Lisière

Certes, vous êtes né. Pour autant, vous n'êtes jamais venu au monde. Vous demeurez en lisière, en stage d'observation, comme indiqué dans les curriculum vitae où domine l'inexpérience. Sauf que votre noviciat n'instruit pas un passage, mais révèle un état. L'art de temporiser sans frein ni fin, de transformer une trajectoire potentielle en impasse ruminante.

On vous a sans doute présenté trop tôt des exigences auxquelles vous ne pouviez pas répondre. Par exemple, celle de payer la cantine alors que vous ne disposiez pas du premier sou pour honorer l'obligation. Alors, au moment où les élèves accrédités tendaient fièrement l'argent qui autorisait leur participation à la fête instructive et leur conférait l'aura du bon droit, vous présentiez au professeur une enveloppe avec pour seul contenu un mot d'excuse rédigé par votre mère.

Oui. Il fallait s'excuser d'être là, d'occuper une place illégitime, de chauffer un siège usurpé et de manger dans la gamelle de la bonté institutionnelle en omettant d'acquitter sa quote part. Vous n'étiez pas un enfant, plutôt une dette. Vous alliez fatalement vous enfoncer dans l'arriéré des impayés.

Le professeur saisissait votre enveloppe avec une précaution spéciale et vous manifestait une bienveillance appuyée. Cette attention parachevait l'épreuve. Une sorte de peste émotionnelle vous terrassait. Vous souhaitiez disparaître. Vous songiez à vous évanouir. Mais le malin génie qui aurait pu vous exaucer était indisponible et, vous le pressentiez, ne se libérerait pas de sitôt.