de la cause première

par julien, dimanche 01 mai 2016, 13:41 (il y a 3130 jours)

Bouillonnant, l’air pesait comme une enclume.
Clovis observait une plume qui glissait sur le filet d’eau crépitant du caniveau. Quelque poulet hébété avait été sacrifié sur l’autel d’un déjeuner dominical. Cette évocation indirecte de l’idée de « famille » lui causa une nausée hargneuse. Un instant, il crut qu’il allait vomir sur place. Cette chaleur qui l’insupportait, l’écrasait, n’arrangeait certes rien. Il happa un peu d’air, força jusqu’à ce qu’un rot sonore aux harmoniques diaboliques le délivre, se contenta de cracher dans le clapotis. Il repensa à ce con d’Horace, son frère, qui la veille avait accroché et bousillé son vélo tout neuf en garant le Massey Ferguson, l’obligeant depuis lors à aller à pied par les rues et les sentes du village – ce dont Clovis s’acquittait finalement avec audace et superbe. A tous les coups, Horace l’avait fait exprès. Que n’avait-il d’ailleurs pas inventé pour pourrir la vie de son cadet ? Ce nouveau coup du sort, cette marche forcée avait malgré tout une contrepartie libératoire : faciliter l’évacuation des gaz qui le ballonnaient continuellement ce jour-là. Récitant du Rimbaud sur le chemin entre le Pôle Emploi et le Leader Price du canton, homme aux semelles de vents, Clovis laissait derrière lui un sulfureux sillage de méthane, heureux d’emmerder le monde à son tour avec les moyens à sa disposition. Comme le soleil tapait dur en ce midi triomphant, ses pensées se dilataient aussi, et ses sens s’échauffaient. Il fallait d’urgence faire quelque chose de sensé ; ça éviterait des ennuis. Est-ce que nourrir le vague projet d’aller casser la gueule à son con de frangin pouvait entrer dans cette dernière catégorie ?

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