un corps, ça c'était sûr. elle existait, toute engourdie par... vous ne sauriez quoi dire. les sursauts passionnés, les réserves brutales, la pudeur, l'âme ouverte à toutes les choses qui avaient de l'épaisseur, une peau, une dureté, de la chaleur. ça arrivait. et quelques fois, elle sentait une terreur confuse jusqu'à la mort frissonner dans tout son corps. pas seulement ses membres, c'était en deçà, ça touchait loin. un vertige. l'appel de la fenêtre. la réalité la saisissait et l'anéantissait. alors elle imaginait son corps fondre dans les eaux salées, se dissoudre là-bas, loin de la ville. elle respirait mal, elle pleurait. si elle avait vu plus loin, plus profond, plus noir dans la noyade, peut-être que Dieu elle serait tombée dessus.

des souvenirs elle avait pas la science. pas nostalgique pour un sou. elle oubliait sans oublier. il valait peut-être mieux... sa vie elle pouvait pas dire que c'était pas un rêve. rien de sûr. ça, les événements lui glissaient dedans, miettes éparses de quelque chose. c'était des bribes de durée, des bouts du monde. ça stagnait et ça se désagrégeait. une violence disproportionnée qui enflait à tout moment. ça la ravissait parfois. plus souvent ça lui faisait mal. un mal fou. ils étaient tous un peu absurdes, ces moments. le jour rappelait la nuit, la nuit le vide des choses, l'absence de mouvement. ça lui fichait le bourdon. toute cette brutalité l'alourdissait. et les gens si bêtes... alors elle dormait, elle grignotait des trucs, elle allait, elle lisait, elle observait.


elle n'avait jamais tellement aimé. peut-être un béguin flou pour ce long-sur-pattes, tout pompeux, avec ses boucles presque si grandiloquentes que lui, qui faisait de grands discours pour des queues de cerises. un qui se plaisait aux comédies de tréteaux. son sérieux, elle l'aurait giflé. tout ça prêtait bien à rire. mais c'était ça aimer? car enfin, même lui, il roucoulait pour une autre, une Mathilde, une Fanette, une Marquise – qui ne l'aimait plus, le pauvre luron, et ça depuis bien avant leur rencontre. pour cette autre, il avait gros sur le coeur, ce qu'il avait c'était de la passion, de la pure. émouvant ce qu'il avait à donner. blessé comme un caniche abandonné, car cette autre, elle s'était mise à l'ignorer gentiment. ça l'avait touché, S. elle se disait qu'elle servait de compresse au malheureux. elle endormait un supplicié. elle observait tout cela, pas chagrine non. ça lui allait. elle s'accommodait. elle finit par se dire que c'était pas le garçon qu'elle aimait, mais l'amour qu'il avait pour l'autre fille, la jolie dame au nom de sainte, qui sentait d'ici le muguet. une fille un peu intimidante. elle se fit une fable. le garçon l'avait flairé. il refusait, il craignait. la compresse se décollait. elle tomberait bien dans l'amour pour l'autre, la sotte. mais le sot, lui, il a jamais vu qu'elle était si jolie, S. il l'a jamais vu. trop occupé à galoper ailleurs. trop occupé à rien. il la trouvait peut-être un peu sotte, un peu insignifiante. il savait pas...

S se mit à lui parler à cette toute-jolie, celle qu'aimait pompeusement le pompeux. elle se mit à l'aimer un peu, elle aussi. pas d'un style si sublime, si cavalier-servant que l'autre, mais c'était mieux comme ça. quand même, on savait pas mais y avait dans cette fragilité qu'on lui prêtait souvent à S, quelque chose d'immense, un monstre d'ardeur, une vigueur qui trouvait pas à se fixer. c'était sourd. ça se réveillerait peut-être pas. on peut bien mourir enfant.

une suite pour ceux que ça n'intéresse pas

par Rémy @, samedi 30 avril 2016, 03:17 (il y a 3131 jours) @ vagabond vagabondant

Le premier paragraphe aligne les phrases qui ne racontent rien avec des grands mots. Mais les autres sont super. Merci !